Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Madeleine Riffaud (1924-2024): sentinelle d’un siècle de tempêtes, résistante, « ouvrieriste », anticolonialiste, journaliste

Madeleine Riffaud (1924-2024) est récemment décédée, «sentinelle d’un siècle de tempêtes», résistante de 1942 à 1944, livrée aux nazis et torturée, «ouvriériste» engagée au PCF, journaliste de guerre en Indochine, en Algérie, au Vietcong, anticolonialiste. Malgré sa tuberculose, combattante de tous les instants, et par ailleurs poétesse, elle rencontre Aragon, Eluard, Vercors, Picasso.
Madeleine Riffaud est née le 23 août 1924 au village d’Arvilliers dans la Somme, près d’Amiens. Ses parents tous deux instituteurs, ont opté pour l’académie d’Amiens afin d’obtenir chacun un poste dans la même commune. Madeleine, fille unique a gardé le souvenir de son père grièvement blessé pendant la grande Guerre. Victime d’une primo-infection tuberculeuse en 1941, elle est soignée dans un sanatorium réservé aux étudiant·es en Isère. Elle y rencontre un jeune étudiant en médecine, communiste, qui l’entraîne dans la Résistance, s’engage au Front National des étudiants, émanation du PCF, sous le pseudonyme de « Rainer ». A cette époque, elle commence à écrire des poèmes. Au début de l’année 1944, elle adhère au PCF et demande à rejoindre la lutte armée. Du fait de ses débuts comme étudiante infirmière, elle est affectée au service sanitaire, mais elle apprend très vite à poser des explosifs ! Elle attaque un soldat allemand en pleine rue à Paris, arrêtée, elle est maltraitée rue des Saussaies, puis remise aux nazis et torturée. Transférée à la prison de Fresnes, elle y écrit des poèmes. Elle échappe à la mort, est recontactée par les Francs-tireurs et partisans français (FTP) pour participer à l’insurrection d’août 1944 à Paris, notamment lors des combats sur la Place de La République.
Dans le sillage d’Aragon et de la presse communiste
Grâce à l’écrivain Claude Roy, Madeleine Riffaud fait la connaissance de Paul Eluard qui publie plusieurs de ses poèmes, lui fait rencontrer Louis Aragon puis Vercors. N’étant pas guérie de sa tuberculose elle doit retourner se soigner en Haute-Savoie à Combloux où elle fait la connaissance de Pierre Daix, jeune résistant rescapé de déportation. Elle l’épouse peu après à Paris et leur fille naît en 1946. Madeleine Riffaud commence alors des reportages comme journaliste au quotidien communiste le Soir, où elle rencontre une consœur déjà expérimentée, Andrée Viollis. Toutes deux, couvrent, en 1946, la Conférence de Fontainebleau où se rencontrent les représentants du gouvernement français et du Vietminh. A cette occasion, Madeleine Riffaud fait la connaissance d’Ho-Chi-Minh.
Des grèves de mineurs en 1947/48 aux reportages en Indochine 1949/1951
Dans l’hebdomadaire La Vie ouvrière elle couvre la grève des mineurs de 1948 et loge chez l’habitant pour mieux cerner la réalité de la vie des familles dans les corons. Elle se déclare personnellement « ouvriériste ». Par la suite elle rencontre l’ex-résistant Roger Pannequin, dont elle devient la compagne. Le couple fait connaissance avec le musicien communiste Joseph Kosma, à l’époque où ce dernier lance la chanson « Les feuilles mortes » (1950). En août 1951, Madeleine Riffaud se trouve à Berlin pour le troisième festival mondial de la jeunesse. Son amie journaliste Dominique Desanti lui fait rencontrer le poète vietnamien militant Nguyen-Dinh-Thi. Ils travaillent en commun à des traductions de littérature vietnamienne à destination du public français. Madeleine retrouve ce poète à Hanoï en I954 où il occupe une place de choix au parti communiste.
Des reportages en Algérie en 1952 à la défense de la main d’œuvre immigrée
Après son retour en France, elle fait plusieurs séjours en Algérie pour des reportages. Elle rédige des chroniques sur la torture, révèle les rafles qui ont lieu à Paris même, dès septembre 1959. Elle est alors en relation avec un groupe d’avocats du FLN dont Mourad Oussedik. En mars 1961, la journaliste révèle dans un article de L’Humanité, photos à l’appui, que des tortures sont pratiquées au Commissariat de La Goutte d’Or (Paris XVIIIème) ce qui lui vaut une accusation de diffamation de la part de Maurice Papon alors préfet de police. En 1962, lors des Accords d’Evian, la journaliste est victime d’un attentat de l’OAS et gravement blessée. Elle reprend par la suite son travail et ses articles dans L’Humanité..
Dans le maquis vietcong
Correspondante de guerre en 1966 elle parcourt les routes du Nord-Vietnam bombardées par l’aviation américaine. A son retour elle publie un ouvrage en 1967, retourne à Haiphong en 1972, seule journaliste étrangère présente lors d’un bombardement. Elle est alors soutenue par le général Giap. Ces reportages lui accordent une forte notoriété auprès de plusieurs médias européens (dont la TV allemande); ce qui semble suspect aux dirigeants du PCF de l’époque.
Les linges de la nuit, un livre-témoignage sur le système hospitalier français
Sur les conseils de Jean Roujeau, ancien interne pendant la période de la Résistance, elle s’infiltre comme « fille de salle » à l’Hôpital Broussais de l’APHP et y demeure plusieurs mois. Elle tire de cette expérience des articles puis un ouvrage Les linges de la nuit. Ce témoignage en forme de journal ouvrira les yeux du grand public sur le monde hospitalier en crise et aura un grand retentissement. Au milieu des années soixante-dix, Madeleine Riffaud s’éloigne officiellement du PCF tout en y gardant des amitiés personnelles, renoue avec la culture catholique de sa jeunesse et s’intéresse aux réformes engagées par le Concile Vatican II.
Après 1994 ; une « Passeuse » de mémoire
Avec sa verve, elle témoigne pour des publics de divers âges dont les lycéen·nes, comme le firent ses am·ies Lucie et Raymond Aubrac. En 1994 elle publie On l’appelait Rainer :1939-1945 , entretien avec Gilles Plazy. Elle coopère ensuite avec Jean-David Morvan et Dominique Bertail pour écrire le scénario de trois volumes de BD, de 2021 à 2024 (1- La Rose dégoupillée, 2- L’édredon rouge, 3- Les nouilles à la tomate). En 2001, elle édite un recueil d’une partie de ses poèmes consacrés aux trois guerres qu’elle a couvertes en qualité de journaliste (Indochine, Algérie, Vietnam).
En dépit de graves soucis de santé, elle est présente en 2004 à la mairie de Paris XIXème lors de la commémoration du soixantième anniversaire de la « prise du train des Buttes-Chaumont ». En 2010 un film-documentaire lui est consacré : Les trois guerres de Madeleine Riffaud par Philippe Rostan qui reçoit le prix Etoile de la SCAM en 2011 et le grand prix du festival du cinéma engagé d’Alger en 2012. En 2014, elle est présente à la cérémonie du Panthéon et à une émission de télévision pour le soixante-dixième anniversaire de la Libération de Paris.
En 2001 Madeleine reçoit la Croix de chevalier de la Légion d’honneur, puis en 2008 elle est distinguée en recevant l’insigne d’officier dans l’Ordre national du mérite. Plusieurs écoles portent son nom (à Amiens -60, aux Lilas-93). Son nom a été donné à une rue de Stains (93) avec les mentions « Résistante, Poète, Journaliste ».
Catherine Chadefaud, agrégée d’Histoire, secrétaire générale de l’association REFH (Réussir l’égalité Femmes-Hommes)