Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Marie Pape-Carpantier, fondatrice de l’école maternelle publique 2/2

Marie Pape-Carpantier (1815-1878) est pédagogue, libre-penseure et féministe. Elle est fondatrice de l’école maternelle publique à Paris et  autrice d’ouvrages pédagogiques.

Une pédagogue « féministe » et expérimentée à l’Exposition Universelle de Paris en 1867

En 1849, Marie Pape-Carpantier épouse, après de longues fiançailles, Léon Pape, rentré d’Algérie, fils de Claude Pape ancien directeur de la salle d’asile du Mans. Elle a deux filles et se retrouve rapidement veuve. Elle apprend la mort de son frère aîné Bernard installé à la Nouvelle- Orléans. Elle recueille son neveu et prend en charge son éducation. Elle publie des articles de pédagogie dans la revue l’Education nouvelle (dirigée par Jules Delbrück, pédagogue et fouriériste). Elle insiste sur l’intérêt de la leçon de choses comme pierre angulaire de son enseignement destiné aux jeunes enfants. Elle publie peu après un nouvel ouvrage aux éditions Hachette L’enseignement pratique dans les écoles maternelles. Les tracasseries administratives se multiplient surtout après le coup d’état de Napoléon en décembre 1851. L’école maternelle est considérée comme « séditieuse » (sic) et à la suite de la loi Falloux redevient un « Cours pratique des salles d’asile ». Des ami·es et des proches de Marie Pape- Carpantier sont menacés pour leurs idées politiques, certain·es s’exilent. Marie résiste et appuie son enseignement sur les nouvelles méthodes de Fröbel dans le contexte du Kindergarten (Jardin d’enfants) allemand. Elle relance toutes les activités ludiques et les jeux éducatifs de même que la rédaction de petits récits pour la lecture des jeunes élèves. Bon nombre de ces récits furent ensuite publiés dans la Bibliothèque Rose de Hachette sous le titre Histoires et leçons de choses pour les enfants.

Elle est chargée d’étudier les réformes à venir dans l’éducation des filles. Mais ces projets sont bloqués par la chute du ministère Duruy.

Après 1870, les soucis et la cabale. elle est renvoyée de l’école qu’elle avait fondée. En 1858, après le décès de son époux, Marie Pape-Carpantier a peu de ressources pour élever ses deux filles et son neveu orphelin. Elle continue son enseignement avec courage. Elle publie en 1861 un ouvrage de Géométrie naturelle aux éd. Hetzel, il s’agit de proposer une aide en dessin aux maîtresses du cours pratique. Certains traits du livre laissent à penser que Marie Carpentier s’était rapprochée des francs-maçons. L’ouvrage disparait rapidement des rayons et Hetzel par prudence refuse de le republier malgré les demandes. Pendant cette période, elle publie des articles sur la question des femmes et sur les disparités de salaires entre les hommes et les femmes. Elle se révolte en constatant l’impossibilité des femmes à accéder à certains métiers, quelles que soient les classes sociales, milite pour l’émancipation par l’instruction et  s’intéresse au féminisme de son époque,

La notoriété de l’autrice a dépassé les frontières nationales. Les travaux de Marie Pape-Carpantier sur les salles d’asile sont récompensés à Londres lors de la troisième Exposition universelle de 1862.

Victor Duruy ministre de l’instruction Publique intéressé par les travaux de Marie Pape-Carpantier

Victor Duruy devient ministre de l’Instruction Publique en 1863 sous Napoléon III. Il s’intéresse aux projets éducatifs de Marie et en particulier à ce qu’on nomme « l’Union scolaire » qui accueillerait les filles de l’école maternelle à l’école normale. Ce projet est une sorte de transposition discrète du fonctionnement éducatif du phalanstère. Marie Pape-Carpantier travaille à ce projet avec acharnement mais le ministre Duruy n’est pas soutenu par son gouvernement. Toujours active elle complète son enseignement par des cours gratuits donnés le soir aux femmes modestes du quartier du XIIème (actuel Vème arrondissement où se situe son école pratique). Ses ouvrages pédagogiques se succèdent à un rythme régulier aux éditions Hachette dont les Jeux gymnastiques avec chants pour les enfants des salles d’asile; elle coopère avec le musicien Allyre Bureau.

Elle publie aussi plusieurs ouvrages intitulés Enseignement par les yeux, il s’agit de planches de grand format où sont représentés des animaux. Ils illustrent ses manuels sur la Zoologie des salles d’asile et des écoles élémentaires.

En 1867, à l’occasion de l’Exposition Universelle à Paris, le ministère de Victor Duruy prépare une opération dirigée envers les institutrices/instituteurs de tous les départements. Des délégué·es sont invité·es à Paris, grâce à une souscription nationale. Elles/ils ont l’occasion de visiter l’exposition, des musées mais aussi d’assister à des conférences pédagogiques. Marie Pape-Carpantier est chargée de leur présenter la méthode des salles d’asile. Elle fait 5 conférences en Sorbonne en août et septembre 1867, première femme à prendre la parole en Sorbonne. Elle donne des leçons de choses, apporte du matériel pédagogique innovant, sur des sujets comme le pain, le vêtement, la locomotion, le bâtiment. C’est un vrai succès dont témoigne la presse. Dans le grand amphithéâtre, chaque conférence réunit près de mille cinq cents auditeurs. Des comptes rendus sont publiés dans la revue L’ami de l’enfance, journal des salles d’asile aux éditions Hachette. A cette période Marie aborde la question de l’égalité entre les institutrices/instituteurs. Elle estime que l’éducation doit être dispensée aux deux sexes, sans discrimination ! A l’époque de telles idées paraissent révolutionnaires et choquent bon nombre d’esprits.

Peu après 1867 Marie  Pape-Carpantier est nommée inspectrice générale des salles d’asile, chargée d’étudier les réformes à venir dans l’éducation des filles. Mais ces projets sont bloqués par la chute du ministère Duruy.

La guerre de 1870 et la Commune attisent ses idées républicaines. La république de Mac-Mahon s’installe et on apprend que le 1er octobre 1874 un « congé d’inactivité » est accordé à Marie Pape- Carpantier. En fait la pédagogue vient d’être congédiée et chassée de son école. Pour certai·nes la cause serait ses idées de libre-penseuse ! La stupeur est grande, des ami·es et des collègues tentent d’intervenir en sa faveur. Elle sera réhabilitée quelques mois avant sa mort car elle est déjà malade et épuisée. Elle tente un dernier effort pour préparer la section pédagogique de l’Exposition Universelle de 1878 où elle doit présenter son dernier livre Notice sur l’éducation des sens et quelques instruments pédagogiques. Elle met l’accent sur l’observation des enfants et les travaux manuels afin que les petit·es découvrent les volumes, les couleurs, les sons.

Elle meurt brutalement en juillet 1878 à Villiers-le-Bel où elle s’était réfugiée dans une modeste maison. Après des funérailles à l’église St Jacques, elle est inhumée au cimetière Montparnasse. Marie Pape- Carpantier fut vite oubliée. Cependant bon nombre de ses idées seront reprises par la suite, et ses ouvrages republiés régulièrement jusqu’en 1914, certains traduits en plusieurs langues.

A la génération suivante une autre pionnière de l’éducation maternelle œuvre: Pauline Kergomard qui est née Reclus (1838-1925). Elle transforme l’organisation des salles d’asile en écoles maternelles à partir de 1881 à l’époque des lois de Jules Ferry et devient inspectrice générale de l’enseignement maternel public.

Catherine Chadefaud Agrégée d’Histoire, secrétaire générale de l’association Réussir l’Egalité Femmes–Hommes (REFH) 

 

 

 

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