DÉBATS \ Témoignages Anne Darbes : « Dans les foyers il y a de la drogue, de la prostitution, de la violence »

J’ai 57 ans, je suis née garçon à Nice, sous de Gaulle, à une époque où les droits des enfants n’étaient pas aussi élaboré qu’aujourd’hui.

J’ai été abandonné dès ma naissance, dans une pouponnière et ensuite on m’a placé en foyer. A l’époque les foyers étaient très grands, il y avait entre 150 et 200 gamins. Je me souviens qu’à l’âge de quatre ans, on m’a adopté. L’adoption n’a duré qu’un an. La D.A.S.S. m’a retiré de cette famille, suite à des mauvais traitements et remise dans des foyers.

J’ai connu la solitude de l’âme et du ressenti. On est très seule en foyer, à se poser beaucoup de questions et à pleurer.

A cette époque, les enfants des foyers étaient considéré·es comme des délinquant·es, des enfants perdu·es. Nous étions quinze à vingt par dortoir. Les enfants pleuraient et cauchemardaient beaucoup. C’était très difficile de dormir.

On ne nous appelait pas par nos prénoms, nous avions des numéros collés à nos vêtements.

Avant, on avait école dans le foyer mais à partir d’un certain âge on allait en extérieur.

Un jour, en traversant un parc, je suis tombée sur un monsieur qui s’avançait vers moi. Je me souviens qu’il était jeune et avait un pantalon en jean. Je ne me souviens pas de son visage. Il avait l’air très gentil. Il m’a demandé mon prénom et a commencé à me caresser.

Je ne comprenais pas qu’il faisait. Il a baissé son pantalon, m’a touché de nouveau et il s’est masturbé. Je ne voyais pas le mal. J’étais un peu émerveillée par ce que je voyais. Pour la première fois, je voyais un homme éjaculer. Il est parti en vitesse et m’a donné des bonbons.

Arrivée à l’école j’en ai parlé à tout le monde. Personne n’avait l’air de me prendre au sérieux. Je suis rentrée au foyer et je suis allée voir un éducateur.

Je lui raconte tout et l’éducateur me dit d’aller me coucher. Je ne me voyais pas comme une victime ayant croisé un pédo-criminel. Pour moi, ce que j’avais vécu n’était pas grave, c’était normal. Mais inconsciemment j’ai compris, dans la mesure où il m’avait touché et donné des bonbons, que mon corps avait une valeur marchande. Ensuite j’ai changé de foyer. En fait, j’ai changé sept fois de foyer et au total, j’ai passé 15 ans dans ces structures.

Il faut savoir que les foyers sont des lieux violents. Certains sont mixtes. On avait très peu d’argent de poche, mais je voyais que certain·es arrivaient avec des sommes énormes. Je leur demandais comment elles/ils avaient eu cet argent. Un garçon m’a dit « tu vois devant le foyer, il y a des mecs qui parlent avec les jeunes, donc tu parles avec eux et ils vont te donner de l’argent » 

C’est de cette façon que j’ai rencontré des prédateurs sexuels. Je ne voyais pas le mal. En plus j’étais en manque affectif, je n’ai pas de famille. Ce genre de personnes savaient très bien parler avec moi. Ils savaient être attentionnés, gentils, tout ce dont j’avais besoin, ils compensaient un manque affectif.

C’est de cette façon que je suis entrée dans la prostitution à 14/15 ans.

La prostitution masculine est différente de la prostitution féminine. J’ai connu les deux, la prostitution avec un sexe d’homme et la prostitution avec un sexe de femme.

J’ai bien vu la différence, en tant qu’homme ce n’est pas la même chose. Il y a moins d’agressions dans le milieu homosexuel… C’est le jeune homme qui se prostitue qui mène la danse. On a l’impression d’avoir suffisamment de force pour se défendre. Ce milieu ne nous semblait pas agressif. Nous avions l’impression de garder le contrôle. J’ai commencé à me prostituer dans les boites où il y avait des travestis.

Dans les foyers il y a de la drogue, de la prostitution, de la violence. Les éducateurs sont complètement impuissants face à ces problèmes. Les enfants font ce qu’elles/ils veulent.

A 18 ans on m’a mis dehors et je me suis retrouvée dans la rue du jour au lendemain. Je faisais l’école hôtelière à Nice, mais comme j’étais à la rue, je n’ai pas pu passer mon CAP. Je n’avais plus d’argent alors j’ai recommencé à me prostituer, pour survivre. Je ne connaissais pas la vie en dehors des foyers.

A un moment, je me suis dit qu’il fallait que j’arrête la prostitution. Je suis alors entrée dans l’armée. J’y suis restée trois ans.

Puis, je me suis de nouveau retrouvée dans la rue et à nouveau dans la prostitution.

Un jour, j’ai rencontré le docteur Jean-Daniel Darbes, (le nom que je porte aujourd’hui). Il était homosexuel. Nous avons discuté et il ne m’a pas touché. Il ne voulait pas de relation avec moi, parce qu’il avait envie de m’aider en tant que père, vis à vis d’un enfant. Comme je n’avais aucune famille, j’ai accepté. Ce fut le début d’une relation père/enfant. Il m’a adopté à l’âge de 21 ans. Nous nous sommes rendus à Dunkerque et le tribunal a accepté que je porte le nom de Darbes.

J’ai repris des études, je me suis mariée, j’ai eu des enfants.

Après mon divorce, je me suis dit qu’il fallait que j’avance, parce que ma dysphorie de genre durait depuis l’enfance.

Depuis l’enfance je sentais que je n’étais pas un garçon.

J’ai fait ma transition après le divorce.

Je suis allée voir un psychiatre pour la validation, ensuite je suis allée voir un endocrinologue qui m’a donné des hormones, et enfin j’ai été opéré.

Après un burn-out (le contre-coup, les traumatismes de ma vie en foyer et dans la rue ont refait surface), je me suis retrouvée de nouveau dans la rue. J’avais perdu mon logement, je n’avais plus de boulot. J’ai lâché prise.

Je suis retournée sur Nice et je me suis de nouveau prostituée mais cette fois ci en tant que femme. Je me suis rendue compte que ce n’étais pas la même chose. J’avais des clients hétérosexuels et je ne contrôlais plus rien du tout. La prostitution m’a dégoutté et je me suis dit que je n’étais pas devenue une femme pour être dans cette situation. Mais quand j’ai essayé de trouver de l’aide après des services sociaux, toutes les portes étaient fermées.

De plus, J’ai été mise à l’amende par d’autres prostitués trans, en échange d’une chambre. Je leur ai versé du fric. A un moment donné j’en ai eu vraiment assez, et j’ai appelé le Mouvement du Nid. J’ai été soutenue et aidée immédiatement.

C’est à ce moment que j’ai commencé à militer pour éviter que les enfants en foyer plongent dans la prostitution. Je suis devenue une « icone » de ce combat. Je me déplace beaucoup en Europe. Là, je reviens juste de la Martinique.

Je n’avais pas envie de me prostituer. Je l’ai fait parce que je n’avais pas d’autres solutions. Quand tu vis dans rue, que les services sociaux ne t’aident pas et que tu ne trouves pas d’emploi, tu rentres dans la prostitution pour survivre.

Je me considère comme une survivante de la prostitution et de beaucoup d’autres choses. Je suis survivante des foyers, je suis survivante de la rue, je suis survivante de la prostitution. Je suis également survivante au niveau de ma santé puisque j’ai été opéré du cœur il y a peu de temps.

Ma vie a fait un livre : « Le visage de l’autre ».

Mon témoignage, mon combat et ma victoire…

Témoignage recueilli par Caroline Flepp 50-50 Magazine

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