Monde \ Afrique Cléopatre Kougniazondé : “Certains villages ruraux ont été certifiés exempts de mariage d’enfants» 3/3

Au cœur de l’Afrique de l’Ouest, le Bénin rayonne par sa diversité ethnolinguistique, son histoire plurimillénaire et son héritage culturel vibrant. C’est au Bénin que le puissant royaume de Dahomey a été fondé. Les Amazones du Dahomey, femmes guerrières hors pair, sont un héritage vivant du Bénin. Leurs exploits militaires et leur courage exceptionnel résonnent encore dans l’histoire du monde. Le Bénin est aujourd’hui en pleine mutation et engagé sur la voie de l’égalité de genre et de l’innovation sociale. Depuis quelques années, le Bénin démontre une forte volonté politique en faveur des droits des femmes, à travers des réformes législatives, la scolarisation accrue des filles, et la mise en place d’institutions dédiées comme l’Institut National de la Femme. La statue de l’Amazone, la deuxième plus haute statue en Afrique, inaugurée à Cotonou en 2022, incarne cette résurgence mémorielle et cette ambition de bâtir un avenir où les femmes occupent une place centrale.  Dans ce paysage en pleine transformation, Cléopatre Kougniazondé incarne une nouvelle génération de femmes africaines qui bâtissent des ponts entre tradition et modernité, entre identité et innovation. Son engagement profond pour la justice sociale et le leadership féminin font d’elle une actrice clef du changement et une voix influente.

Quelles  différences observez vous entre les zones urbaines et rurales en ce qui concerne l’éducation des filles et les droits des femmes ?

Les disparités entre zones urbaines et rurales au Bénin sont marquées en matière d’éducation des filles et des droits des femmes. En milieu urbain, l’accès à l’école est facilité grâce à plus d’infrastructures et de programmes de sensibilisation, favorisant la poursuite des études. En zones rurales, les mariages précoces sont plus fréquents, en raison de la pauvreté, de traditions culturelles persistantes et d’un accès limité à l’information. Les violences domestiques y sont aussi moins dénoncées, faute de structures adaptées, ce qui freine l’autonomisation des femmes.

Face à ces défis, l’État béninois a renforcé son cadre légal, notamment via le Code de l’Enfant qui interdit le mariage avant 18 ans, et la loi n°2011-26 contre les violences faites aux femmes. Mais la loi seule ne suffit pas : des campagnes communautaires, avec l’appui des leaders traditionnels et religieux, visent à changer les normes sociales. Certains villages ruraux, comme Kandi et Tchaourou, ont été certifiés «exempts de mariage d’enfants», illustrant un engagement concret.

Pour soutenir la scolarisation des filles, l’État accorde des bourses, fournit des kits scolaires et met en place des internats dans les zones reculées. Un système de transferts monétaires cible les familles vulnérables, réduisant ainsi les abandons liés à la pauvreté et les mariages précoces. Des dispositifs d’écoute gratuits permettent aux victimes de violences de signaler les faits en toute confidentialité, même en milieu rural. Des centres d’accompagnement offrent un soutien psychologique, juridique et médical.

Enfin, l’accès à l’information est renforcé grâce à des émissions radio en langues locales, des clubs d’adolescentes et des relais communautaires formés pour sensibiliser et accompagner sur le terrain. Ces actions traduisent une volonté politique réelle. Pour en maximiser l’impact, il est crucial d’augmenter les ressources, d’assurer une présence effective dans les zones isolées, et de poursuivre la transformation des mentalités. Chaque progrès compte, et chaque territoire doit être inclus dans cette dynamique.

Le Bénin est souvent cité comme un modèle de coexistence pacifique entre ses nombreuses communautés. Comment cette diversité culturelle peut-elle devenir un levier d’innovation sociale en faveur de l’égalité femmes/hommes ?

Le Bénin est un carrefour de cultures, de langues et de traditions. Cette diversité, qui fait la fierté du pays, peut aussi devenir un formidable moteur d’innovation sociale pour faire avancer l’égalité entre les sexes.
La coexistence harmonieuse des différentes ethnies et traditions crée un espace de dialogue interculturel propice à l’échange d’idées et de bonnes pratiques. En valorisant les spécificités de chaque groupe, il devient possible d’identifier des points communs et des valeurs partagées autour du respect, de la solidarité et de la justice, qui sont des bases solides pour construire des politiques d’égalité inclusives.

Les chefs traditionnels et les leaders religieux jouent un rôle central dans les communautés béninoises. Leur implication dans la promotion de l’égalité femmes/hommes permet d’adapter les messages et les actions aux réalités culturelles locales, favorisant ainsi une meilleure acceptation sociale. En travaillant avec ces figures respectées, il est possible de déconstruire les normes discriminatoires tout en respectant les identités culturelles.

La diversité culturelle permet d’intégrer des approches traditionnelles aux initiatives modernes en faveur de l’égalité. Par exemple, des pratiques ancestrales de gouvernance locale ou de résolution des conflits peuvent être revisitées pour inclure les femmes dans les processus décisionnels. Cette hybridation crée des solutions innovantes, adaptées et acceptées par les communautés elles-mêmes. La richesse culturelle du Bénin encourage la création d’espaces où les femmes de différentes origines peuvent se rencontrer, partager leurs expériences et collaborer. Ces espaces favorisent la construction d’un mouvement féministe pluraliste, capable de représenter les divers enjeux locaux tout en unissant les forces pour un changement global.

Certaines communautés béninoises ont déjà fait des progrès notables en matière d’égalité, servant de modèles inspirants pour d’autres. La reconnaissance et la valorisation de ces réussites créent un effet d’entraînement qui incite à l’innovation sociale dans tout le pays, tout en montrant que le respect des différences culturelles peut coexister avec la promotion des droits des femmes.

La diversité culturelle du Bénin est donc une richesse à exploiter pleinement pour bâtir des stratégies innovantes et inclusives en faveur de l’égalité femmes/hommes, en s’appuyant sur le dialogue, l’adaptation locale et la valorisation des savoirs traditionnels.

Vous avez récemment participé à un atelier régional organisé par la Friedrich-Ebert-Stiftung sur l’Agenda « Femmes, Paix et Sécurité », à l’occasion des 25 ans de la Résolution 1325 de l’ONU et des 15 ans de sa mise en œuvre par les pays membres de l’Union Africaine. Quels enseignements majeurs avez-vous retenus de cette rencontre ?

Lors de son élaboration en 2000, l’agenda « Femmes, Paix et Sécurité » (FPS) a pris en compte les réalités de cette époque. Vingt-cinq ans plus tard, il est crucial de réfléchir à son actualisation afin de l’adapter aux défis contemporains et en faire une véritable force de développement et de stabilité dans les communautés.

Lors de l’atelier régional organisé par la Friedrich-Ebert-Stiftung à Cotonou, j’ai échangé avec des femmes progressistes venus du Bénin, du Togo, du Mali, du Burkina Faso, du Niger, de la République Démocratique du Congo, de la Centrafrique, de la Côte d’Ivoire, du Cameroun, du Tchad et du Burundi. Cette diversité a enrichi nos perspectives et permis une meilleure compréhension des défis communs et spécifiques à chaque pays.

Nous avons pu constater que, malgré les avancées normatives depuis l’adoption de la Résolution 1325 du Conseil de Sécurité de l’ONU en 2000, de nombreuses lacunes persistent dans la mise en œuvre concrète de l’Agenda « Femmes, Paix et Sécurité » à travers le continent. Au Bénin, comme dans d’autres pays, il est crucial de renforcer la participation effective des femmes dans les processus de paix, de la prévention aux phases de reconstruction.

Ces échanges ont mis en lumière la nécessité d’adapter l’agenda FPS aux contextes culturels spécifiques de chaque pays, tout en assurant des financements stables et durables via l’intégration directe dans les budgets nationaux. Cela permettrait d’éviter les interruptions liées aux crises de financement que connaît actuellement le développement international, aggravées par la fermeture progressive d’organismes comme l’USAID et les restrictions budgétaires croissantes imposées par les bailleurs de fonds traditionnels. Se doter d’une autonomie financière locale renforcera ainsi la pérennité des actions et la souveraineté des États dans la promotion de la justice de genre en matière de paix et de sécurité.

Un défi majeur aujourd’hui est l’impact du numérique sur les conflits et la sécurité. Les cyberattaques, la désinformation et les violences en ligne affectent particulièrement les femmes, fragilisant leur sécurité et leur participation. Il est donc indispensable d’intégrer cette dimension numérique dans l’agenda FPS, notamment par le renforcement des compétences digitales des femmes et le développement de mécanismes de protection efficaces.

Par ailleurs, il faut lutter contre la transformation des femmes et de leur corps en butin de guerre à travers les violences basées sur le genre dans les pays où la guerre sévit.

Pour assurer la résilience et l’inclusivité des processus de paix jusqu’en 2050, il faut renforcer le lobbying auprès des institutions africaines, améliorer la coordination des organisations de femmes, et investir dans l’éducation, la formation et l’autonomisation numérique.

Il est aussi essentiel d’impliquer les hommes pour développer et ancrer une masculinité positive, car la réussite de cet agenda dépend largement de cette collaboration qui favorise des relations égalitaires et la prévention des violences.

Enfin, il est crucial de renforcer la participation effective des femmes dans tous les processus de paix, de la prévention aux phases de reconstruction, afin qu’elles soient pleinement actrices d’une paix durable, juste et adaptée aux enjeux actuels.

Le Bénin participe au Women’s Pavillon de l’Exposition Universelle d’Osaka.  Pourquoi ce choix et quelle en est l’importance ?

Le Bénin participe à l’Exposition Universelle d’Osaka 2025 à travers le Women’s Pavilion, initié par la Fondation Cartier, autour du thème : « When women thrive, humanity thrives » (quand les femmes prospèrent, l’humanité prospère). Ce choix stratégique reflète une volonté forte de valoriser le rôle historique et actuel des femmes béninoises dans la construction d’une société résiliente, équitable et tournée vers l’avenir.

En mettant à l’honneur les Amazones du Dahomey, figures emblématiques de courage et de leadership féminin, le Bénin célèbre un héritage singulier, tout en créant un pont avec l’art contemporain porté par des artistes féminines. Il s’agit de raconter une continuité : celle d’un leadership féminin enraciné dans l’histoire, mais résolument tourné vers l’innovation et l’émancipation.

Cette participation revêt une triple importance. Elle offre d’abord une nouvelle narration du leadership féminin africain : audacieux, inspirant et profondément ancré dans les réalités locales. Elle renforce ensuite la visibilité du Bénin sur la scène internationale, en tant que pays engagé pour l’égalité de genre et l’innovation sociale. Enfin, elle incarne un message politique clair : au Bénin, l’autonomisation des femmes n’est pas une option, mais une priorité. C’est un acte de mémoire, de fierté et de projection.

À travers cette présence à Osaka, le Bénin affirme que les femmes sont, et doivent rester, des actrices centrales du changement, de la culture à l’économie et de la tradition à l’avenir.

Propos recueillis par Laurene Dionigi 50-50 Magazine

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