France \ Société Philippe Martin : “Il y a encore beaucoup de travail à faire pour implémenter l’éducation à la vie affective et sexuelle dans les écoles” 2/2

Philippe Martin est un chercheur qui s’intéresse à l’éducation et au droit à la sexualité, à la santé sexuelle des jeunes. En mars 2024, il a créé Sexpairs qui est une  communauté en ligne des 15-24 ans qui vise à échanger et à trouver des informations et des outils sur la sexualité. Des professionnel·les de la santé sexuelle sont aussi actives/actifs sur le site. 

Quels sont vos partenaires ?

Nous travaillons avec Santé Publique France, l’Inserm, l’Ined. Nous travaillons également avec des associations telles que le CRIPS Ile-de-France, qui est une association qui a lutté et qui lutte toujours contre le VIH et fait maintenant de la promotion de la santé de manière globale. Nous agissons également avec des associations de terrain qui sont au contact des jeunes. Nous sommes aussi en contact avec les plannings familiaux. Et enfin, nous collaborons avec les académies d’Orléans, de Créteil et de Clermont-Ferrand.

Quel est votre avis sur l’approche de l’Education Nationale sur la sexualité des jeunes ?

Il y a déjà en ligne tout un travail réalisé autour du nouveau programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS), avec des valeurs qui sont prônées sur ces questions, intégrant les droits et l’égalité. Il y a eu un vrai travail coordonné par la Direction Générale de l’Enseignement Scolaire (DGESCO) sur ce nouveau programme, qui selon moi est très important à mettre en œuvre. Je pense qu’il doit être développé, implémenté et soutenu par l’ensemble des acteurs de l’éducation et de la promotion de la santé. Car le vrai problème de l’éducation à la sexualité, c’est la disparité dans la façon de la mettre en œuvre (sujets abordés, acteurs impliqués). Par exemple, les enseignant·es et les écoles ne vont pas implémenter l’EVARS de la même façon, cela peut dépendre des positionnements, des moyens mais aussi des contextes de l’établissement avec notamment les réactions des parents. De ce fait, les séances d’éducation ne vont pas être mises en place de la même manière, on ne va pas aborder les mêmes sujets. Il y a eu des chiffres qui sont sortis dans le cadre de rapport du Haut Conseil à l’Egalité, il y a maintenant presque 10 ans. Il montrait que la mise en œuvre des trois séances d’éducation à la sexualité par an étaient très difficilement mises en place et que seules 25% des écoles y arrivaient. Mes travaux pour les politiques publiques ont porté sur l’évaluation la stratégie nationale de la santé sexuelle. Et le seul indicateur dont nous disposions pour savoir si les séances d’éducation à la sexualité étaient correctement mises en œuvre, c’était la question de savoir si les écoles avaient mis en place au moins une fois une séance d’éducation à la sexualité. Nous n’arrivons pas encore à avoir des informations sur les sujets abordés durant les séances et si les séances d’EVARS permettent vraiment de soutenir les jeunes sur ces questions.

Par ailleurs, les enseignant·es peuvent être aussi pudiques sur ces questions. Ils peuvent aborder simplement les questions de procréation ou de prévention des infections sexuellement transmissibles, ce qui n’est pas suffisant pour répondre aux objectifs de l’éducation à la sexualité. Mais les choses bougent et on observe de plus en plus d’enseignant·es qui se mobilisent sur ces questions. Dans tous les cas, la question est celle de « comment » peut-on réussir à mettre en place toutes les séances attendues d’éducation à la sexualité ? Comment arrive-t-on à aborder tous les sujets et les valeurs qui y sont prônés ? Parce que lorsque l’on regarde les programmes scolaires liés à l’éducation à la sexualité, il y a vraiment beaucoup de sujets à aborder. Trois séances sont-elles suffisantes ? Je ne pense pas, mais si déjà ces séances peuvent être mises en place dans tous les établissements et sur des sujets allant au-delà du biophysique, ce serait un progrès pour l’éducation. En effet, je pense qu’il faut que l’on puisse intégrer les questions de vie affective, relationnelle et sexuelle de manière transversale, globale et positive, en parlant des émotions et des relations, en intégrant la communication positive et le rapport au numérique.

Quand on fait de l’éducation à la sexualité, on ne forme pas que des étudiant·es, on forme des êtres humains, on éduque des êtres humains. Et donc ce n’est pas juste une matière. Il s’agit de réussir à permettre aux jeunes d’être des êtres humains qui soient épanouis dans leur vie relationnelle, amoureuse, sexuelle. Et ce n’est pas en trois séances que tout s’apprend l’apprend. Chaque individu vit dans un environnement et une culture qui de fait influent sur son rapport à la sexualité. Dans tous les cas, il y a encore du travail à faire pour implémenter les questions de vie affective et sexuelle dans les écoles mais aussi dans les espaces de vie des jeunes. Il y a la nécessité de former les professionnel·les de l’éducation, du social et du champ de la santé. Il y a la nécessité de former les actrices/acteurs qui sont à l’école, mais aussi en dehors. Il est nécessaire aussi de développer les connaissances des jeunes sur tous les dispositifs et services de santé sexuelle existants qu’elles/ils peuvent consulter (planning familial, centre de santé sexuelle, Centre Gratuit d’Information, de Dépistage et de Diagnostic (CEGIDD).

Parlez-vous des dangers de la prostitution ?

Oui nous abordons les questions liées à la prostitution et la pornographie, mais cela reste un sujet très sensible. La prostitution peut se faire en ligne, notamment chez les jeunes. Mais il reste nécessaire de continuer les recherches scientifiques pour comprendre ces phénomènes. Notre positionnement auprès des jeunes, c’est celui d’accompagner, de prévenir aussi. C’est un sujet qui est sensible, qui est délicat et il faut pouvoir l’aborder dans une approche qui ne soit ni stigmatisante, ni culpabilisante et qui refermerait les personnes. C’est un peu le même problème avec la pornographie. 90% des jeunes ont vu une image pornographique dès 11 ans, ce qui en soi est une problématique. Mais pour autant notre philosophie est de nous positionner dans une démarche d’éducation et non de culpabilisation.

Dans nos actions comme Sexpairs, nous abordons tous les sujets sensibles liés à la vie affective, relationnelle et sexuelle. Cela inclut les violences sexuelles et sexistes, la compréhension des mécanismes qui s’opèrent dans le fait de consommer de la pornographie, et leurs répercussions sur la vie affective, relationnelle et sexuelle.

Les stratégies éducatives doivent aller au-delà de la réprimande, de la stigmatisation, parce que c’est le meilleur moyen de braquer des personnes qu’on veut accompagner. Les jeunes que l’on voit, nous disent, « oui nous connaissons ces problématiques, mais nous notre besoin c’est d’en parler. » Et ce sont des sujets encore très tabous dans le cadre de l’école, mais surtout parce que certain·es jeunes peuvent être dans cette situation présentement et souhaitent avoir des espaces en dehors des salles de classe.

Concernant la pornographie, on peut y être exposé·es par différents biais. Par exemple, une image pornographique peut être envoyée via les smartphones. On n’a rien demandé et on est exposé·es à des images pornographiques. Il y a le rapport de 2023 du docteur Cohen et de son groupe de travail, qui a étudié justement les conséquences des usages de la pornographie chez les jeunes et notamment les enfants et adolescent·es. Il y a eu tout un travail autour de ces questions, avec une synthèse de la littérature, une analyse des effets (plutôt positifs culturellement, plutôt négatifs ou neutres). Qu’est-ce qu’elle permet  ? Qu’est-ce qu’elle ne permet pas ? Quels sont les vrais risques liés à la pornographie ?

Leur recherches leur ont permis de voir des pratiques sexuelles qui correspondaient à des désirs, à des fantasmes par exemple, sur l’homosexualité, en particulier dans des milieux où ces questions sont absolument interdites. Regarder des sites pornographiques peut être un levier pour comprendre sa sexualité et ses désirs. Mais les risques, c’est la perpétuation des pratiques violentes, c’est une entrée dans des rapports douloureux, comme si c’était normal, alors que douleur n’est pas forcée, n’est pas obligatoire.

Et la pornographie vient questionner les normes dans les pratiques (ex : pénétration protocolisée) ou les représentations des masculinités ou féminités (inégalités de genre). On voit beaucoup de femmes dans des positions, et des situations de soumission qui sont complexes. Dans les rapports hétérosexuels, on filme souvent du point de vue de l’homme.

L’exposition précoce des mineur·es est un vrai enjeu d’éducation à la sexualité, puisqu’il faut pouvoir amener ce sujet dans les séances d’EVARS. Ce qui est important de dire, c’est que l’exposition des jeunes à la pornographie est un fait, une réalité. On pourrait avoir comme objectif de prévenir l’exposition à la pornographie des jeunes, sauf que l’on s’aperçoit qu’avec les technologies numériques, c’est quasi mission impossible (malgré les nouvelles lois sur l’accès à la pornographie qui viennent d’être mises en place). Ce sur quoi il faut pouvoir œuvrer, c’est la construction d’une vraie réponse éducative sur les questions de la pornographie, aller vers des jeunes et discuter de ces sujets de manière constructive, leur dire « il est possible que vous ayez vu des images pornographiques, notre objectif ce n’est pas de vous dire que c’est mal. Notre but c’est qu’on en parle, qu’est-ce que cela représente, ce que cela peut influer ? » Il faut avoir un regard réaliste sur le sujet. 

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 Magazine

 

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