DÉBATS \ Contributions Charlie d’Emilio : «Je fais du drag depuis presque quatre ans, sur des scènes très différentes»

Avec Échos, Émilie Verheul donne la parole à son alter ego, Charlie d’Emilio. Ce seul-en-scène drag king, à la croisée du théâtre, de la danse, de la chanson et de l’électro, donne corps et voix à un personnage en quête de soi, oscillant entre rires, doutes et bouleversements intimes. Un voyage puissant, où la comédienne nous partage ses questionnements sur l’identité, l’amour, la famille ou la solitude… Rencontre avec l’artiste, à quelques jours d’une représentation au Local des Autrices et au Festival d’Avignon.
Racontez nous la naissance du spectacle Échos ?
Charlie préexistait au spectacle. Je fais du drag depuis presque quatre ans, sur des scènes très différentes. Mais je viens surtout de la danse. Et à force, j’ai eu envie d’écrire un spectacle qui permette à Charlie de s’exprimer, de raconter ce qu’il traverse. J’avais envie de lui offrir un format plus ample que les performances courtes que je faisais jusqu’à maintenant. Comme je suis comédienne, et que j’écris aussi, j’avais déjà beaucoup de textes. Il manquait juste un cadre pour les assembler, une forme pour les faire exister.
Sur quoi écrivez-vous ?
Toujours un peu sur moi. Sur la place que je cherche à occuper. Je dis “je” parce que je ne fais pas vraiment de séparation entre Charlie et moi. Il y a une distinction, bien sûr, mais en même temps, ce sont mes mots, ma pensée. Ce sont les mêmes traversées.
Qu’est-ce que le drag vous a permis de découvrir, ou d’expérimenter ?
Ça m’a donné une plateforme de jeu où je pouvais expérimenter davantage. Je pense que si j’avais pu faire certaines choses “en tant qu’Émilie”, je les aurais faites depuis longtemps… C’est un peu un prétexte d’expérimenter des choses parce qu’on a un masque. Mais c’est aussi pour ça que je ne trace pas une frontière nette entre Charlie et moi
Vous avez coécrit le spectacle avec Coralie Mennella, qui signe aussi la mise en scène. Comment s’est passée votre collaboration ?
La collaboration s’est faite hyper naturellement. Coralie est une très bonne amie, nous avons fait la même formation de théâtre, même si nous n’étions pas dans la même promo. Nous avons toujours gravité ensemble, nous avons déjà écrit ensemble. Il y a même un bout de texte dans Échos qui vient d’un texte qu’elle avait écrit sur moi, il y a plusieurs années. Nous traversons des questionnements similaires, donc ça coulait de source. Nous nous sommes posées, nous avons mis à plat les thématiques que je voulais aborder, et comme elle a plus l’habitude d’écrire que moi, elle m’a beaucoup aidée à structurer mes idées, à creuser. Pourquoi je dis ça ? Pourquoi ce mot là, cette image, cette situation ? Il y avait une vraie confiance, et une grande fluidité.
Le spectacle parle de quête d’identité, d’amour, de famille, de solitude… Est-ce que vous avez pu dire ou faire sur scène des choses que vous n’aviez jamais exprimées avant ?
Clairement, oui. Comme j’avais jusqu’à maintenant dansé uniquement dans ce personnage drag, cela m’a permis de parler et d’oser parler, d’oser prendre ma place. Poser des mots, mais aussi des gestes. Cela m’a permis d’exister plus pleinement. Même dans la danse, j’ai expérimenté quelque chose de plus pluriel, de moins enfermé dans une recherche de masculinité, comme on peut parfois l’associer au drag king. Charlie est androgyne, et le spectacle m’a permis d’aller plus loin dans cette recherche. D’ouvrir les possibilités.
La forme du spectacle est très hybride : théâtre, danse, chanson, électro… C’était une évidence pour vous ?
En fait, l’hybridité, pour moi, ce n’est pas une question. Je fais beaucoup de choses différentes, j’aime tester beaucoup de choses, donc c’était évident que je proposerais tout ça. Et comme je parle aussi de mes recherches personnelles, de qui je suis, il y a forcément des chemins multiples, alors ça sort dans l’écriture, dans la forme, dans tout.
Le spectacle contient une bande originale signée Izae. Pouvez-vous nous en parler ?
Izae est un ami très proche, j’adore ce qu’il fait, c’est hyper cohérent. Je savais qu’on allait bien bosser ensemble. Puis qui dit danse dit musique, donc voilà, cela allait de soi. Et surtout, comme c’est moi qui ai créé ce format, je peux tester ce que je veux. Je lui ai donné quelques références musicales pour certains tableaux, mais il a eu une vraie liberté de création. Et pour les chansons, parfois il a repris des brouillons que Coralie et moi avions écrit, et il a étiré un fil, transformé, composé. Il y a même beaucoup de textes qu’il a écrits entièrement. Il a vraiment apporté beaucoup.
Est-ce que le spectacle a évolué depuis sa création ?
Je ne l’ai pas encore beaucoup joué. Il y a eu deux sorties de résidence – une au cabaret La Bouche, à Paris, et une à Arles, dans une salle qui s’appelle Pop – puis une première à Paris au Théâtre Clavel, en avril. Donc pour l’instant, il n’a pas encore eu le temps d’évoluer énormément. Mais j’ai hâte de voir comment il va bouger à Avignon. Je continue à chercher, à tester, notamment sur la manière de dire les textes. Rien n’est figé, je n’en ai pas envie.
Vous parlez d’Avignon : c’est une étape importante pour vous ?
Oui, j’ai très hâte d’y être. J’ai envie de voir les différentes formes que le spectacle peut prendre. Et puis jouer au Local des Autrices, hors d’un cabaret, c’est aussi très important pour moi. Échos n’est pas un drag show au sens strict, mais j’en viens, et j’ai envie d’ouvrir ce format à d’autres lieux, d’autres publics.
Quelles ont été vos influences artistiques ?
J’en ai un grand nombre, dans chaque discipline. Chris(tine and the Queens), par exemple, reste une figure qui m’inspire depuis longtemps. Depuis le lycée, on me dit que je lui ressemble, je ne sais pas trop pourquoi, peut-être parce que je danse et que je cultive une image androgyne. Ce que j’aime chez lui, c’est la puissance, l’assurance, le rythme qu’il dégage sur scène. Côté texte, Coralie et moi nous aimons beaucoup Muriel Robin et Agnès Jaoui. Elles ont une manière d’être drôles, cyniques, profondes, qui fait passer des messages très forts.
Quel lien cherchez-vous à créer avec le public ?
Je veux qu’on sache qui est Charlie, comment il s’est construit. Mais j’ai aussi envie que chaque spectatrice/spectateur reparte avec ses propres questions. Le spectacle est vivant, je m’adresse au public, je le regarde, j’attends une réception. C’est une interaction, comme dans tout drag show. Je ne voulais pas que ce soit juste une pièce de théâtre ou juste un drag show. Je voulais que ce soit un peu tout ça à la fois. Donc il fallait que ce soit agréable à regarder, riche, varié : c’est pour ces raisons que nous avons mis autant de musique, de danse, de chant… et que je m’adresse vraiment au public. Sinon, c’est un peu froid.
Quelles ont été les réactions du public jusqu’ici ?
Il y a eu des rires, parfois à des endroits inattendus, et aussi des larmes. Je suis surprise, mais ça veut dire que quelque chose se passe, que le public est touché. Il y a eu des échanges très forts après les représentations. Un jour, un spectateur m’a dit qu’il ne connaissait rien au drag ni au cabaret, et qu’il avait adoré. C’est exactement ce que je veux : montrer que c’est du spectacle vivant, et que c’est pour tout le monde.
Propos recueillis par Perine Selex blogueuse
Échos de Charlie d’Emilio Mercredi 25 juin à 19h
Artiste-interprète, co-autrice : Emilie Verheul • Metteuse en scène, co-autrice & création lumières : Coralie Mennella • Chorégraphes : Nina Vernin, Tianée Achille • Musique : Izae • Diffusion : Thomas Fournier Galle, Compagnie Latérale Pop
Photo de Une @Béatrice Dufour
50-50 Magazine est partenaire du Local des Autrices