Articles récents \ France \ Société Et si la transe pouvait soigner ? Des femmes pionnières dans les recherches

Se lançant sur la voie ouverte par la Française Corine Sombrun, premier être humain dont les transes ont pu être étudiées scientifiquement, la chercheuse Alice Guyon est l’une des pionnières dans l’exploration des perspectives thérapeutiques que pourraient ouvrir les états modifiés de conscience

Connue et pratiquée par l’humanité depuis la nuit des temps, la transe commence seulement à être démystifiée et à faire l’objet de recherches scientifiques prometteuses. C’est à une Française, Corine Sombrun, qu’on le doit. Son histoire est devenue célèbre grâce au film Un monde plus grand qui a fait près de 300 000 entrées au cinéma. Entrée en transe sans le vouloir lors d’un reportage en Mongolie après un deuil éprouvant, Corine Sombrun s’est proposée comme cobaye scientifique. Parvenue à déclencher elle-même ses transes sans les tambours qui empêchaient les électro-encéphalogrammes, elle a permis leur étude scientifique pour la première fois dans l’histoire. De quoi intéresser au plus haut point la chercheuse française Alice Guyon.

Calme, souriante, le regard lumineux, cette dernière a mis toutes ses compétences au service de la santé de l’être humain et de son harmonie avec la nature. Après avoir effectué durant des décennies des recherches au plus haut niveau sur le cerveau et sur les médicaments, ce sont à présent les moyens non médicamenteux d’améliorer la santé qui sont devenus son principal objet d’études. Directrice de recherches au CNRS, au Centre de Recherche en Psychologie et Neurosciences (CRPN) à Marseillle, elle travaille notamment sur les perspectives thérapeutiques que pourrait ouvrir la transe.

Alice Guyon s’intéresse actuellement aux états modifiés de conscience (EMC) et à leurs possibilités thérapeutiques. Ces états peuvent être éprouvés dans la transe, l’hypnose, la méditation, la relaxation profonde, les rêves lucides, ou encore les expériences de mort imminente.

Alice Guyon mène plusieurs recherches en parallèle. L’une de ses études concerne les effets de la méditation, de l’hypnose et de la TCAI (la transe cognitive auto-induite initiée par Corine Sombrun) sur différents aspects de la mémoire par une approche transdisciplinaire. L’idée est à terme de pouvoir en faire bénéficier les personnes atteintes de stress post-traumatique.

Un de ses étudiants, Siddhiraj Banjac, psychologue à l’hôpital de Perpignan, travaille sur les effets bénéfiques possibles d’une relaxation méditative sur des patient·es atteints de sclérose en plaques. Durant l’épidémie de Covid 19, cet étudiant avait constaté les bénéfices de cette pratique sur les soignant·es de l’hôpital. Une des étudiantes d’Alice Guyon, Stéphanie Ibanez, s’intéresse, de son côté, aux effets de la TCAI sur la voix, la réduction du stress et la qualité de vie des enseignant·es.

Les effets déjà constatés de la transe

En 2017, l’étude scientifique canadienne du professeur Pierre Flor-Henry sur les transes de Corine Sombrun montre des tracés faisant écho dans certaines fréquences à ceux d’autres femmes souffrant de manie, de dépression ou de schizophrénie. Mais l’état de Corine Sombrun n’avait rien de pathologique, son cerveau revenant à la normale une fois la transe finie.

Durant la transe, l’hémisphère droit, siège de la créativité, de l’imagination ainsi que des émotions, prend le dessus. Le cortex préfrontal, siège notamment du langage, du raisonnement, du contrôle de soi et de l’action consciente, est un peu inhibé. La transmission électrique entre neurones est par ailleurs plus rapide durant la transe qu’en état de conscience ordinaire.

« Nos forces sont décuplées, la sensation de douleur diminue, la perception du temps est modifiée et nous réalisons des gestes qui échappent à notre mode de décision habituel », décrit Corine Sombrun. Le corps libère des opioïdes qui peuvent expliquer l’affaiblissement de la douleur.

Des applications thérapeutiques sont-elles possibles ? Le professeur Francis Taulelle, cofondateur avec Corine Sombrun de l’institut « Trance Science » en 2019, est parvenu à remobiliser son bassin au cours de sa première transe, alors qu’il était partiellement paralysé après une compression de la moelle épinière. Il a même pu retrouver toute sa capacité de mouvement après un apprentissage. Il a fait l’hypothèse « que la transe amplifie certains potentiels d’autoguérison en permettant au cerveau de lever l’inhibition de circuits neuronaux subconscients ».

Des moyens non-médicamenteux d’aller mieux

Curieuse de tout et attentive aux autres, Alice Guyon consacre depuis près de vingt-cinq ans sa vie professionnelle au bon fonctionnement du système nerveux. Devenue chercheuse à l’Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire du CNRS à Sophia Antipolis alors qu’elle avait une trentaine d’années, elle a commencé par étudier les effets sur le système nerveux de différentes substances médicamenteuses dans des pathologies comme l’épilepsie, la maladie de Parkinson, les troubles du comportement alimentaire, ou la dépression. Elle s’est peu à peu consacrée principalement à la dépression, dont souffrait l’un de ses proches.

Sensibilisée par les bienfaits sur elle-même de la pratique du yoga, de la sophrologie, du taïchi et de la méditation, elle a cherché à comprendre scientifiquement leurs mécanismes d’action et à étudier leurs effets sur différentes pathologies pour voir si elles pourraient être intégrées dans des parcours de soins.

Acteurs à 70 % de notre propre santé

« Chacun de nous est le premier acteur de sa santé. Elle dépend à 70 % de nos pratiques et de notre environnement. Et nous sommes aussi acteurs de notre environnement », a-t-elle encore insisté lors du dernier colloque « Art influences cerveau » ouvert au public à Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes. « Enrichir son environnement par de bonnes pratiques contribue fortement à se porter mieux, c’est maintenant prouvé scientifiquement. Beaucoup d’affections souvent chroniques comme l’obésité, les diabètes, les problèmes vasculaires, l’asthme, l’anxiété ou la dépression, peuvent être évités par des pratiques préventives qui relèvent du simple bon sens : l’exercice physique, la connexion avec les autres et avec la nature, un bon sommeil, une bonne respiration, une bonne nutrition, une bonne hygiène physique et mentale en évitant au maximum la pollution et le stress », poursuit -elle.

« Nos systèmes nerveux, immunitaire et hormonal interagissent. Toutes nos cellules ont des récepteurs au cortisol, une des hormones du stress qui peut causer des dommages si elle est trop élevée trop longtemps dans le sang. L’inflammation chronique rend plus poreuses les parois de nos vaisseaux sanguins cérébraux, laissant diffuser des molécules plus grosses qui peuvent être nocives pour le cerveau et les autres organes. Inversement, certains de nos globules blancs, nos principaux défenseurs immunitaires, peuvent atténuer la dépression et améliorer l’apprentissage ».

La face encore cachée de la réalité

La science et l’existence poussent à se poser bien des questions. « Que savons-nous vraiment ? La partie du monde et de nous-mêmes que nous percevons n’est qu’une infime partie du réel, filtrée par les limitations de nos organes sensoriels et par notre cerveau, lui-même forgé par nos expériences. Par exemple, nous ne voyons ni les infrarouges, ni les ultraviolets, et nous n’entendons pas les ultrasons, alors qu’ils existent bel et bien. »

Santé intégrative et globale

Depuis 2018, Alice Guyon a décidé d’arrêter l’expérimentation animale et de se tourner vers des études cliniques afin d’étudier scientifiquement les effets de plusieurs approches non conventionnelles et complémentaires, notamment la méditation de pleine conscience qui intéresse de plus en plus les scientifiques et qui fait maintenant l’objet d’un diplôme universitaire. Elle travaille beaucoup sur la santé intégrative, qui prend en compte la personne dans sa globalité, sans se focaliser sur la maladie et en associant la prévention, la médecine conventionnelle et des soins complémentaires.

Elle se préoccupe aussi de la « santé globale », qui repose sur les liens étroits entre la santé humaine, animale et environnementale. Une nature qu’elle magnifie dans ses poèmes, ses peintures, ses gravures, sa danse, et en jouant de la musique.

Laurent Quilici, journaliste indépendant

Alice Guyon Comment enrichir son environnement pour aller mieux Ed. Ovadia 2019

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