Articles récents \ DÉBATS \ Contributions L’association Hismaël Diabley Junior, indispensable relais de la prévention des rixes à Paris

Le 13 janvier 2018, le jeune Hismaël Diabley, s’interposant, avec tout le courage de ses quinze ans, dans une rixe entre deux groupes de jeunes de quartiers différents, était tué d’un coup de couteau.

Pour ses parents et sa sœur Christine rien ne sera plus comme avant, tant la perte de leur enfant et frère laisse inconsolable leur cœur. Or, malgré la déchirure du deuil impossible, quelque chose d’Hismaël continue de se manifester, car le souvenir de ce jeune homme, très apprécié dans son quartier, ramène chez les Diabley les ami·es de l’adolescent et leurs parents. Tout un voisinage en peine qui ne veut laisser la famille à son chagrin.

Au cours des échanges avec les jeunes gens s’expriment souvent le regret, la culpabilité mais aussi le sentiment, partagé par tou·tes, de l’urgence à se mobiliser : en 2020, plus de deux-cents jeunes ont été blessés dans des rixes à Paris.

C’est ainsi qu’au début de la même année est créée l’association Hismaël Diabley Junior (HDJ) dont le nom rappelle la vocation : prévenir les rivalités meurtrières entre adolescents par des actions d’information et de sensibilisation. Mais aussi, dès qu’une rixe menace, intervenir grâce à une mobilisation sur le terrain auprès des jeunes, des parents, des associations amies, pour empêcher un nouveau drame.

Aoua et Magloire Diabley, parents d’Hismaël et fondateurs de l’association, n’ont pas ménagé leurs efforts depuis trois ans. Un film a été réalisé, La chaîne qui rassemble, projeté lors des nombreuses réunions de sensibilisation et de prévention auxquelles participe l’association HDJ.

Aoua Diabley a constitué un réseau avec d’autres mamans touchées directement ou indirectement par les rixes.  Des mamans qui s’alertent mutuellement, avec l’aide de Christine Diabley qui surveille les réseaux sociaux où s’attisent les tensions entre adolescents. Avec d’autres parents, Aoua Diabley va à la rencontre des jeunes, met en place des maraudes  visant à calmer les esprits. Sachant que, pour les parents, garder les enfants à la maison est bien le moyen le plus rapide et sécurisant d’agir.

Pour mener son action, HDJ est en lien avec de nombreuses associations de quartiers :

Association des Mamans de la banane les Amandiers Paris 20e 

Les Médiateurs et médiatrices du 20e

Femmes relais (20e)

Collectif des mamans de Couronnes et d’ailleurs (20e) 

Les brigades des mamans (20e) 

Benkadi Afema XX (20e) 

Association Vivre ensemble Maroc Tanger Paris 19e 

Les mères en place Paris 19e 

Association Les mères combattantes Paris 19e 

L’association Notre village à tous Paris 18e 

L’association des mamans du 17e Paris 

Le centre social Relais 59 (12e

L’association Les 12 Sourires Paris 12e 

Association Mixité participative du 12e 

Association Franco Africaine des femmes parisiennes (Paris 12e) 

Association SADA à Garges-lès-Gonesse 

Association Pas de la même ville et alors (Pré-Saint-Gervais)

Collectif des familles victimes (Marseille)

Autant d’énergies fédérées pour prévenir de nouveaux drames, autant d’appuis précieux pour les Clubs de Prévention comme celui des Réglisses 20e avec lesquels les associations d’habitant·es sont en lien. Sans cette mobilisation, la puissance publique serait bien en mal d’apporter une réponse efficace au problème. La Ville de Paris l’a bien compris puisqu’elle sollicite très souvent Aoua Diabley, notamment à l’occasion de réunions avec les actrices/acteurs de la prévention ou avec les chercheur·es qui ont fait des rixes le sujet de leurs travaux.

Il en ressort qu’on ne peut se contenter de considérer ces manifestations de violence gratuites comme des conflits absurdes et sporadiques. D’autant qu’y participent des adolescents de plus en plus jeunes, certains ayant à peine douze ans, et que le phénomène s’étend en France. Cela, en ne faisant pas seulement des blessés mais des morts. Une de ses conséquences est d’enfermer les jeunes gens dans l’étroit périmètre où ils se sentent en sécurité, faisant de leur quartier l’horizon resserré de leur jeunesse. Même la fréquentation d’autres établissements scolaires devient risquée, y compris pour les élèves qui n’ont aucune part, personnellement, aux « embrouilles », comme ils les appellent.

Contre ce fléau, les associations de quartiers ne manquent pas de projets ou d’initiatives. Plusieurs manifestations ont été organisées en 2023, avec des ateliers de discussion, des animations pour les jeunes habitant·es. S’y ajoutent, pour Aoua Diabley, des interventions dans les collèges et lycées de Paris et de sa banlieue.

Pour l’année 2024, de nouveaux rendez-vous sont en préparation, notamment une grande marche contre les rixes au printemps. Une manifestation qui doit être préparée conjointement par les associations, les clubs de prévention, les établissements scolaires, et qui impliquera les jeunes dans sa préparation. Il est prévu que la déambulation se termine par un podium où animatrices/animateurs et public prendront la parole.

Aoua et Magloire Diabley, fidèles à la mission qu’elle/il se sont donné·es mais redoutent, faute de moyens de ne pouvoir un jour continuer, ont un autre projet : ouvrir une permanence où pourrait être accueillis les jeunes gens, organiser des réunions, des projections de films, des débats, des animations. L’association HDJ espère que la Ville de Paris donnera sa chance à cette espace de lien social. 

L’action publique, pour prévenir les rixes, ne pourra toutefois se reposer sur les seules initiatives des habitan·tes, aussi efficaces et nécessaires soient-elles. Car, les travaux des chercheur·es le montrent assez, ce dont ces irruptions de violence gratuite sont le symptôme, c’est de la désespérance d’une partie de la jeunesse. Une jeunesse qui peine à trouver sa place dans une société où les problèmes de logement, d’accès aux soins, à la culture, parfois à l’alimentation, frappent durement les foyers aux revenus modestes. Une société où l’école, face à toutes les difficultés économiques qui aggravent les inégalités scolaires, se trouve dans l’incapacité d’assurer son rôle d’ascenseur social, de prévenir la déscolarisation, d’offrir d’autres solutions que l’exclusion scolaire aux jeunes des quartiers populaires qui ont décroché. D’autant que l’insertion professionnelle se trouve parfois compliquée par les préjugés racistes et les discriminations à l’embauche.

Pour affronter de tels problèmes, les associations citoyennes comme HDJ sont indispensables. Tout d’abord, parce que leur connaissance précise de la situation des jeunes en difficulté peut inspirer et orienter les politiques à mener; ensuite, parce que les initiatives et les réseaux d’entraide de ces associations constituent de précieux relais pour la mise en œuvre de l’action publique.

Théophile Barbu Membre de la LDH 12e, écrivain public et administrateur au centre social Relais 59.

print