Articles récents \ Chroniques Chronique l’aire du psy : De quoi la tribune du Figaro pour Noël est-elle le symptôme ?

Pour Noël, m’a été offert un joli opuscule féministe intitulé En bons pères de famille. Son autrice se nomme Rose Lamy. Je ne résiste pas à citer la fin de cet essai de fiction sociale : «Les hommes violents ne sont ni des monstres affreux, ni les héros d’un roman national inventé pour les dédouaner de leurs responsabilités. Ils sont là, parmi nous, exactement dans la norme sociale, au cœur de nos foyers, ce sont nos pères, nos maris, nos compagnons, nos fils, nos cousins, nos amis. Et tant que la société n’aura pas accepté cet état de fait, nous ne saurons mettre fin aux violences domestiques» (1)

«Ben quoi, si on peut plus rigoler alors !» Eh ben non, il va falloir revoir les ressorts de la plaisanterie. L’humour ne doit plus pouvoir se faire sur le dos de celles et ceux sur qui il était facile de taper allègrement : les femmes et les enfants d’abord, les étrangers, noirs et arabes en priorité, les pédés, gouines et autres qualificatifs déconsidérant dont je n’entends pas dresser ici la liste. J’en ai juste extrait quelques-uns, parmi les plus marquants. Non, ce n’est pas le politiquement correct qui m’anime. Non, je ne prétends pas faire la police des mots ou jouer les moralistes de service !

Venons-en au cadeau empoisonné qu’a livré le Père Noël du Figaro. Comment faire le buzz autour d’un comédien, dont le patronyme reste un emblème pour qui s’intéresse à la théorie de l’inconscient ! J’ai pour habitude de me méfier des dieux, car en leurs noms, beaucoup de crimes sont commis, beaucoup d’atrocités, de violences surviennent par dieux interposés. Alors que l’appareil législatif vient de vendre son âme en votant pour ratisser très à droite, survient une tribune prétendant qu’une chasse à l’homme, un lynchage médiatique, une attaque de l’art est en marche ! La présomption d’innocence est brandie comme si la justice populaire entendait se substituer à la vraie justice !

Un comédien fait l’objet de plusieurs plaintes. Un journaliste, un ministre en ont fait l’objet. Parfois un non-lieu survient. La justice a tranché, diront certains. Certaines diront encore un qui s’en tire sans dommages, nous sommes les dommages collatéraux… Mais voilà, plus ça va, moins ça va. Les langues se délient, les pressions s’accentuent. Un président a même cru s’en tirer en annonçant le lancement de l’élimination des violences à l’égard des femmes comme grande cause du quinquennat. C’était le 25 novembre 2017.

Et puis voilà que le 7 décembre dernier, la chaine télévisée France 2, à travers le magazine Complément d’enquête, donne à voir et à entendre une facette d’un comédien aux frasques nombreuses et aux provocations toujours plus percutantes. Mais cette fois, il va trop loin. La sexualisation d’une fillette à cheval dépasse l’entendement. La pédocriminalité a eu son heure de gloire du temps où un Matzneff pouvait impunément affirmer sa pédophilie en gardant précieusement dans sa poche une lettre du président Mitterrand. La dépénalisation de l’homosexualité a été une avancée importante en 1981. La confusion entretenue sous couvert de libération sexuelle, de liberté des mœurs a permis à nombre de pervers de prospérer et d’abuser de jeunes enfants impubères et/ou prépubères.

Cette époque est révolue. Non, un acteur quand bien même serait-il ou aurait-il été talentueux, ne peut pas tout dire. Ses projections malsaines d’un homme vieillissant sur la jouissance qu’une petite fille pourrait éprouver relèvent aujourd’hui de l’inentendable. Le reportage de France 2 s’intitule malheureusement la chute de l’ogre et faire de ce comédien un monstre, c’est le rendre étranger à nous. Or comme l’affirmait si bien Adèle Haenel lors de son témoignage poignant auprès de Marine Turchi : «Les monstres ça n’existe pas. C’est notre société. C’est nous, nos amis, nos pères. Il faut regarder ça. On n’est pas là pour les éliminer, mais pour les faire changer» (2).

Il ne s’agit pas d’instruire le procès d’un acteur en place publique, mais de s’opposer fermement à ce qu’un homme puisse proférer de telles infamies. Il ne doit plus être entendable qu’un adulte puisse fantasmer une sexualité avec un enfant. C’est proscrit et ça ne se discute pas. Lorsque Freud a théorisé la sexualité infantile, il formulait la libido infantile. Cela n’a jamais constitué un passe-droit pour nouer une sexualité avec un enfant. Quand bien même l’enfant se montrerait séducteur, c’est à l’adulte de dire non, d’affirmer que le désir, qui pourrait lui être présenté, se trompe d’adresse. Il faut lire ce beau texte de Sandor Ferenczi écrit en 1932 et intitulé Confusion de langue entre les adultes et l’enfant  (3). Au langage de la tendresse de l’enfant, l’adulte ne doit pas lui substituer le langage de la passion. Puisse le cadeau empoisonné du Figaro permettre d’affirmer que l’art n’est pas au-dessus des lois, que l’artiste est comptable de ses œuvres, de ses actes et de ses dires.

Daniel Charlemaine 50-50 Magazine

1 Lamy (Rose) En bons pères de famille, JC Lattès, 2023, p. 194.

2 Médiapart «#MeToo dans le cinéma», 3 novembre 2019. Je renvoie ici également à ma chronique parue dans 50/50 le 8/11/2019 et intitulée «Cinéma et psychanalyse : dénoncer sans porter plainte».

3 Publié dans la Petite Bibliothèque Payot.

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