Chroniques CHRONIQUE L’AIRE DU PSY Loveable (Elskling), un film norvégien de Lilja Ingolfsdottir

Être « aimable » ne va pas de soi…
La capacité d’aimer et d’être aimé·e, vaste thème s’il en est. C’est à elle que la cinéaste se coltine dans ce premier long métrage très engageant. D’ailleurs, si loveable peut se traduire par aimable, le titre en norvégien se traduit lui par amour. Helga Guren et Oddgeir Thune, les premiers rôles du couple, dont nous allons explorer la rencontre, puis la crise conjugale qu’ils vont traverser, connaissent ici leurs premiers rôles de héros au cinéma. C’est un choix de la cinéaste d’opter pour des actrices/acteurs pas trop connus afin d’asseoir la crédibilité de ce couple.
Au commencement, il y a la rencontre amoureuse, l’osmose, l’euphorie et l’insouciance de l’élan passionnel. Au commencement, il y a cet homme séduisant, que Maria convoite et qui ne la remarque pas. De fête en fête, la rencontre se produit et c’est le bonheur. Il va être un beau-père attentionné, puis sept ans plus tard, deux enfants sont nés et Sigmund est souvent en déplacement. À l’attirance inaugurale, aux points communs que l’on savoure de constater, succède la rencontre de deux êtres chargés d’une histoire familiale et ce sont alors les parts traumatiques de chacun·e qui se font jour peu à peu. C’est là que se fait la vraie rencontre, celle qui passe par les désillusions, par le constat des mécanismes défensifs et des travers de l’autre, l’ensemble résonnant avec l’histoire infantile. C’est là aussi que peut surgir la tentation de la rupture pour aller chercher ailleurs le prince ou la princesse charmant·e. Disney ne nous a pas bercé·es pour rien avec ses histoires invraisemblables et autres contes de fée ! Même si l’on sait que le Père Noël n’existe pas, on a quand même la tentation d’y croire un peu au point de leurrer nos enfants avec la magie de Noël !!
La Norvège est en pointe sur la question de l’égalité femmes-hommes au travail. On sent que la charge mentale constitue une thématique centrale dans ce qui travaille la cinéaste. Un enjeu féministe de taille, que nous allons examiner du point de vue de Maria (interprétée par Helga Guren), mère de deux enfants d’un premier lit, puis des deux autres issus du couple qu’elle va former avec Sigmund (Oddgeir Thune). Maria est donc mère de quatre enfants. Comme telle, elle se voit débordée et accablée par son indisponibilité vis-à-vis de ses enfants, comme de ses aspirations professionnelles. Nous sommes plongé·es dans son quotidien à la caisse du supermarché, où elle est en proie à des enjeux de gestion tant économique, qu’éducative. Sigmund (quel prénom tout de même ! (1) ) rentre après une absence professionnelle. Elle/il sont content·es de se retrouver, mais… Maria est excédée, à bout de force seule à gérer le quotidien. La joie des retrouvailles va être emportée par un discours revendicatif, sinon revanchard à l’endroit de son mari heureux de retrouver son foyer, désireux de souffler enfin. Pour Maria, cela est inaudible : les tâches ingrates, la gestion du quotidien, les soucis autour de la scolarité, les reproches de sa fille adolescente, son désespoir de ne plus pouvoir penser, concevoir les projets professionnels qui lui sont confiés, cette charge est accablante et face aux discrètes plaintes de Sigmund, elle ne peut qu’exploser.
La colère
La colère sourde de Maria va devenir bruyante et agressive. Le mutisme que lui oppose Sigmund est caractéristique de l’impasse dans lequel se retrouve le couple lorsque la plainte féminine appelle à un dialogue et qu’elle se heurte au silence du partenaire. Cela exacerbe la colère et Sigmund va suggérer à Maria de se faire aider dans la gestion de sa colère. Suggestion qui la met hors d’elle, tant cela épargne son mari d’une possible remise en question. « Tu ne veux quand même pas divorcer ? » lance-t-elle le poussant dans ses retranchements. Elle a semé les graines de la discorde et lui ne répond pas. Ces deux-là s’aiment, mais sont dans une impasse.
Le désespoir gagne Maria, mais c’est elle qui s’en va. Là encore, il ne la retient pas. L’amorce d’une thérapie de couple renforce la possible rupture. Au second rendez-vous chez la thérapeute, il se dérobe. Maria poursuit seule et se confronte d’abord à sa solitude, puis à sa peur d’être abandonnée, puis à la possibilité qu’une présence soutenante se présente à elle. Accepter ce holding (2) contenant, que lui offre sa thérapeute, est une expérience singulière pour Maria. Cela va lui ouvrir les portes d’une exploration nouvelle et répétée des scènes de la vie conjugale, qu’elle a traversées.
De mère en fille…
Un troisième temps décisif survient lorsqu’elle va rendre visite à sa propre mère. La grande force de Maria, c’est qu’elle se montre perméable à supporter différents niveaux de lecture de sa vie. Tantôt victime de son sort, tantôt actrice provocatrice, elle accepte de revisiter les épisodes conflictuels traversés avec Sigmund. L’échange mère-fille est éloquent. Nous découvrons la violence insue qu’elle adresse à sa fille. C’est un moment émouvant parce que sans doute pour la première fois, Maria le vit en s’autorisant à réellement réceptionner la charge maternelle agressive, c’est-à-dire en ne l’accueillant plus comme familière, comme du déjà connu, mais avec une reformulation calme des scuds maternels.
Désireuse de savoir « ce que nous apprenons de la crise, ce qu’elle nous enseigne », la cinéaste nous offre un témoignage exceptionnel à l’écran de l’extraction d’un dispositif défensif tellement rôdé qui semble s’originer dans la nuit des temps. La mère de Maria invoque le transgénérationnel de ces femmes fortes, qui ont lutté seules sans l’aide d’hommes forcément défaillants. Elle évoque sa propre mère tout autant que la fille ainée de Maria comme une lignée de femmes combattantes et combattives. L’écart se creuse lorsque Maria questionne sa mère sur sa capacité à recevoir. Renvoyée à son point aveugle, sa mère s’énerve et décide de partir, abandonnant sa fille à son questionnement. Maria a enfin débusqué une zone nouvelle à découvrir dans son existence. Elle n’avait pas eu accès à cet aspect de la lutte comme phénomène réactionnel. Elle perçoit ce que cela engendre de mortifère faute de pouvoir identifier combien la peur conduit sa vie depuis l’enfance. Un au-delà est désormais possible et les nombreux miroirs présents dans le film offrent désormais une image avec laquelle un dialogue nouveau peut s’opérer…
Daniel Charlemaine 50-50 Magazine
Sortie en salles le 18 juin 2025
1 Sigmund est le prénom de Freud, l’inventeur de la psychanalyse.
2 Le holding, concept du psychanalyste D. W. Winnicott pour désigner le portage contenant du nourrisson par le personnage maternant, qui lui assure une cohésion et une protection lui assurant le sentiment continu d’exister.