Articles récents \ France \ Société Valérie Metzger: « Beaucoup d’enfants sont en attente de placement dans des foyers d’urgence depuis trop longtemps »2/2

1 enfant sur 5 meurt tous les jours en France après avoir été victimes de violence, 23000 sont victimes de violences sexuelles, 143000 sont exposés aux violences conjugales1. Ainsi, plus de 325.000 enfants sont placés en France. Qui sont ces éducatrices et éducateurs qui les reconstruisent ? Comment aident-ils ces enfants en souffrance ? Quelles sont leurs difficultés au quotidien ? Depuis 2007, Valérie Metzger, responsable de foyer et son équipe accueillent des enfants retirés de leur famille biologique, pour maltraitance ou immaturité parentale, sur les collines de Nice dans une jolie maison avec un grand jardin rempli d’animaux en tous genres. Ce sont des bébés à partir de 2 ans, de jeunes enfants, des ados qui trouvent leur place dans ces foyers et pour la majorité, qu’ils quitteront à leurs 18 ans avec parfois un délai supplémentaire jusqu’à 21 ans si le conseil départemental accorde la signature d’un contrat jeune majeur.

Comment faites vous pour ne pas craquer ? Il existe un turnover important dans votre profession ?

Nous ne sommes pas des robots. Chaque individu porte en lui son cadre de référence issu de sa propre histoire notamment de son éducation et de ses expériences personnelles, et de ce fait, chaque professionne·lle sera plus à même de gérer émotionnellement telle ou telle situation avec les enfants. Les analyses de pratique managées par un thérapeute expérimenté également éducateur spécialisé, nous permettent de verbaliser nos ressentis, d’élaborer des réflexions communes, la solidité d’une équipe se construit ainsi. La parole de chacun·e est accueillie avec bienveillance et professionnalisme nous permettant de trouver des solutions pratiques qui vont permettre à l’éducateur de surmonter une difficulté émotionnelle lors d’une situation particulière (ex : départ d’un enfant, violence verbale ou physique d’un·e adolescent, anorexie d’un·e autre).

Plus le nombre d’enfants est important, plus le turnover va être conséquent, car il est induit par le nombre d’éducateurs nécessaires à leur prise en charge. Nous avons vécu ce turnover en passant d’un agrément de 7 à 10 enfants sur une période de 2 ans. Nous avons très rapidement constaté les dégâts occasionnés sur le comportement des enfants. Les progrès qui semblaient acquis, s’envolaient peu à peu. J’ai donc pris en conséquence la décision à l’occasion de 2 départs consécutifs d’adolescentes de ne pas les remplacer et de redescendre le nombre d’usager à 8 réduisant ainsi le nombre d’éducatrices/éducateurs. Très rapidement nous avons pu observer les bénéfices de cette initiative.

Malheureusement la demande et les besoins sont tels que les foyers d’urgences, les grosses structures, sont indéniablement confrontés à ce turn-over.

Quelles sont les qualités requises pour ce métier particulier ?

L’éducatrice/éducateur  doit être, avant tout, un.e adulte responsable car il a un rôle d’exemplarité aux yeux de l’enfant, les qualités requises sont nombreuses et connues. L’alchimie de la réussite reste pour moi l’intégration de toutes les notions théoriques, leur mise en pratique sur le terrain avec comme support principal son humanité et son cœur. Les notions de partage, de lien, de vivre avec, de confiance prennent alors tous leurs sens. Trop souvent, les centres de formation n’accordent le titre de posture professionnelle qu’à la condition de refouler les émotions personnelles.

Après 33 ans de pratique professionnelle je suis convaincue qu’un·e enfant a besoin avant tout de se sentir aimé, important aux yeux de celui qui s’occupe de lui. Le lien authentique créé pendant des moments partagés, chargés d’émotions (qu’elles soient dans le bonheur ou dans la souffrance) le soutiendra toute sa vie, consciemment ou pas. Si l’enfant souffre et qu’elle/il ressent toute la tristesse que son éducateur a pour lui, c’est déjà un combat de gagné, pas la guerre bien sûr, mais une bataille lui permettant dans un climat de confiance de se sentir un être humain digne d’intérêt et d’amour.

Depuis que vous accueillez ces jeunes, avez-vous l’impression que la demande de placement en foyer est en augmentation ?

Beaucoup d’enfants sont, en effet, en attente de placement dans des foyers d’urgence depuis trop longtemps. Le département a mis en place une plateforme d’orientation pour remédier au mieux à cette problématique et nous travaillons en collaboration avec les responsables de cette initiative. Lorsqu’une place se libère sur le Lieu de vie, très rapidement les services de protection de l’enfance nous interpellent. Nous essayons alors de trouver parmi les situations prioritaires via la plateforme, l’enfant qui bénéficierait au mieux de notre prise en charge, sans mettre en danger nos propres usager·es, tout en priorisant les situations qui perdurent depuis trop longtemps en foyer et celles qui mettent en évidence l’état de vulnérabilité d’un enfant en particulier.

Recevez-vous plus de filles que de garçons en général ?

Il n’y a pas de règle, cela fluctue selon les années, nous essayons de maintenir une parité mais ce n’est pas toujours possible. Actuellement nous accompagnons 4 filles et 4 garçons mais très prochainement un garçon remplacera une jeune adulte qui prend son envol.

Pour quels motifs ces jeunes sont-ils placés ?

Un·e enfant est toujours retiré·e de sa famille quand il y a une notion de danger physique ou moral. Le magistrat ordonne alors un placement et tous les actrices/acteurs de la protection de l’enfance se mettent en marche pour placer la victime dans une structure sécure. Les lieux d’accueil sont des prestataires de l’aide sociale à l’enfance qui essaient au mieux de participer à la reconstruction des enfants qui leurs sont confié·es.

Gardez-vous des liens une fois que ces jeunes prennent leur envol ?

Vous relevez un point essentiel de notre accompagnement. Les jeunes qui prennent leur envol savent que le lieu de vie reste toujours leur maison même après leur départ. Bien souvent, les jeunes mettent en place des situations conflictuelles rendant plus facile la séparation et leur envol. Cependant, fort de cette base solide de liens tissés depuis des années, elles/ ils savent qu’en cas de difficultés elles/ils pourront toujours compter sur nous. Elles/Ils prennent alors le temps de leur reconstruction extra-muros et reviennent lorsqu’elles/ils sont prêt·s, car ces ex-enfants, ex-adolescent·es et nouveaux adultes se savent importants et aimé·es.

Elles/Ils s’investissent souvent d’un rôle d’ainé·e auprès des plus jeunes récemment accueilli·es, participent à leur anniversaire, assistent aux fêtes familiales, emmènent leur compagne ou compagnon qu’elles/ils sont fier·es de nous présenter et dont nous faisons connaissance avec plaisir. L’équipe organise pour ces anciens usager·es devenu·es autonomes les anniversaires importants de leur vie, 18, 20 et récemment 30 ans. Nous rajoutons des tables pliantes dans le salon formant ainsi une grande famille atypique !

Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine

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