Articles récents \ France \ Société Docteure Eliane Galiba : « une fois le clitoris coupé, les hommes pensent que leur épouse n’ira pas les tromper »
On estime à 200 millions de femmes excisées dans le monde au nom de l’islam et de coutumes ancestrales. Ces mutilées du patriarcat vivent en Indonésie, en Egypte, au Soudan, en Guinée, en Iraq, au Yémen… Certaines en meurent, d’autres pâtissent d’infections à répétition ou ont des rapports sexuels extrêmement douloureux. Ces pratiques mortifères ne seraient plus d’actualité en France depuis quelques années mais continuent de l’être lorsque les jeunes filles passent leurs vacances dans le pays d’origine de leurs parents. En France, cette violation des droits humains est passible d’une peine allant de 10 à 20 ans que cette mutilation soit commise à l’étranger ou en France si la victime est française ou résidente habituelle en France (Article 222-16-2 du code pénal) et de 150.000 € d’amende. Dans les faits, la loi est rarement appliquée.
Gynécologue à l’hôpital de l’Archet à Nice, la Docteure Eliane Galiba, répare ces femmes mutilées et se bat en formant le personnel médical et en informant le milieu associatif.
Pouvez-vous nous expliquer les différents types d’excision ?
Tout d’abord on parle mutilations génitales. Quatre types sont donc répertoriés dans la classification de Robin Cook 1995 affinée par l’OMS.
Le type I qui est la mutilation qui intéresse l’ablation du clitoris plus ou moins de son capuchon.
Le type II qui est l’excision à proprement parler qui consiste à l’ablation du clitoris et du capuchon clitoridien ainsi que des petites lèvres qui sont plus ou moins accolées.
Le type III qui est également appelé infibulation ou mutilation pharaonique qui consiste en l’ablation du clitoris et de son capuchon, des petites lèvres qui sont accolées ainsi qu’un accolement des grandes lèvres laissant en place un orifice vaginal plus ou moins réduit.
Le type IV : aucune composante de la vulve n’est enlevée mais on pratique une détérioration de cette zone en faisant des scarifications des élongations des piqûres ou autres.
Certaines ne savent même pas qu’elles ont été mutilées… Comment est-ce possible ?
En effet cela est rendu possible par le fait que ce geste est souvent pratiqué en très bas âge, entre quelques jours et 4 ans période au cours de laquelle la mémoire vis-à-vis de la douleur est courte. Mais aussi par le fait que ce geste est effectué sans informations ni explications à la jeune fille. Le sujet reste tabou dans les familles. On n’en parle ni avant ni après ! Donc souvent, elles ne savent pas ce qu’on leur a fait. Elle se souviennent d’avoir subi quelque chose de fort désagréable et de douloureux mais ne savent pas quoi exactement.
Comment arrivez-vous à reconstruire la vulve ?
En fait, on ne reconstruit pas la vulve à proprement parler…Dans le cas d’une mutilation génitale de type III qu’on appelle infibulation toute la vulve est fermée. Donc le but de la reconstruction, c’est de réouvrir cette vulve en désunissant les grandes lèvres. Concernant la réhabilitation du clitoris, elle peut être effectuée par un geste chirurgical dont la technique est bien connue des chirurgiens uro- gynéco, mise au point par le Dr Foldes (1).
En effet la mutilation clitoridienne intéresse, en général, simplement le petit moignon clitoridien qui est extériorisé sachant que la plus grande partie du clitoris est enfouie. Il s’agit simplement de désenfouir un petit bout de ce clitoris interne pour réaliser un néo clitoris extériorisé.
Comment pouvons nous devenir acteurs et actrices, à notre échelle, pour prévenir de ces mutilations ? Je fais référence au personnel des crèches, les garderies, les PMI qui sont aux 1ères loges lorsqu’une couche-culotte présente du sang ou aux enseignant·es qui peuvent noter un changement d’attitude lié à ce psycho trauma.
Déjà, l’idéal serait de former tout le corps médical par le biais de formation professionnelle. Puis, pour les familles, des informations sont présentes sur les réseaux sociaux. Il existe de nombreux sites Internet traitant du sujet comme l’OMS, l’UNICEF, le Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles (GAMS). Des associations œuvrent dans certains quartiers pour en parler. Puis, il y a des articles et des ouvrages récoltant les témoignages de femmes ayant subi ces mutilations génitales.
Une fois qu’on est formé, que l’on maîtrise un petit peu le sujet, on peut désormais faire de la prévention par la discussion, le dépistage des personnes concernées ou des personnes à risque d’être à leur tour mutilées. Mais encore faudrait il que nous nous sentions concerné·es par cette problématique et que nous en parlions ouvertement… Avant 2000, on n’en parlait pas. Il a fallu attendre la médiatisation du décès d’une bébé malienne de 3 mois, puis en 1999, le premier procès d’une jeune femme contre ses parents et de son exciseuse pour que des lois plus dures se mettent en place.
Lorsqu’il existe une suspicion de mutilations génitales, les professionnel·les de santé doivent réaliser des signalements auprès du procureur pour interdire la sortie du territoire des mineures afin de les protéger.
Certaines familles pensent qu’une femme non excisée n’est pas une vraie femme.
C’est une affirmation tout à fait erronée ! Pour cela, il faut expliquer les raisons de ses rites coutumiers qui ne reposent sur rien de solide d’un point de vue rationnel. A ce jour, aucune communauté pratiquant ce geste n’est capable de dire de manière tout à fait claire pourquoi il est pratiqué ! Au Maghreb, les filles ne sont pas mutilées, contrairement à l’Egypte ou en Indonésie. Les exciseuses utilisent des rasoirs ou des couteaux sans anesthésie puis nettoient la vulve avec de l’alcool à 90°. Parfois, elles recousent avec des épines d’acacia car elles n’ont pas de fils ni d’aiguilles. Pour certaines familles, le clitoris est maléfique, laid. Celles qui ne sont pas mutilées, sont rejetées par leur communauté car soi-disant, elles ne trouveront jamais de mari. C’est une manière de contrôler le corps des femmes, car une fois le clitoris coupé, les hommes pensent que leur épouse n’ira pas les tromper car le plaisir s’en trouve altéré.
On estime à 120.000 mutilées génitalement en France réparties principalement en Seine-St-Denis, dans le Rhône et dans les Alpes-Maritimes.
Estimez vous que la France protège suffisamment ces femmes de ces violences ? Le rôle de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides(OFPRA) est-il suffisant ?
Je pense en effet que tous les moyens sont mis en œuvre en France pour lutter contre cette violence faite aux femmes comme les textes de loi, la protection des mineures, la prise en charge par les services juridiques de ces patientes, le remboursement des soins liés aux conséquences de ces pratiques, la prise en charge pluridisciplinaire par l’assurance maladie à 100% de la réparation chirurgicale de ses femmes.
Encore faudrait il que les acteurs et actrices de ce domaine puissent être intéressé·es par la question des mutilations génitales, formé·es correctement et se sentir impliqué·es pour pouvoir agir… L’OFPRA , de son côté, joue un rôle qui, effectivement, peut avoir des limites car cela reste difficile de dépister toutes les jeunes filles et fillettes susceptibles d’être ramenées dans leur pays d’origine pour subir ce geste. En 2018, 7.300 filles avaient été placées sous la protection de l’OFPRA en raison de ce fort risque.
Concernant le territoire français, les dernières études de prévalence montrent bien que ce risque devient infinitésimal pour les jeunes filles nées en France à partir de 1995, donc à priori le message a l’air d’être bien passé sur cette pratique. Mais la menace que les filles soient mutilées pendant leurs vacances d’été où elles retournent dans le pays de leurs parents, demeure encore de nos jours. Ce tabou des mutilations génitales doit être levé.
Laurence Dionigi 50-50 Magazine
1 Pierre FOLDES : chirurgien urologue français, inventeur, avec Jean-Antoine ROBEIN, d’une méthode chirurgicale permettant de réparer les dommages causés par la clitoridectomie