DÉBATS \ Contributions Thelma Trébel : “J’avais vraiment cette envie de créer un spectacle inclusif qui parle à tout le monde”

Dans Amoureaux, l’eau se fait rare, des gouttes se révoltent, une usine tourne à plein régime et la poésie affleure partout. Avec ce spectacle engagé et drôle, Thelma Trébel explore les liens entre écologie, amour, absurdité et lutte collective. À l’occasion de son passage au Local des Autrices, rencontre avec une artiste qui cherche à faire du théâtre autrement.
Votre spectacle Amoureaux met en scène des gouttes d’eau militantes dans un monde où l’eau vient à manquer. D’où est née cette idée ?
Tout a commencé avec une phrase qu’on m’a dit à l’école de théâtre. J’étais en première année et on avait écrit des scènes à écrire. Suite à cela, le jury nous avait dit qu’on avait écrit que des scènes avec des enjeux énormes et qu’on pouvait très bien faire une tragédie à partir d’un simple verre d’eau qui se renverse. Sur le moment, j’ai eu envie de répondre : « Bah non, j’ai envie de parler de mes traumas ! » (rires). Mais cette remarque a planté une graine dans mon esprit.
Tout l’été qui a suivi, cette image du verre d’eau m’a trotté dans la tête. J’ai commencé à me demander ce que ça représente : l’eau, la matière, son imaginaire… Et puis l’eau, c’est plein de petites gouttes. J’ai eu envie de les personnifier. Le verre m’a lui emmenée vers l’idée d’industrialisation de l’eau, vers une usine, et de là au monde du travail. J’ai eu envie de mêler tout ça : des choses très concrètes, et en même temps poétiques, absurdes. Et puis parler d’amour, parce que je trouvais qu’il manquait quelque chose d’universel. L’écologie, l’amour, l’humour, la révolte… tout ça s’est construit petit à petit, mais assez naturellement.
Il semble donc y avoir dans la pièce plusieurs registres et de lectures. C’était un choix dès l’écriture ?
Oui, complètement. J’avais envie d’une forme qui épouse le fond. Comme l’eau, qui a plusieurs états, plusieurs couches. Je me suis autorisée à raconter autrement qu’avec du texte. Par le son, les costumes, les mouvements… J’ai voulu créer un spectacle qui parle à tout le monde, peu importe l’âge, le parcours, le bagage culturel.
Certain·es m’ont dit : « Tu ne peux pas tout mettre dans un spectacle ». Mais pour moi, l’eau permet justement de tout relier. C’est un élément fluide, multiple, et je voulais que l’écriture soit à cette image.
Le spectacle s’adresse au jeune public à partir de 7 ans. Comment conciliez vous cette accessibilité avec la force des enjeux que vous abordez ?
Je pars du principe que les enfants comprennent. Peut-être pas les mêmes choses que les adultes, mais iels comprennent. On a tendance à les prendre pour des êtres un peu bêtes, ou qu‘iels n’ont pas les clés, alors qu’iels sont souvent plus ouvert.es, plus intuitifs. Un·e enfant va s’embarquer dans une histoire sans se poser mille questions. Un·e adulte aura plus tendance à tout décortiquer, à essayer d’analyser.
À partir du moment où l’on considère les enfants comme nos égales/égaux, j’ai l’impression qu’on peut écrire un spectacle tout public sans problème. Ce qui change, c’est peut-être le vocabulaire, ou certaines scènes qu’on va adoucir, notamment des scènes de violences, qu’on va leur épargner. Mais pour moi, cela n’a jamais été une difficulté d’écrire pour des enfants, parce que j’avais vraiment cette envie de créer un spectacle inclusif, qui parle à tout le monde. Et aussi de ne pas faire du théâtre élitiste. Je me suis autorisée à être un peu une enfant moi-même, à faire parler des gouttes d’eau, à jouer avec l’absurde.
Il y a aussi une dimension féministe présente. Quelle place a-t-elle dans votre travail ?
C’est là, en filigrane. Je ne me suis pas dit : “Je vais faire un spectacle féministe”, il traverse tout. Déjà, j’écris tout en écriture inclusive. Pour moi, ce n’est pas un sujet. Je le fais et cela ne devient pas un sujet. Jade, la patronne de l’usine, est une cheffe lesbienne, et ce n’est pas un sujet. Il y a eu du coup cette envie de créer des personnages féminins puissants, moteurs, actifs. Claire, la goutte d’eau militante, c’était évident pour moi que ce soit une femme. Et derrière, il y a le personnage de Célestin qui représente une forme d’ultra masculinité qui va aller harceler ses collègues au travail avec des blagues, avec des violences psychologiques. C’est un contraste assumé.
Et puis il y a aussi tout un univers visuel très queer, avec des maquillages inspirés du drag. Pour moi, cela participe d’un féminisme qui est intersectionnel, qui ne s’affiche pas en grandes lettres, mais qui est là partout.
L’un des personnages, Oscar est un ancien marin-poète qui vient travailler à l’usine. Son personnage questionne la place de l’art dans un monde qui s’effondre. Est-ce un miroir de vos propres doutes ?
Tous les personnages de la pièce sont un peu des bouts de moi. Oscar, c’est un peu moi quand je me dis : “À quoi bon ?” Et en même temps, c’est un personnage qui fait le lien. C’est celui auquel tout le monde peut s’identifier. Il est toujours entre deux : il doute, il est un peu résigné, mais il y croit encore. Il lutte contre ses pensées noires, il veut bien faire, il veut que cela change. Il incarne une forme de militantisme plus douce, plus intérieure, qui passe par danser, marcher, rêver, aimer. C’est quelque chose qui se construit au fil du spectacle. Et il transmet cela à Claire qui, elle, est à l’opposé, beaucoup plus brute, plus radicale, dans le mode : “Faut descendre dans la rue, faut gueuler, il n’y a pas d’autre solution”. Et en fait, ils s’influencent l’un l’autre. Claire lui transmet aussi une colère motrice, une colère qui vient d’un amour profond pour le vivant, pour les gens.
Moi, selon les jours, je suis l’un·e ou l’autre. Je crois d’ailleurs que beaucoup de gens oscillent entre ces deux postures.
La musique a une place très importante dans la pièce. Comment avez-vous travaillé cet univers sonore ?
Dès le départ, je savais qu’il y aurait de la musique, mais je n’avais pas encore d’univers précis. Et puis j’ai rencontré Baptiste Rigaud. Il m’a demandé mes références musicales, ce que j’écoutais quand j’écrivais et je lui ai envoyé une playlist de six heures. Il y avait de tout : de la techno, du rock, Pink Floyd…
En résidence, Baptiste a composé toutes les musiques en trois ou quatre jours. Chaque soir, on débriefait. La musique a vraiment structuré la pièce. Elle rythme tout et nous permettait des transitions pratiques, parce qu’on change tout le temps de personnages. Et puis, elle offre une respiration, un autre espace de récit.
Vous avez fondé le collectif Le T.R.U.C., qui revendique un fonctionnement inclusif. Comment cela se traduit-il dans votre travail au quotidien ?
Cela se traduit dans plein de petites choses, mais surtout dans une volonté très forte de bienveillance. Dans ce milieu, on nous a souvent appris que la souffrance faisait partie du processus artistique. Moi, je ne veux plus de ça. Dans Amoureaux, comme dans nos autres projets, nous mettons en place des outils très concrets : des cercles de parole, des temps de débrief, où chacun·e peut dire comment iel se sent. C’est important que tout le monde puisse s’exprimer, qu’on déconstruise les modèles violents des écoles de théâtre ou ailleurs.
Nous essayons aussi d’être cohérent.es avec nos valeurs écologiques : 90 % des décors et costumes sont faits à partir de matériaux de réemploi, nos repas en résidence sont végés, on achète sur Vinted ou Le Bon Coin…Cela pousse à être inventive/inventif. Après, dans ce métier là, c’est malheureux, mais l’on ne peut pas être irréprochable. Si nous voulions vraiment l’être, nous ne ferions même pas de théâtre en salle – rien que le parc lumière, les décors qu’on transporte en camion, c’est déjà une contradiction. Mais on veut faire les choses le mieux possible.
Et maintenant, que souhaitez-vous pour la suite du projet ?
J’ai envie que Amoureaux décolle, c’est un projet que je porte depuis cinq ans. C’est un peu mon bébé, il a fait ses premiers pas en mars et avril, et maintenant j’ai envie qu’il décolle, qu’il courre et passe son permis. (rires) Qu’il grandisse. Cet été, je vais prendre un peu de recul, et ensuite on verra. J’ai aussi envie d’écrire, de faire du cinéma, de la poésie… Et de jouer aussi. Je suis notamment comédienne dans Nephtys, une compagnie bordelaise avec lequel je joue Les Gorgones.
Et j’ai très hâte de jouer au Local des Autrices. Je suis très touchée de pouvoir jouer là-bas. C’est une salle qui valorise les artistes féminines et c’est précieux.
Propos recueillis par Perine Selex Blogueuse
Amoureaux de Thelma Trébel – Le MERCREDI 11 JUIN 2025 à 19h30 au Local des Autrices (Paris)
Avec : Julie Bongiardino, Joseph Pidault, Léone Metayer, Milena Kauffmann, Victor Lamouroux, Thelma Trébel
Mise en scène : Thelma Trébel et Mélie Prévost André • Musique : Baptiste Rigaud • Costumes : Thalia Moore • Scénographie : Clara Aura • Création lumière : Margaux Guiraud • Maquillage : Louise Helal
Cie Le T.R.U.C. et association Les Hirondelles
50-50 Magazine est partenaire du Local des Autrices