Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes Le rapport FACT-S 2025 , 9 ans après la loi du 13 avril 2016

Il y a maintenant 9 ans, le 13 avril 2016, la France se dotait d’une loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

Une loi qui repose sur trois convictions : la prostitution constitue une violence envers les femmes, est un obstacle à une égalité réelle entre les femmes et les hommes et une atteinte à la dignité humaine.

En abrogeant le délit de racolage, la loi mettait fin à une injustice depuis longtemps dénoncée par nos associations de terrain qui accompagnent les personnes en situation de prostitution, qui pénalisait les victimes de la violence prostitutionnelle.

Elle engage au contraire l’Etat et la société à leur côté en développant une politique nationale de sortie de la prostitution, afin d’offrir à toutes celles qui le souhaitent des alternatives à l’activité prostitutionnelle.

Et pour la première fois dans l’histoire française, elle interdit l’achat d’un acte sexuel, reconnaissant enfin la responsabilité des acteurs dans ce système.

Venant en complément d’une législation ferme en matière de lutte contre le proxénétisme, cette nouvelle loi vise à tarir le flot d’entrée dans la prostitution, qui touche en premier les femmes, les personnes les plus vulnérables, et de plus en plus de jeunes en s’attaquant à la demande, et à protéger et accompagner les victimes au moyen de mesures concrètes.

C’est une loi progressiste qui s’inscrit dans la lignée des grandes avancées pour les droits des femmes et l’égalité, et dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

Neuf ans après l’adoption de la loi, nos associations mesurent le chemin parcouru depuis le 1er rapport FACT-S en 2021, avec notamment une augmentation significative du nombre de parcours de sortie de prostitution (PSP) entre 2020 et 2023 (plus de 56% pour les seules associations Amicale du Nid et Mouvement du Nid).

Mais au-delà de ces chiffres très positifs, les personnes ayant bénéficié d’un PSP témoignent surtout de la manière dont cela a changé leur vie : « je ne vis plus avec la peur au quotidien », « je ne fais plus de cauchemars », « je n’avais plus d’espoir, aujourd’hui tout va pour le mieux “, « je vis comme une personne normale ».

Le dispositif continue de prouver son efficacité pour sortir de la prostitution et accéder à l’autonomie. A l’issue des deux années de parcours, 91% des personnes concernées ont un emploi (60% en CDI), 45% ont un titre de séjour et 49% sont en attente de leur titre de séjour, et 71% ont une bonne maîtrise du français (pour rappel, la grande majorité des personnes en situation de prostitution en France sont étrangères, victimes de la traite pour la plupart).

Bien appliqué, ce volet social fonctionne. Mais nos organisations, qui ont accompagné 68% des PSP en 2023, ce qui nous permet d’avoir une vision précise de la manière dont cela fonctionne, font le constat amer que la loi est malheureusement loin d’être appliquée comme elle le devrait, que ce soit sur le volet social à travers l’attribution des PSP, mais aussi plus globalement sur le soutien aux personnes en situation de prostitution, ainsi que sur le volet répressif en direction des clients de la prostitution.

Quelques exemples, partiels, – la totalité des éléments est à lire dans le rapport – concernant les parcours de sortie :

  • Les demandes de PSP sont examinées par une commission départementale qui siège sous l’autorité du préfet. Au 31/12/2024, 34 départements n’avaient aucun parcours de sortie en cours.
  • Dans les départements où les commissions départementales se réunissent régulièrement, nous ne pouvons que déplorer l’extrême hétérogénéité de l’application de la loi, ainsi qu’un durcissement progressif des critères d’attribution avec des motifs de refus en totale contradiction avec l’esprit de la loi de 2016 : un PSP refusé dans un département parce que la personne n’a pas arrêté la prostitution depuis assez longtemps ; dans le département voisin, parce qu’elle a arrêté depuis trop longtemps… Elles ont un compagnon, donc soupçonné de proxénétisme ; elles ont des enfants restés au pays ; elles ont été déboutées du droit d’asile en amont de la demande de PSP ; elles ne peuvent prouver qu’elles ont été victimes de proxénétisme ou de traite ; elles ne disposent pas d’acte d’état civil légalisé…

Or la majorité de ces conditions ne relèvent pas des conditions réglementaires prévues pour l’entrée en PSP.

Mais surtout, c’est le plus souvent le fait qu’elles soient étrangères en situation irrégulière qui va primer sur le fait qu’elles soient victimes de prostitution, de proxénétisme ou de traite, victimes de violence.

De nombreuses commissions départementales voient le PSP comme une « ruse » pour obtenir des papiers, s’improvisent juges sur de nombreux aspects de la vie des candidates au PSP et entravent ainsi l’accès à leurs droits.

Nos associations se trouvent donc prises en étau entre d’une part une stratégie nationale ambitieuse de lutte contre le système prostitutionnel, portée par la Ministre à l’Egalité, et plus globalement des politiques visant à mieux protéger les femmes victimes de violence ; et d’autre part des politiques migratoires endurcies qui empêchent des femmes victimes de violence d’être hébergées, protégées, accompagnées car considérées comme migrantes en situation irrégulière, là ou le seul critère qui devrait prévaloir est celui de personnes souhaitant s’extraire de la violence prostitutionnelle, avec des dispositifs spécifiquement prévus pour cela dans la loi de 2016.

C’est pourquoi nos associations demandent, entre autres :

  • Que soit garanti l’accès aux PSP à toute personne souhaitant quitter la prostitution, avec des pratiques et des critères homogènes dans l’ensemble des commissions départementales dans le respect de la loi du 13 avril 2016 : les demandes doivent être instruites à l’aune de l’émancipation des violences du système prostitutionnel, et non des politiques migratoires.
  • Que soit effectif l’élargissement de l’hébergement d’urgence dédié aux femmes victimes de violence conjugale aux victimes du système prostitutionnel, comme prévu dans la stratégie nationale de lutte cotre le système prostitutionnel de 2024.
  • Que leur accès à la justice soit garanti et renforcé. 

Claire Quidet Présidente du Mouvement du Nid

FACT-S : Fédération des Actrices et Acteurs de Terrain et des Survivantes de la Prostitution aux côtés des Personnes Prostituées

La FACT-S est composée de l’Amicale du Nid, de CAP International, de la Fédération nationale des CIDFF, de la Fondation Scelles et du Mouvement du Nid et d’un collectif de survivantes.

 

 

 

 

 

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