Sport France Marie-Amélie Le Fur : « Il y a encore un gros travail à faire pour féminiser le Parasport »
Quadruple championne du monde dans différentes catégories, 9 médailles aux jeux paralympiques dont 3 en or, Marie-Amélie Le Fur était sur le devant de la scène cet été 2024 en qualité de présidente du Comité paralympique et sportif français. Pour elle, ces jeux ont mis en avant la ténacité et les performances des athlètes. Elle alerte sur le rôle de chacun·e à construire une société réellement inclusive.
Quels sentiments vous animent lorsque vous repensez aux moments exceptionnels que nous avons vécus lors des Jeux Paralympiques ?
Un grand sentiment de fierté collective ! C’est l’engagement de toutes les actrices et acteurs qui a permis la réussite de ces jeux à commencer par les athlètes, les différentes fédérations, le comité d’organisation, l’Etat, les collectivités, les médias et des agences nationales, et bien d’autres encore. Ensemble, nous avons transcendé nos fonctionnements respectifs habituels avec une mobilisation collective et transversale. Nous avions, au cœur du mouvement paralympique, beaucoup d’attente vis à vis de ces jeux, mais pour être honnête, je ne m’attendais pas à un tel impact, à une telle ferveur. Les Jeux Paralympiques de Londres avaient été extraordinaires, transformateurs pour le mouvement paralympique, mais il y a eu un réel engouement, une véritable magie apportée par les JOP de Paris 2024. L’objectif était de modifier le regard de notre société sur les personnes en situation de handicap par les performances des parasportifs et parasportives. Quand on écoute les spectatrices/spectateurs et téléspectatrices/téléspectateurs de ces jeux, je crois que cet objectif est pleinement atteint.
A présent, il faut incarner cet héritage et faire vivre cet état d’esprit en termes de projets concrets, de manière transversale et pluridisciplinaire.
Avez-vous découvert des sportives et sportifs hors normes lors de ces jeux Paralympiques ?
J’ai découvert des athlètes passionné·es, invest·ies et avec de belles valeurs. Je me souviens de la finale de badminton avec le médaillé d’or, Charles Noakes. J’ai aimé sa philosophie, ce qu’il a apporté sur le cours et le lien avec son adversaire. Lors de cette finale, nous avons vécu un moment sportif intense mais également humain. C’est ce supplément d’âme que j’aime dans le mouvement paralympique. Je retiens également la sensibilité d’Aurèlie Aubert et l’émotion qu’elle a dégagée. Ce sont les personnalités qui m’ont transportée plus que les performances. Ces athlètes de haut niveau n’étaient pas aux JP par hasard. Elles et ils ont gagné leur sélection, fruit d’un long travail. Ce qui m’a transcendée, c’est leur cœur et leurs valeurs, les émotions qu’elles/ils ont réussi à donner au public.
Que manque t’il encore pour que notre société soit réellement inclusive ?
Il faut continuer à avoir cette sensibilisation par les mots, les images et les rencontres. L’objectif est d’arriver à lever ces sentiments de défiance et de peur qui entrainent encore énormément de préjugés sur ce que sont les compétences et les capacités des personnes en situation de handicap. Pour cela, la médiatisation de leurs talents est primordiale. Notre société doit changer par son bâti, son management, son école, son employabilité en se questionnant sur les besoins et les freins de ces personnes en situation de handicap. Comment, dans ma manière de faire, je peux lisser cette difficulté ? Et à ce moment-là, on pourra réellement parler de société inclusive. C’est toute la démonstration de ces Jeux paralympiques. Mettre en avant les compétences des athlètes dans un environnement capacitant. Certaines règles de classification et de pratiques, ont été adaptées ce qui leur a permis d’exprimer leur potentiel. C’est un combat que nous devons mener ensemble collectivement. Ces Jeux paralympiques ont fait prendre conscience que c’était aussi à chacun·e d’agir. Nous devons marteler ce message. C’est dans notre posture au quotidien qu’on peut durablement changer les choses. Ce n’est pas qu’une question de volonté politique ou de bâti, c’est une question de comportement humain avec l’idée que toutes et tous nous devons nous emparer de cette question du vivre-ensemble.
Que pensez-vous de la place des femmes dans le Parasport ?
Elle est insuffisante. Pour la délégation française, les sportives représentaient 34% ce qui est un pourcentage meilleur qu’aux Jeux paralympiques de Tokyo (25%) et lié en partie aux sports collectifs féminins qui y ont été plus nombreux. Il y a encore un gros travail à faire pour féminiser le Parasport. Il convient d’élargir la base des pratiquantes en incitant, de façon ciblée plus de jeunes filles et femmes à s’engager à pratiquer du sport. Pour ce faire, nous devons continuer à leur ouvrir le champ des possibles. Le rôle des parents, des médecins et de l’école est essentiel pour l’impulsion du sport dans leur parcours de vie et leur rapport à leur corps. La valorisation par les rôles modèles est également essentielle tout comme la féminisation de l’encadrement.
Il existe peu de statistiques sur le sexisme et les violences faites aux sportives paralympiques. Est-ce un sujet que vous souhaiteriez mettre davantage en avant auprès des instances publiques ?
C’est une thématique que l’on prend à bras le corps au comité depuis plusieurs années. J’y vois trois piliers. Le premier, il faudrait médiatiser davantage la plateforme du ministère des Sports et les outils de droit commun en matière de violences. Le deuxiéme, proposer des dispositifs spécifiques adaptés au handicap. Comme par exemple le Réglosport pour favoriser la libération de la parole des victimes. Le troisième pilier, c’est la sensibilisation, la formation au sein des fédérations car il existe une prévalence plus forte des violences sexuelles, sexistes face aux personnes en situation de handicap. Il convient d’être davantage vigilant·es et plus à l’écoute car malheureusement, certaines personnes ne se rendent pas compte de ce qu’elles sont en train de vivre. Une bienveillance complémentaire est indispensable. Dans le cadre de notre mission de conduite de la délégation lors des jeux paralympiques, nous avons par exemple déployé des webinaires obligatoires de sensibilisation pour les athlètes et les cadres.
Nous avons aussi un pilier sur la recherche pour mieux comprendre ces situations de violence, les caractériser et identifier les spécificités du parasport sur ce champ.
Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine
Le 28 novembre 2024, Marie-Amélie Le Fur a été nommée, présidente de l’Agence Nationale du Sport (ANS)