Articles récents \ France \ Société Le tour de France des mères des quartiers
Lorsqu’en juillet dernier la mort du jeune Nahel lors d’un contrôle de police provoque des émeutes un peu partout en France, l’association Les Mariannes de la diversité décide d’entreprendre un tour de France pour écouter les femmes des quartiers et organise plusieurs centaines de rencontres dans une vingtaine de villes. Le résultat ? Un ensemble de propositions innovantes dont on espère que les pouvoirs publics vont s’emparer. Elles les ont récemment présentées ensemble à Paris.
C’est en 2006, à la suite déjà d’émeutes qui avaient embrasé les banlieues que les « Mariannes de la dversité » avaient vu le jour. Née de la conviction que les femmes sont l’âme de ces quartiers dits populaires, et qu’il fallait aller à leur rencontre, l’association, laïque, féministe et apolitique, souhaite leur donner, depuis presque vingt ans, une image positive. Pour Fadila Mehal, sa fondatrice et présidente, c’est en effet le regard que l’on porte sur ces populations qu’il faut changer. « Ces femmes sont pour nous les sentinelles de la cohésion sociale, et lorsque, comme l’été dernier, tout s’est embrasé, nous les avons vues se lever et éteindre le feu qui couvait au cœur de leurs fils. »
Car même si ce Tour de France n’était pas prévu, les Mariannes ont voulu essayer de comprendre ce qui se passait pour que des adolescents de quatorze ans brûlent les voitures de leurs parents et leurs propres lieux de vie . Pour Samia Messaoudi, membre de Femmes Solidaires cette violence nihiliste qui débordait partout, dans les campagnes comme dans les villes, est bien due au racisme latent de la société française, comme l’avait dénoncée en 1983 la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Autrice d’un livre sur la fameuse marche d’il y a quarante ans, elle souligne combien « il est vraiment nécessaire de continuer à lutter, et pour cela de raconter ce qu’avaient fait les aîné·es, leur restituer leur histoire, et rendre ces jeunes fier·es »…
Ce racisme qui fait honte aux mères des quartiers lorsqu’elles entendent le pouvoir souligner leur manque d’autorité, comme si elles étaient responsables de ce qui été arrivé l’été dernier, les voitures et les bâtiments brûlés, la police agressée, par leur incapacité à élever leurs fils. » Comme si nous étions différentes des mères des beaux quartiers ! » s’emporte Mebrouka Hadjadj, représentante de l’amicale des locataires de la Courneuve. » Pour nous, c’est tout simplement du mépris, du manque de considération… ».
A la fin de ces rencontres organisées aux quatre coins du pays par les antennes régionales de l’association, un constat : toutes les femmes le reconnaissent, le pouvoir à la fois des fondamentalismes religieux radicalisés mais aussi des réseaux sociaux a changé la donne depuis plus de dix ans. « C’est aujourd’hui l’humain qui manque, souligne Fadila Mehal, il disparaît peu à peu par la faute des écrans et du numérique qui favorisent les explosions de colère des jeunes. Alors, c’est vrai, il est fréquent d’avoir envie de baisser les bras face à ceux qui veulent rester enfermés dans leurs convictions. Mais il ne faut pas oublier que les fils osent rarement désobéir à leur mère, ils se taisent et leur obéissent, d’où l’importance de valoriser ces femmes. Si aucune d’entre elles ne souhaite voir son enfant devenir délinquant, ce dont elles nous ont parlé cet été, c’est de la difficulté d’exercer leur autorité dans une société où les repères, la famille traditionnelle s’efface peu à peu avec le nombre grandissant de familles monoparentales. Si la nouvelle génération de filles profite de la méritocratie de l’école ou du mentorat qu’on leur propose, les garçons suivent moins le mouvement, dans une société où l’homme est encore la figure omniprésente. »
Alors, issues de ce parcours, que l’association n’hésite pas à qualifier d’initiatique, les propositions recueillies reflètent bien combien ces femmes de tous âges ont une vision très claire de ce qu’il faudrait faire pour améliorer la vie quotidienne. Ces idées « frappées au coin du bon sens » comme le remarque Fadila Mehal, sont parfois si originales qu’on craint vite qu’elles ne soient pas entendues. Preuve de la capacité pragmatique des femmes à imaginer la paix, elles vont de la création d’espaces parent -élèves au sein des écoles à de vrais cours sur la sexualité et le genre afin de lever tous les malentendus sur ces sujets, en passant par l’explication de la constitution française au sein de chaque classe par les élèves elles/eux mêmes ou l’importance d’enseigner l’histoire des pays d’origine des élèves issus de l’immigration. Sans oublier l’interdiction du tutoiement par les policiers, l’organisation des stages de 3ème dans des commissariats ou gendarmeries ainsi que des rencontres œcuméniques entre croyan·tes des différentes religions…
En attendant les « Etats généraux des quartiers populaires » que certain·es souhaiteraient organiser, ces préconisations font l’effet d’un feu d’artifice au service de l’imagination. Loin d’avoir été un mur des lamentations, elles sont la preuve que, si on leur laisse la parole, les femmes peuvent changer le monde !
Moïra Sauvage 50-50 Magazine