Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Eleanor Roosevelt (USA) ET Hansa Mehta (INDE) Pionnières de la Déclaration universelle des droits humains

Le 10 décembre 2023 a marqué le 75ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits humains, adoptée le 10 décembre 1948 à Paris à l’Assemblée générale des Nations Unies. Deux femmes en ont été les pionnières et architectes : Eleanor Roosevelt, ancienne première Dame des Etats-Unis, engagée sa vie durant pour la défense des droits humains, et Hansa Mehta, féministe, combattante auprès de Gandhi pour l’indépendance de l’Inde. Elles ont réussi, à ce que nous les femmes, soyons partie prenante à la Déclaration.

Séance passionnante le 5 décembre à 18h à la Cité audacieuse, 9 rue de Vaugirard à Paris, et en zoom, organisée par à l’invitation de la Coordination Française du Lobby Européen des Femmes (Mardi de la CLEF) et de sa présidente Céline Thiebault-Martinez, en partenariat avec Femmes Monde, présidée par Claudine Monteil, et par la Commission Nationale de l’UNESCO. Delphine O, ambassadrice, a présenté son essai La diplomatie féministe est un sport de combat.

La place restreinte des Françaises au sein de la diplomatie à la Libération en 1944.

Céline Thiébault-Martinez, présidente de la CLEF et organisatrice de cet évènement, dans le cadre des Mardis de la CLEF, souligne l’importance de ce femmage dans l’Histoire et de savoir ce que la diplomatie a été pour les femmes.

Julie Marangé, présidente de Feminists in the city et vice-présidente de Femmes Monde, évoque la portée de l’action féministe en luttant contre l’invisibilisation des femmes, effacées à travers l’Histoire. Ce n’est qu’en 1928 que s’ouvre pour les Françaises le concours pour entrer au ministère des Affaires étrangères. Mais les femmes reçues au concours n’ont alors pas le droit d’être nommées en ambassade, mais devront seulement occuper des postes administratifs à Paris. Cela exclut de facto les femmes des vrais métiers diplomatiques.

Claudine Monteil, présidente de Femmes Monde et Conseillère à la Commission Nationale Française pour l’Unesco, diplomate honoraire, rappelle cependant qu’ Eve Curie, fille cadette de Pierre et Marie Curie, a joué un rôle diplomatique important dès juin 1940 dans la France Libre et à la Libération, comme conseillère spéciale du premier Secrétaire général de l’OTAN en 1952.

Les femmes pionnières et rédactrices de la Déclaration des Droits humains

Claudine Monteil rappelle que le Comité de rédaction de la Déclaration était composé de seize hommes pour deux femmes : Eleanor Roosevelt (Etats-Unis) et Hansa Mehta (Inde). La France était représentée par René Cassin. Eleanor Roosevelt, ancienne Première dame des Etats-Unis, y a joué un rôle primordial et a été élue présidente du comité de rédaction, avec Hansa Mehta. En parallèle, les femmes diplomates de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies, effectueront des pressions auprès de ce Comité de direction pour que les droits des femmes soient clairement pris en compte dans le texte de la Déclaration.

Les négociations prendront deux ans, à la suite de très longues discussions pour que les délégués hommes acceptent la prise en compte des questions des droits des femmes et de l’égalité dans le texte.

Eleanor Roosevelt, engagée pour les droits humains et pour les droits des femmes

Féministe depuis sa jeunesse et sa formation auprès d’une féministe française Marie Souvestre, elle s’engage plus encore dès 1921 pour les droits sociaux, les droits des femmes américaines, militant pour la réduction du temps de travail des travailleuses de 55 à 48 heures, l’augmentation du salaire minimum et l’abolition du travail des enfants.

En avril 1945, à la suite du décès de Franklin Roosevelt, Harry Truman devient le nouveau président des Etats-Unis. Il propose à Eleanor Roosevelt, très populaire et reconnue mondialement pour ses engagements, d’être membre de la Délégation américaine des Nations Unies. Eleanor Roosevelt accepte et est élue à l’unanimité à la Présidence de la Commission des droits humains à l’ONU.

Hansa Metha, grande dame de l’indépendance de l’Inde

Née le 3 juillet 1887 à Bombay, Hansa Mehta, très active dans le mouvement pour l’indépendance de son pays auprès de Gandhi est emprisonnée, puis libérée. Elle présente symboliquement le premier drapeau de l’Inde le 15 août 1947 au nom des femmes indiennes, participera au comité de rédaction de la Constitution de l’Inde et sera ambassadrice de l’Inde auprès de l’Unesco.

A partir de 1947, elle est désignée pour représenter l’Inde au comité de rédaction de la Déclaration universelle. Seule femme avec Eleanor Roosevelt face aux seize autres diplomates hommes, elle leur tiendra tête et imposera une rédaction prenant en compte les droits des femmes.

Article après article, ces deux femmes, secondées par les femmes diplomates de la Commission de la Condition de la Femme des Nations Unies, imposeront une rédaction qui prendra en compte les revendications féministes.

Hansa Mehta, à l’article 1 de la Déclaration, refusera le terme « tous les hommes » pour représenter l’ensemble des habitant·es de la planète. La mention du mot « homme » aurait été, selon elle, utilisée dans de nombreux pays pour exclure les femmes de leurs droits, y compris en Inde. Le texte se lit avec la terminologie suivante : « Tous les êtres humains… »

Hansa Mehta insista à l’article 2 pour que le mot « sexe » soit bien inscrit, alors que la plupart des délégués le refusaient par peur d’ « offenser » la sensibilité de certains peuples. Le texte devait inclure les femmes de manière claire et sans ambiguïté : « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment, de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de tout autre opinion etc…. » 

Bertha Maria Julia Lutz (Brésil), diplomate et l’une des premières parlementaires brésiliennes, a lutté pour faire inscrire « l’égalité des droits des hommes et des femmes » dans le Préambule de la Déclaration et pour l’ajout du mot « sexe » dans l’article 2.

La Begum SHAISTAS SUHRAWARDY IKRAMULLAH ( Pakistan) s’est battue pour obtenir à l’article 16 l’inclusion des droits égaux entre hommes et femmes dans le cadre du mariage, afin de combattre les mariages d’enfants et les mariages forcés.

Marie-Hélène Lefaucheux (France) ancienne résistante, présidente de la Commission de la Condition de la Femme des Nations Unies (1948-1952) a agi pour que le droit international des femmes prenne une importance croissante et soit progressivement transcrit dans les législations nationales des Etats membres de l’ONU.

Minerva Bernardino (République dominicaine) pionnière dans la création de la Commission de la Condition de la Femme, a aussi insisté pour inclure « l’égalité hommes-femmes » dans le Préambule.

Une nouvelle génération de diplomates : l’ambassadrice Delphine O

Delphine O, plus jeune ambassadrice dans l’Histoire, dans son essai La diplomatie féministe est un sport de combat souligne l’importance de la commémoration de la signature de la Déclaration pour marquer les nouvelles frontières des droits humains comprenant les LGBT, les handicapé·es, le droit à l’environnement… Face la montée en puissance des mouvements anti-droits, orchestrés actuellement dans le monde entier, il s’agit plus que jamais de défendre les droits acquis menacés. Il est urgent de déployer les forces de la lutte diplomatique et de la « diplomatie féministe » sur la scène internationale comme l’explique son livre très vivant et percutant.

Annie Richard Présidente d’honneur de Femmes Monde

Delphine O La diplomatie féministe est un sport de combat , Ed. Taillandier 2023

Claudine Monteil Marie Curie et ses filles, Ed. Calmann-Lévy, 2021 et Harper Collins Poche, Paris 2022.

Photo de Une, de gauche à droite : Claudine Monteil, Julie Marangé, Delphine O, Céline Thiébault-Martinez

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