Articles récents \ Chroniques Chronique méditative d’une agitatrice : Une pétition pour des congés parentaux paritaires

J’entends souvent que l’égalité en droit est atteinte en France. Qu’il ne resterait qu’à faire appliquer les lois… Pas vraiment, il reste des lois inégalitaires.

On me renvoie parfois qu’obtenir des congés parentaux paritaires est illusoire ou accessoire dans la longue route vers l’égalité des sexes. Ce serait pourtant l’attaque d’une étape-clé de la reproduction des inégalités femmes/hommes. Il s’agit d’ébranler l’arrivée différenciée en parentalité-land, un des piliers de la division sexuelle du travail.

En France, malgré l’affirmation constitutionnelle de l’égalité des sexes, les jeunes pères ne sont pas traités comme les jeunes mères en France. Car nos droits ne créent pas des situations équivalentes pour les deux parents lors d’une naissance. En Islande si, en Espagne aussi. Mais chez nous, les droits différenciés à congés révèlent une logique de devoirs maternels (la responsabilité) et de droits paternels (la liberté).

Ainsi, ces congés inégaux maintiennent, dans les familles hétéro-parentales, des rôles de parent principal pour la mère et de parent secondaire pour le père.

Nos droits à congés créent un écart de situation patent entre les parents :

1°) Une femme enceinte a un droit à congé indemnisé de 16 semaines, incluant du « repos » et de la charge parentale. Pour l’autre parent, c’est 4 semaines, soit 4 fois moins.

=> Pourtant, le repos de la mère dépend du relais dont elle dispose à domicile, l’autre étant parent logiquement bien placé dans le projet parental.

=> Pourtant, l’égalité femmes/hommes visée par le congé paternité et d’accueil de l’enfant supposerait une disponibilité parentale équivalente pour les deux parents.

2°) Une jeune mère est interdite d’emploi pendant 8 semaines, et ne peut prétendre à ses indemnités que si cette durée minimale est respectée. Pour l’autre parent, c’est une semaine, soit 8 fois moins.

=> Pourtant, on ne peut viser sincèrement l’égalité professionnelle sans s’attaquer aux effets discriminatoires de la maternité. Nous devons donc obliger tout employeur à reconnaître la nécessaire disponibilité parentale, pour les pères comme pour les mères.

Cet écart de traitement a des effets problématiques en cascade, qui pourraient utilement faire l’objet au niveau européen, il me semble, d’une procédure pour discrimination indirecte envers les femmes :

Le congé différencié prescrit un schéma inégalitaire où les femmes restent les pourvoyeuses de soins et de services (gratuits) attitrées dans les familles (dans leur couple et pour leurs enfants). Cela contredit les discours d’égalité des sexes et d’indépendance économique et leur fait vivre des injonctions contradictoires difficiles à supporter. Elles ont l’impression de ne jamais y arriver.
En recevant les services rendus par leur compagne, nombre de pères gagnent un temps précieux qu’ils investissent dans leur travail (avec des revenus à la clé) ou leurs loisirs (avec du bien être à la clé).

Concrètement, dès le 29ème jour :

La plupart des mères sont isolées, avec un risque avéré de dépression post-partum (les hommes, tiraillés, sont eux aussi concernés).
Une majorité de pères réduisent leur engagement domestique et familial, qui n’est pas valorisée dans leur parcours de vie.

Une fois les mères rendues plus absentes au travail, puis par la force des choses plus investies dans la parentalité et la vie domestique :

Elles s’adaptent davantage à la parentalité : une sur deux modifie son travail après une naissance contre un homme sur neuf.
Elles sont empêchées dans leurs libres choix professionnels et personnels (temps de travail, secteurs d’activité, type d’emploi, orientation professionnelle, évolution, dépendance économique, etc.).
Elles libèrent des places au travail, permettant aux pères de gagner plus en moyenne que les femmes mères ou non, et que les hommes non pères.
Elles deviennent des variables d’ajustement au travail comme dans leur couple.

Les mères, nécessairement impliquées, souvent épuisées, subissent des conséquences négatives professionnelles, largement admises et connues, pour elles, leurs revenus, leurs carrières et leurs retraites. C’est encore plus le cas pour les mères solo.
Les personnels éducatifs ou de santé rencontrent très peu les pères des enfants. « Voyez avec ma femme » est une phrase qui leur est très familière. Ce secteur essentiel, qui se dégrade, est souvent peu connu des pères, qui se mobilisent moins que les mères pour le défendre.

En autorisant la paternité discrète, occasionnelle, auxiliaire, secondaire, optionnelle ou facultative, la loi soutient donc un surinvestissement des pères au travail, impossible à concurrencer pour de nombreuses femmes aux qualifications égales. Ainsi, elle amène les employeuses/employeurs à fabriquer et à préserver les privilèges des pères en terme de pouvoir, de revenus et de carrières et génère un monde du travail inadapté à la parentalité (grâce aux hommes disponibles). Cela favorise le stress et la culpabilité des salarié·es-parents qui de fait doivent s’adapter aux aléas de la jeune enfance (maladie, souci de garde ou d’école…).

– La marginalisation des schémas de couple égalitaires. Un père investi dans sa parentalité peut être stigmatisé dans son travail. Et car l’équilibre d’un couple au départ égalitaire peut vaciller dès la première naissance.
– La non mixité dans des secteurs entiers : d’une part, les secteurs très masculinisés n’ont aucune raison de s’adapter à la parentalité (les conjointes s’occupent de tout !), ce qui freine l’intégration des femmes dans ces secteurs et l’investissement parental des hommes qui y travaillent ; d’autre part, la mixité des activités de soin et d’éducation n’est visé par quasiment personne, peu d’enfants et d’hommes pouvant se projeter dans ces métiers.
– Le non partage et l’invisibilisation des tâches familiales, et plus largement des activités de soin aux autres. Ce mépris de l’Etat pour le soin s’illustre dans la faible rémunération des métiers concernés, bien sûr très féminisés, et par le non remplacement de nombre de fonctionnaires en congé maternité.

Nous devons donc, pour plus de justice et des liens forts entre les enfants et leurs parents, obtenir une mesure essentielle pour aller vers une parentalité paritaire. L’Espagne, avec seize semaines de congés accordés à chaque parent, a déjà franchi ce pas.

Dans la continuité des arguments développés dans mon essai Maternité, Paternité, Parité, je m’investis avec Parents & Féministes sur le sujet pour obtenir des congés équilibrés. Pour influencer dans ce sens la concertation en cours sur les congés parentaux, initiée par la ministre Aurore Bergé, une pétition est à signer. Elle fait suite à une tribune soutenue par 100 personnalités dans Libération cet été (dont Camille Froidevaux-Metterie, Titiou Lecoq, Baptiste Beaulieu et Martin Winckler) et signée depuis par 3000 personnes.

Violaine Dutrop 50-50 Magazine

Maternité, Paternité, Parité Ed. du Faubourg 2021

 

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