Chroniques Chronique Femmes du Monde : Palestiniennes et Palestiniens dans l’enfer de Gaza 2/2

La communauté internationale et les enjeux géopolitiques
Devant une population palestinienne à l’agonie, dont le massacre continue de se dérouler sous nos yeux désormais quasiment en direct, de plus en plus de voix s’élèvent à travers le monde pour appeler à un réveil des consciences et à une réaction urgente de la communauté internationale. ONG humanitaires, Israélien·nes, artistes internationaux, écrivain·es, Juifs et Juives de la ‘diaspora’, mouvements citoyens exigent avec plus ou moins d’écho médiatique un cessez-le-feu immédiat, qui permettrait un répit pour les civil·es exténué·es et la libération des dernier·es otages israélien·nes survivant·es.
Une guerre asymétrique
Sur le terrain, Israël représente la quinzième puissance militaire du monde et la deuxième du Proche-Orient, avec une technologie civile et militaire de pointe et des services de sécurité intérieure et extérieure classés parmi les plus aguerris. Le pays, en conflit depuis sa création en 1948, consacre 4,5% de son PIB à son armement. Le Hamas, qui gouverne de facto la bande de Gaza dont il s’est emparé par la force au terme d’affrontements meurtriers avec le Fatah en 2007, « ne fait pas le poids ». Même si ses brigades se sont peu à peu transformées en force militaire plus traditionnelle et si, outre un armement probablement fourni par l’Iran et le Hezbollah libanais, sa capacité de production d’armes augmente, il ne dispose au final que de 20 000 à 25 000 hommes face aux 173 000 soldats en activité et 465 000 réservistes d’Israël. Dans cette guerre asymétrique, c’est la population civile palestinienne qui paie de sa vie.
Des Etats divergents
Du côté des Etats, géopolitique et géo-économie font souvent la paire. Les discours se montrent de plus en plus indignés, mais des armes continuent d’être envoyées à Israël par ses principaux fournisseurs : en premier et principalement les Etats-Unis d’Amérique, puis l’Allemagne, mais aussi la France et quelques autres pays européens sous forme, non d’armes létales, mais de produits à «double usage», c’est-à-dire utilisables à des fins civiles ou militaires, comme les pièces détachées pour fusils mitrailleurs que les dockers de Fos-sur-Mer ont refusé de charger à destination d’Israël début juin. Pour mémoire, comme 113 autres pays dont tous ceux de l’Union européenne, la France a ratifié le traité sur le commerce des armes interdisant à un Etat de vendre des armes s’il a connaissance « que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des conventions de Genève de 1949, des attaques contre des civils (…) ou d’autres crimes de guerre». Aujourd’hui, qui oserait encore prétendre qu’il n’y a pas crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide ?
D’autres Etats exportateurs ont, eux, suspendu leur vente d’armes à Israël. C’est le cas de l’Espagne, de l’Italie, de la Belgique, des Pays-Bas, du Canada ou du Japon.
Plus largement, ce qu’on appelle le Sud global, l’ensemble géopolitique des pays non alignés sur une puissance occidentale, a manifesté son indignation face à ce qui se passe à Gaza. L’Afrique du Sud a déposé plainte pour génocide contre Israël devant la Cour internationale de Justice, dès le 29 décembre 2023. Depuis, quatorze pays incluant plusieurs européens ont décidé de se joindre à sa plainte : la Belgique, l’Irlande, l’Espagne, la Bolivie, le Nicaragua, la Colombie, le Mexique, la Libye, la Palestine, l’Egypte, la Türkiye, le Chili, les Maldives et le Bélize.
La France a annoncé vouloir reconnaître l’Etat de Palestine en ce mois de juin, rejoignant ainsi les 148 pays l’ayant déjà reconnu, soit les trois quarts des 193 Etats membres de l’ONU, mais aucun du G7. Elle serait ainsi la première de ce groupe censé rassembler les plus grandes puissances de la planète qui détient à lui seul 45% de la richesse nette globale. Cette reconnaissance peut contribuer à changer la donne géopolitique et donner un petit espoir que ce massacre cesse. Mais quand ?
L’impuissance multilatérale
Les organisations multilatérales s’émeuvent mais restent impuissantes. L’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) dénonce la situation humanitaire à Gaza : « Le massacre qui se déroule actuellement [est une] immense tragédie causée par l’homme et pour l’humanité tout entière, car nous la laissons se dérouler sous nos yeux sans intervenir ». Le Conseil de l’Europe considère que les attaques de l’armée israélienne dans la bande de Gaza « vont dans le sens d’un nettoyage ethnique et d’un génocide ». Même le chancelier allemand, Friedrich Merz, avoue en parlant d’Israël : « je ne vois pas quel est son objectif en affectant la population civile de la sorte», alors que Berlin était jusque-là un des plus solides alliés d’Israël. Enfin, la Commission européenne par la bouche de sa présidente, Ursula von der Leyen, dénonce : «L’intensification des opérations militaires d’Israël à Gaza, visant des infrastructures civiles (…), et tue des civils y compris des enfants, est odieuse». La seule question qui se pose à présent pour l’Europe, au-delà des déclarations, c’est de savoir si une majorité de pays de l’UE décidera d’agir contre la politique sanguinaire de B. Nethanyahu parce que «Trop, c’est trop» comme l’a martelé Ehud Olmert, ancien Premier ministre israélien, qui n’a pas de mots assez durs pour qualifier les agissements de son successeur actuel.
Pour l’ONU, on ne peut nier les efforts convaincus et constants d’Antonio Guterres, son secrétaire général, pour exhorter à une trêve humanitaire urgente en clamant : «Gaza est un champ de mort et les civils sont pris dans une boucle mortelle sans fin.» Rien n’y fait, les Nations Unies seront impuissantes à impulser une dynamique d’action, aussi longtemps qu’au Conseil de Sécurité les Etats-Unis refuseront de voter un cessez-le-feu immédiat et définitif.
Une société civile peu audible
La société civile internationale a diversement réagi. Les ONG traditionnelles n’ont cessé d’alerter sur la catastrophe humanitaire de Gaza dès le début et jusqu’à présent. Les mouvements citoyens se sont manifestés rapidement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord mais peu aux Etats-Unis et en Europe. Et en France, le pays qui rassemble les deux plus importantes communautés juive et arabo-musulmane d’Europe, même si de nombreux appels à manifester ont eu lieu, on n’a pas vu l’équivalent d’un grand rassemblement, comme celui du 18 mai dernier à La Haye avec 100 000 personnes protestant à la fois «contre le génocide à Gaza et la complicité des Pays Bas à celui-ci».
Peut-être faut-il nous interroger sur la nature de notre propre absence de solidarité, comme le suggère la grande écrivaine Annie Ernaux sur « le massacre d’une population dont le seul tort est d’être née là (…) Cela suppose que soit nommé et interrogé l’imaginaire raciste à l’égard des Arabes qui est au cœur de l’acceptation du martyre de Gaza ».
Et pendant tout ce temps, la population palestinienne souffre et meurt : chaque jour davantage d’hommes, davantage de femmes, davantage d’enfants. Chaque jour.
Jocelyne Adriant-Mebtoul 50-50 Magazine
Les sources, chiffres et informations, de cet article proviennent de l’ONU et ses agences (OMS, UNICEF, UNHCR, UNRWA…) PAM, FAO, des ONG de terrain, SIPRI, Global Fire Power, media (TV5 Monde, France Télévision...), grands titres de la presse (Le Monde, Courrier international, Le Monde diplomatique, La Croix, Le bilan du monde…)