Articles récents \ Monde \ Afrique Gemma Jones Ndjoli: « je crois fermement que sans justice il n´y a pas de développement ni de paix durable »

Gemma Jones Ndjoli est une avocate guinéenne, défenseuse des droits, engagée dans son pays, la Guinée équatoriale. Elle est en France dans le cadre de l’Initiative Marianne, dédiée aux défenseur.es des droits humains. Il s’agit d’un programme d’accueil et de formation mis en place en 2022 par la France qui, depuis, reçoit et accompagne chaque année pendant six mois une quinzaine de femmes et d’hommes engagés pour les droits fondamentaux dans leur pays venant de différentes régions de la planète.
Gemma Jones, vous êtes une femme engagée dans votre pays, pouvez-vous vous présenter et décrire brièvement la situation des droits fondamentaux et de l’égalité entre les femmes et les hommes dans votre pays ?
Je suis avocate fiscaliste et défenseuse des droits humains, née à Madrid de parents immigrés de Guinée équatoriale.
La situation des droits fondamentaux en Guinée équatoriale est préoccupante : la répression, le manque d’indépendance de la justice, la corruption et l’impunité sont une constante. L’égalité entre les femmes et les hommes reste un défi, non seulement au niveau juridique, mais surtout au niveau social et structurel.
Quel est votre principal engagement dans votre pays et pourquoi avez-vous choisi cette cause ?
Mon engagement principal est de contribuer à la construction d’un véritable État de droit, où l’accès à la justice, la transparence institutionnelle et le respect des droits humains soient effectifs. J’ai choisi cette cause parce que je crois fermement que sans justice, il n’y a pas de développement ni de paix durable. Je me suis spécialisée dans la fiscalité car le système fiscal est aussi un outil essentiel pour redistribuer le pouvoir, garantir les droits et renforcer les institutions.
Rencontrez vous des obstacles spécifiques en tant que femme dans votre engagement ?
Oui, et très fortement. Être une femme, une jeune femme et pratiquer le droit de manière critique et indépendante dans un système autoritaire comme celui de la Guinée équatoriale est doublement pénalisant. J’ai subi des menaces, du harcèlement et enfin des représailles institutionnelles. En décembre 2023, j’ai été arbitrairement radiée du barreau pour deux ans, ce qui fait de moi la première femme avocate de l’histoire de la République de Guinée équatoriale à être suspendue pour l’exercice de son métier et son engagement en faveur de la justice.
Cela reflète non seulement le manque de garanties de l’État de droit, mais aussi la manière dont le pouvoir punit particulièrement durement les femmes qui ne se soumettent pas. Dans un contexte où l’obéissance est récompensée plutôt que l’éthique professionnelle, une femme qui s’exprime et défend des principes est traitée comme une menace et non comme un agent de changement.
Malgré ces difficultés, pouvez-vous me donner un ou plusieurs exemples de réussite dont vous êtes particulièrement fière ?
Je suis fière d’avoir créé et développé, avec mon équipe, le cabinet Jones and Sacristan, qui est passé d’un petit cabinet d’avocates à un cabinet de conseil de référence en matière fiscale et juridique. Nous existons depuis cinq ans. Je suis également honorée d’avoir été sélectionnée comme lauréate Marianne 2025, ce qui représente une reconnaissance internationale de mon engagement en faveur des droits humains et m’a permis de poursuivre mon travail depuis l’exil avec plus de force et de visibilité.
Y a-t-il une personne qui vous a inspiré tout au long de votre parcours ou une ressource qui vous a été d’une grande utilité ?
L’une des personnes qui m’a le plus inspirée est la femme politique vénézuélienne María Corina Machado. Malgré la répression brutale qu’elle a subie, elle continue d’être un exemple de fermeté, de cohérence et de leadership féminin dans un contexte de dictature. Je suis inspirée par sa capacité à résister sans perdre l’espoir ni l’horizon démocratique.
J’ai également bénéficié de formations sur les droits humains, le leadership et la négociation, telles que celles proposées par le cadre de l’Initiative Marianne, où j’ai pu renforcer mes outils pour continuer à plaider efficacement.
Si vous n’aviez qu’un seul message à faire passer, quel serait-il ?
Ne jamais sous-estimer le pouvoir de sa propre voix, même dans les contextes les plus hostiles. S’exprimer, résister avec dignité et travailler avec cohérence peut avoir un impact transformateur, même si les résultats ne sont pas immédiats. L’avenir se construit par des actes de courage quotidiens.
Propos recueillis par Jocelyne Adriant-Mebtoul 50-50 Magazine