Articles récents \ Monde USA : en prison aussi, les droits sexuels et reproductifs sont une responsabilité d’État

Christiane Taubira aime rappeler au grand public la responsabilité du gouvernement envers les plus vulnérables. Durant son mandat en tant que ministre de la Justice, elle a dû défendre cette position tout en essayant de rendre le système pénal français plus compréhensif. Elle n’a que partiellement réussi. Une grossesse non désirée engendre rapidement un sentiment de vulnérabilité. Si la pauvreté vient s’ajouter à cet état de vulnérabilité, les choses se compliquent immédiatement pour les femmes, en particulier aux Etats-Unis.

Aux États-Unis, l’État n’assume pas ses responsabilités envers les plus vulnérables qui sont sexualisé-e-s, racialisé-e-s, déclassé-e-s plutôt que soutenues. L’État utilise en les emprisonnant les personnes vulnérables comme source de valeur ajoutée offrant la gestion des services carcéraux à des entrepreneurs privés, faisant de l’institution pénale un complexe industriel. Ces entreprises vont même jusqu’à faire payer aux femmes les produits de base tels que savon, dentifrice etc. La conjonction du développement néolibéral de la marchandisation et des gains décomplexés du capital en faisant croître les inégalités et l’accumulation de richesse pour quelques-un-e-s a contribué à la vulnérabilité des femmes.

Trump et son équipe ont porté cette idée à son paroxysme, mais tout était déjà en place avant même son élection.

Le droit à l’avortement est un droit constitutionnel qui devrait être respecté dans tout le pays, mais les difficultés avérées d’accès à l’avortement témoignent de l’absence de droits sexuels et reproductifs, en prison comme ailleurs. Les femmes qui veulent avorter sont souvent stigmatisées, ce qui les disqualifie du titre de citoyenne. En prison, appliquer le droit à l’avortement est un véritable défi. Les difficultés varient considérablement d’un état à l’autre voire d’un comté à l’autre.

 

La pauvreté une cause d’incarcération

Un tiers des prisonnières du monde est états-unien. Il est donc d’autant plus important d’analyser les raisons qui poussent l’État à punir ainsi les femmes, avec des conditions de détention qui aggravent la punition elle-même. Le nombre de femmes incarcérées aux États-Unis a augmenté de 700 % entre 1980 et 2014. Etre pauvre est une cause d’incarcération qui touche particulièrement les femmes. Comme le montre le dernier rapport de la Prison Policy Initiative (organisation à but non lucratif qui dénonce les dangers de la criminalisation de masse), 72 % des femmes prisonnières sont en dessous du seuil de pauvreté contre 48 % des femmes non-incarcérées. Chez les hommes, cela concerne 57 % des prisonniers contre 23 % des non-incarcérés.

Les femmes enceintes sont aussi envoyées en prison, maisons d’arrêt ou centres de détention pour immigrant-e-s. Dans les prisons fédérales, 1 femme sur 33 est enceinte, et 1 sur 25 dans les prisons des Etats. Dans d’autres types de centres de détention comme les prisons de comté, il est difficile d’obtenir des chiffres précis, ce système carcéral comprenant trois niveaux, fédéral, de l’Etat et du comté.

Les femmes qui poursuivent leur grossesse derrière les barreaux de leur plein gré ou pas, font face à des conditions prénatales désastreuses. Aux États-Unis, en 2011, 38 Etats n’avaient pas d’aménagement particulier pour les femmes enceintes et 41 Etats n’assuraient pas de nutrition prénatale. Les bébés nés en prison sont immédiatement séparés de leur mère après la naissance, démontrant que le bien-être des enfants nés en prison n’est pas pris en compte : une autre injustice.

De plus, le système de santé derrière les barreaux est largement inadéquat aux États-Unis, bien que selon le 8ème amendement, les prisonnier-e-s sont les seuls individus à avoir un droit constitutionnellement garanti d’accès aux soins. Les décisions de soins et traitements sont souvent prises par des juges ou personnels pénitentiaires qui n’ont aucune connaissance médicale. En conséquence, les traitements médicaux sont retardés, ignorés ou jamais mis en place.

 

Avorter : un parcours semé d’embûches 

Lorsque les détenues ne souhaitent pas devenir mères, bien que le droit à l’avortement soit constitutionnellement garanti, peu d’Etats leur offrent les moyens d’accès à ce droit. Dans la plupart des Etats, les femmes doivent gérer un imbroglio de normes et règlements, rédigés selon un standard masculin d’incarcération. Ces femmes connaissent un parcours semé d’embûches lorsqu’elles veulent avorter.  Du droit d’accès à une clinique, au paiement des transports, chaque étape est, dans la plupart des Etats, une charge indue pour les prisonnières. Car les avocat-e-s de l’ American Civil Liberties Union le rappellent, la Cour Suprême états-unienne dans l’arrêt Roe v Wade a jugé que « les lois qui réduisent l’accès à l’avortement ne peuvent créer une « charge indue. »

La bataille légale pour l’accès à l’avortement en prison devrait être considérée sérieusement par quiconque se préoccupe du respect de la dignité des femmes, en tant que citoyennes. Cela implique que les femmes aient le contrôle de leur reproduction. Des femmes ont été envoyées en prison parce que les Etats ne garantissaient pas l’accès à l’avortement et aux services prénataux à toutes et en particulier à la population la plus vulnérable. L’affaire Purvi Patel, jeune femme condamnée à 20 ans de réclusion pour la naissance d’un bébé mort-né, est une des trop nombreuses affaires qui prouvent que l’Etat n’est pas concerné par le bien être des femmes, notamment celles qui sont en état de vulnérabilité.

L’ American Civil Liberties Union et d’autres groupes ont appelé à plus de recherches sur l’application des droits reproductifs au sein du système pénal états-unien. Bien que cette demande soit importante pour résister à la vague conservatrice anti avortement, l’invisibilité des conditions de vie des femmes derrière les barreaux nous instruit sur la façon dont les attaques contre les droits des femmes et contre l’exercice d’une justice reproductive sont menées en général et sur leur portée sociale. Si les responsables politiques des États-Unis ou d’ailleurs assumaient leur responsabilité vis-à-vis des plus vulnérables, qui sont souvent des femmes et plus souvent encore des femmes de couleur et/ou des femmes détenues, ils ne serviraient que mieux toutes les femmes et la société.

 

Brigitte Marti 50-50 magazine

 

 

print