Articles récents \ Monde Anwar Mabrouk : « Gaza et ses habitant.es, sont avant tout des Palestinien.nes comme nous »

Comment vit-on aujourd’hui en Palestine, loin des bruits de bombes mais sous une occupation exacerbée par le conflit ? Anwar Mabrouk, jeune habitante de Ramallah en Cisjordanie raconte son quotidien.

Vous êtes interprète de français, comment en êtes-vous venue à choisir ce métier?

Ici, c’est vrai, peu de gens parlent français! Mais j’ai toujours aimé les langues étrangères et je l’ai étudié à l’université de Naplouse, puis j’ai travaillé dans le cadre d’échanges entre des collectivités palestiniennes et françaises. La France, j’ai eu l’occasion d’y faire des séjours, à Lille, Toulouse ou Rodez, villes jumelées avec des villes de chez nous. J’ai depuis deux ans quitté ma ville natale de Tulkarem pour vivre à Ramallah.C’est une plus grande ville que Tulkarem qui est encore assez traditionnelle. Mes parents n’étaient pas ravis que j’aille vivre seule, mais ils sont finalement assez ouverts et ont accepté que je vive seule. Par contre mon frère est toujours à Tulkarem et je vois bien la différence de la vie là bas avec la mienne, qui n’est pas si différente d’avant le conflit de Gaza. Ce dont nous souffrons tous depuis longtemps, c’est à la fois des coupures d’électricité et du manque d’eau, tout étant contrôlé par Israël, et comme les étés sont terriblement chauds ici, c’est facilement infernal.

A Gaza, justement, avez-vous des amis, de la famille?

Oui, bien sûr, j’ai d’anciens collègues qui y habitent, et nous communiquons tous les jours sur ce qu’ils y vivent. Nous sommes de toute façon très proches de tout ce qui se passe à Gaza. Gaza et ses habitant·es, sont avant tout des Palestinien·nes comme nous. D’être seule à être à Ramallah me stresse continuellement, sans savoir exactement, malgré les contacts téléphoniques, ce qui se passe ailleurs, que ce soit pour eux à Gaza ou pour mes proches à Tulkarem. J’ai demandé de pouvoir travailler à la maison, car ça me permettrait de retrouver ma famille. Elle habite près du camp de réfugiés de Nour Shams, et celui-ci est perpétuellement attaqué par l’armée israélienne. Mon frère me raconte par exemple que trente véhicules arrivent en même temps et que toute la vie s’arrête pendant parfois jusqu’à quarante heures : écoles, travail, marchés, tout est interrompu pendant que Tsahal fouille les maisons et arrête les jeunes gens à la recherche de résistants. Mais le pire, c’est la destruction de maisons par les drones qui survolent les habitations. La maison de mes parents est si proche du camp qu’ils entendent tout, et je suis inquiète que mon frère se fasse arrêter lors d’une de ces incursions, car la méfiance de l’armée est telle que n’importe qui peut être emmené…

Depuis le 7 octobre, la pression des colons se ressent-elle plus?

Oui, bien sûr, à la fois parcequ’ils attaquent les routes et que nous sommes obligés de changer de trajet lorsque nous voulons aller quelque part – avant je mettais d’habitude une heure pour rejoindre Tulkarem, ce qui est impossible maintenant – mais aussi parce que sous leur influence l’armée a augmenté le nombre de check points : ils nous font attendre indéfiniment et prennent nos téléphones afin d’y rechercher les images et vidéos qui parleraient de la situation en Palestine avant de nous frapper s’ils en trouvent. Alors moi, je cache mon téléphone au fond de mon bagage car c’est vraiment dangereux. De même lorsque les soldats israéliens entrent dans les maisons, ils prennent les téléphones et y postent sur Facebook des drapeaux israéliens!

Il y avait il y a quelques années encore des associations juives qui venaient soutenir les Palestiniens, lors des récoltes, par exemple. Qu’en est-il aujourd’hui?

Il est beaucoup plus difficile aujourd’hui pour ces associations gauchiste pacifiques de pénétrer en Palestine comme avant car la situation est très sensible. Leur militantisme pro-palestinien devient impossible contrairement à ce qui pouvait exister ces dernières années. Mais  c’est important de noter qu’il y a des attaques par des colons contre les Palestinien·nes lors des récoltes, où ils brûlent les terres, les voitures, et les maisons dans les villages palestiniens. Et pourtant. Nous, les Palestinien·nes, ne sommes pas opposés à la religion juive. Il existe des Juives/Juifs palestinien·nes, comme la communauté des Samaritains à Naplouse, et il y avait des Juives/Juifs palestinien·nes avant 1948. Notre problème réside dans l’occupation et les attaques perpétrées par l’armée. Le 11 décembre, j’ai quand même participé à une grève internationale de solidarité à la Palestine, lorsque l’association sportive pour laquelle je travaille s’est mobilisée. Tout le monde ici s’est investi dans cette grève car la guerre nous atteint aussi cruellement sur le plan financier, avec l’arrêt de tous les projets. On espère tant que demain sera meilleur, même si je ne fais pas de politique, on ne peut s’empêcher d’espérer…

Propos recueillis par Moïra Sauvage

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