France \ Société Florence Montreynaud : « La prostitution est pour moi la pire des violences contre les femmes »

Florence Montreynaud est féministe depuis toujours. Elle a créé de nombreuses associations dont Zéromacho qui regroupe des hommes abolitionnistes de la prostitution. Aujourd’hui 4000 hommes de plusieurs pays ont signé le manifeste. Sa dernière idée est le Front féministe international qui rassemble 413 associations de 7 pays.

Quand et pourquoi êtes-vous devenue féministe ?

C’était évident, étant donné l’éducation que j’ai reçue de ma mère. Elle me racontait que sa mère à elle était indignée : avant la guerre, ma grand-mère était professeure dans un lycée de filles, et le concierge, qui était idiot et invalide de guerre, plastronnait parce qu’il avait le droit de vote, lui, alors qu’aucune des professeures ni la directrice ne l’avaient. Ma grand-mère trouvait cela scandaleux, et ma mère nous le racontait pour nous montrer qu’on venait de loin : jusqu’en 1944, tous les hommes avaient le droit de vote mais aucune femme, y compris une femme de génie comme Marie Curie ! Je me souviens aussi qu’elle avait dû demander l’autorisation de mon père pour pouvoir ouvrir un compte en banque à son nom, avec son argent (c’était avant 1965). J’ai été élevée dans la conscience de l’injustice qui frappe les femmes. Je n’ai pas de frère, j’ai quatre sœurs et nous n’avons pas été motivées par ce que beaucoup de féministes ont ressenti dans leur jeunesse : la différence de traitement entre les garçons et les filles. Le féminisme m’est venu d’une façon intellectuelle. J’ai lu Le Deuxième Sexe pendant l’été 1970 ; ce livre m’a confortée dans mes idées : toutes ses analyses me semblaient évidentes.

Le moment de mon engagement, c’est le 28 août 1970. J’ai lu dans Le Monde que le 26 août un groupe de féministes avaient tenté de déposer une gerbe sous l’Arc de Triomphe « à la femme du soldat inconnu ». J’ai trouvé cette idée fabuleuse. J’ai voulu les rejoindre parce que c’était ce que j’attendais depuis des années. Comme je me tenais au courant de ce qui se passait à l’étranger, j’avais entendu parler d’actions féministes en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en Italie, aux États-Unis. En France, il ne se passait rien à ma connaissance. Je me suis dit que c’était exactement ce type d’action auquel je voulais participer, c’est-à-dire à base d’humour féministe : quand on n’a pas de moyens, qu’on est peu nombreuses, on a toujours l’outil de l’humour, pour ridiculiser les machos. Je peux donc dater mon désir d’engagement du mois d’août 1970. Mais à cette époque, comment trouver ces femmes ? J’ai pu le faire en avril 1971 quand est sorti Le Nouvel Observateur avec la fameuse couverture noire sur les 343 Françaises qui déclarent « J’ai avorté ». Il y avait une adresse postale, je leur ai écrit, je les ai rejointes. Je me suis engagée à la fois au MLF (Mouvement de libération des femmes) et au Planning familial pour suivre une formation. C’est ainsi que tout a commencé pour moi, et cela n’a jamais fini : je suis une féministe engagée sans interruption depuis 1971.

Quel est votre parcours de féministe ?

J’ai commencé par une formation sur la contraception et l’avortement, j’ai eu un fort engagement sur l’avortement dès avant le vote de la loi Veil (en décembre 1974). Après le vote de la loi, j’ai reçu au Planning familial des centaines de femmes qui voulaient avorter afin de les aider, les conseiller, les rassurer. Avec le Planning Familial, je me suis aussi engagée dans l’éducation sexuelle à l’école. La sexualité et l’avortement qui ont été mes sujets de formation me paraissent essentiels encore aujourd’hui, et pour mon prochain livre je travaille sur la sexualité, parce que c’est le lieu de l’oppression des femmes : le chantage à l’amour leur fait accepter des violences ; quant à l’avortement, on voit bien l’actualité brûlante de ce sujet. Sans le droit d’avorter, les femmes sont contraintes par les limites de la contraception à porter une grossesse. J’ai quatre enfants, et je sais ce qu’est une grossesse non désirée — avec l’impression d’être colonisée contre sa volonté. Ce qui me semble le plus monstrueux, quand on veut contraindre les femmes à porter une grossesse à terme, c’est de les forcer à aimer. L’avortement, c’est la liberté des femmes, c’est la possibilité de se projeter dans l’avenir, de construire sa vie au lieu de la subir. Je me battrai pour ce droit jusqu’à ma mort.

Quelles associations avez-vous créées ?

À partir de 1981, je me suis occupée pendant près de vingt ans de l’Association des femmes journalistes.

En 1999, j’ai lancé les Chiennes de garde, contre les insultes sexistes publiques adressées aux femmes, et je suis très fière d’avoir inventé ce nom ; en 2000, j’ai lancé la Meute contre la publicité sexiste et en 2001 le réseau Encore féministes ! Parallèlement, j’écrivais des livres sur l’histoire des femmes, et j’ai commencé à m’intéresser à la question de la prostitution — mon premier livre est sorti en 1993. La prostitution est pour moi la pire des violences contre les femmes. Très vite, j’ai pensé que c’était une affaire d’hommes, que c’était aux hommes de s’emparer de cette question. Dans un premier temps, j’ai cherché à motiver les hommes de mon entourage, cela m’a pris beaucoup de temps, jusqu’à la création en 2011 de Zéromacho, dont je m’occupe toujours. Il y a deux ans, nous avons créé le Front féministe international qui prend position sur un certain nombre de sujets clivants parmi les féministes : la prostitution, la location d’utérus, le voile islamique, la transidentité. Le Front féministe international regroupe 413 associations de 7 pays.

J’ai aussi publié 19 livres, le dernier traite de la double morale sexuelle : Les femmes sont des salopes, les hommes sont des Don Juan (Hachette).

La prostitution est donc pour vous une question très importante

Quand un éditeur m’a proposé d’écrire un livre sur ce sujet, comme je n’y connaissais rien, j’avais un regard neuf. Il m’a semblé évident que ce n’était pas un problème de femmes, mais d’hommes, et que le sujet n’était pas la pauvreté des femmes et les violences qui les amènent à la prostitution. Pour moi, c’est une question politique : certains hommes estiment qu’ils ont le droit de payer pour avoir accès au sexe de femmes pauvres, qui n’ont que cela à vendre. Pour moi, la sexualité, c’est la rencontre des désirs de deux adultes, à la recherche du plaisir. Une femme qui ne ressent pas de désir subit un viol, même si elle est payée, même si elle est consentante.

La prostitution est considérée comme un « droit de l’homme ». Après avoir écrit ce premier livre, je me suis engagée au Mouvement du Nid parce que j’avais rencontré des hommes qui payaient des femmes prostituées. Je les avais écoutés et j’en avais conclu que pour beaucoup la prostitution était une recherche de contact, d’écoute, parfois de tendresse, et même d’amour : or c’est le pire moyen pour les trouver. J’ai fait de la formation de travailleurs sociaux ; j’ai organisé un colloque sur la prostitution avec l’Association des femmes journalistes.

J’ai voulu que les hommes s’organisent car j’avais constaté, pour ceux de mon entourage, que cette question ne les touchait pas du tout, ne les concernait pas ; ce n’est pas leur monde. J’ai eu du mal à les convaincre de s’engager ! Le manifeste de Zéromacho est sorti en 2011. À ce jour, il a été signé par 4 000 hommes, c’est peu ; ce sont des hommes courageux qui s’affichent publiquement contre le système prostitueur et pour une sexualité libre, dans un désir réciproque d’adultes. Les responsables sont Gérard Biard et Fred Robert.

J’avais étudié l’histoire de la prostitution et les luttes contre le système prostitueur. Il n’avait jamais existé d’association d’hommes sur cette question. Certains hommes disent non à la prostitution mais jamais un réseau d’hommes abolitionnistes n’avait été créé. Zéromacho existe maintenant en Espagne et en Allemagne. Il faut que dans tous les pays les hommes qui ne payent pas les femmes pour un acte de prostitution se revendiquent publiquement comme tels. Ils sont la majorité, car c’est seulement une petite minorité d’hommes qui font prospérer le système prostitueur. Je les appelle « prostitueurs » et non « clients », mot qui valide un point de vue commercial. Il y a aussi 10 à 20 % d’hommes prostitués mais 99 % des prostitueurs sont des hommes.

Je n’arrive pas à comprendre que l’opinion publique soit aussi complaisante pour ces violences. À Paris, par exemple, Zéromacho agit contre les 403 prétendus « salons de massage » asiatiques qui ont pignon sur rue, avec des Chinoises victimes de la traite des femmes. Ce sont uniquement des hommes qui vont dans ces « salons ». Tout le monde le sait, mais la loi Olivier-Coutelle de 2016 n’est pas appliquée, alors que cette loi fait honneur à la France en s’alignant sur la position suédoise : considérer la prostitution comme un système dont les responsables à poursuivre sont les proxénètes et les prostitueurs. Que fait la police ? Pourquoi continuer à protéger des hommes qui traitent des femmes pauvres comme des marchandises ? Cette impunité est un scandale.

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 Magazine

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