Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes Muriel Salmona : LE FIASCO D’UNE LOI CENSÉE RENFORCER LA PROTECTION DES MINEUR.E.S CONTRE LES VIOLENCES SEXUELLES 3/3

Le viol sur un.e mineur.e est un crime spécifique à différencier des viols sur adulte

La faille majeure de la définition du viol qui met en danger les enfants n’est donc toujours pas corrigée par ce nouveau texte de loi et c’est scandaleux.

Cette faille majeure est liée au fait que le viol soit défini par le code pénal de la même façon pour les adultes que pour les enfants quel que soit leur âge (de 0 à 18 ans) : à savoir une pénétration sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise. Sans prendre en compte que, si pour qualifier un viol sur une victime adulte, il peut être logique de devoir démontrer qu’elle n’était pas consentante en prouvant qu’on a usé de violence, contrainte, menace ou surprise pour la pénétrer, puisqu’une personne adulte est censée pouvoir consentir de façon libre et éclairée à des relations sexuelles avec une autre personne adulte sans que cela porte atteinte à son intégrité physique et psychique, il n’en est pas de même pour un enfant de 0 à 15 ans, et de 0 à 18 ans en cas d’inceste, de handicap et de relation d’autorité avec l’adulte : en dessous d’un seuil d’âge et en fonction du contexte (inceste, handicap, relation d’autorité) un enfant ne saurait consentir à des relations sexuelles avec un adulte, et il ne saurait en aucun cas s’agir de sexualité.

Non seulement les enfants sont des personnes immatures et dépendantes qui doivent être impérativement protégées et qui n’ont ni le développement, ni les capacités, ni le discernement, ni les connaissances pour pouvoir consentir à être pénétrées sexuellement par un adulte, ni la possibilité de s’y opposer du fait de leur dépendance et de leur grande vulnérabilité face aux adultes. Un consentement libre et éclairé est impossible.

Mais au-delà de cette invalidité de la notion de consentement, toute pénétration sexuelle est en soi une grande violence pour les enfants, qui porte atteinte leur intégrité physique et mentale à court, moyen et long termes. Elle a les mêmes conséquences psychotraumatiques que les tortures avec de très graves conséquences sur la santé et le développement des enfants : pénétrer sexuellement un enfant n’est en aucun cas de la sexualité, c’est lui infliger un acte cruel, traumatisant, dégradant et inhumain : c’est un crime.

Comme nous l’avons vu, malheureusement cette faille existera toujours avec le projet de loi tel qu’il a été rédigé par la CMP, même si la contrainte et la surprise ont été définies plus précisément en fonction de la vulnérabilité et du discernement de l’enfant, les magistrats garderont la possibilité de d’apprécier subjectivement le comportement de l’enfant, sa maturité sexuelle ou son discernement pour évaluer s’il était consentant ou non, et la défense pourra continuer à faire peser sur lui la responsabilité de l’agression, c’est cruel et inadmissible.

En raison de cette subjectivité inhérente à la définition pénale du viol, les mêmes faits dans des circonstances similaires peuvent être poursuivis pour viol ou pour atteinte sexuelle, leur auteur emprisonné ou acquitté, comme l’ont montré de récentes affaires, telles celle de Pontoise et de Melun qui ont choqué récemment l’opinion publique avec des petites filles de 11 ans pénétrées sexuellement l’une par un homme de 28 ans et l’autre de 21 ans. La première a été, dans un premier temps, avant une mobilisation citoyenne et associative, qualifiée d’atteinte sexuelle par le parquet de Pontoise, la deuxième a abouti à un acquittement alors que la petite fille s’est retrouvée enceinte et a dû abandonner l’enfant à la naissance.

Et pourtant, cela devrait être une évidence humaine pour toutes et tous, que pénétrer sexuellement un enfant est en soi un acte cruel, dégradant, inhumain et traumatisant, aux très lourdes conséquences à long terme sur la santé, le développement et la vie de l’enfant : un crime dont il faut absolument le protéger comme le requièrent les conventions internationales et européennes, et comme le recommande l’OMS (2010).

En dessous d’un seuil d’âge et dans certaines circonstances la recherche du consentement de l’enfant à des actes sexuels le met en grand danger de ne pas être protégé : c’est une négation de ce qu’est un enfant et de la violence et du traumatisme qu’il a subis.

Dans une société encore très imprégnée par le déni et la culture du viol qui met en cause les victimes en leur reprochant de ne pas s’être suffisamment opposées, de s’être trop exposées, d’avoir été provocantes, qui considère que les petites filles peuvent être des « Lolitas », qui méconnait des processus psycho-traumatiques universels tels que la sidération qui paralyse les victimes, la dissociation traumatique qui les anesthésie et les rend incapables de se défendre, la mémoire traumatique qui entraînent des comportements sexuels inappropriés qui sont des réminiscences agies de violences sexuelles déjà subies ou des conduites dissociantes traumatiques de mises en danger, le risque est très grand que le comportement traumatique de l’enfant, sa dépendance affective, l’emprise qu’il subit soient interprétés injustement par les magistrats comme un consentement, ce qui est particulièrement cruel et malheureusement fréquent.

Or, si pour qualifier un viol sur une victime adulte, il peut être logique de devoir démontrer qu’elle n’était pas consentante en prouvant qu’on a usé de violence, contrainte, menace ou surprise pour la pénétrer, puisqu’une personne adulte est censée pouvoir consentir de façon libre et éclairée à des relations sexuelles avec une autre personne adulte sans que cela porte atteinte à son intégrité physique et psychique, il n’en est pas de même pour un enfant de 0 à 15 ans, et de 0 à 18 ans en cas d’inceste, de handicap et de relation d’autorité avec l’adulte : en dessous d’un seuil d’âge et en fonction du contexte (inceste, handicap, relation d’autorité) un enfant ne saurait consentir à des relations sexuelles avec un adulte, et il ne saurait en aucun cas s’agir de sexualité.

Tant que la loi n’invalidera pas la recherche d’un consentement chez l’enfant, le risque restera très grand de confondre les notions de consentement, de maturité sexuelle et de discernement avec l’impact psychotraumatique de l’acte sexuel subi par l’enfant et avec des conséquences psychotraumatiques (mémoire traumatique, dissociation traumatique et conduites dissociantes à risque) dues à des violences sexuelles subies antérieurement. Il ne faut pas oublier que :

  • les violences sexuelles sont extrêmement traumatisantes pour les enfants qui les subissent, d’autant plus si ils sont très jeunes, si les violences sexuelles sont incestueuses et s’il s’agit de viols (IVSEA, 2015, Felitti et Anda, 2010, Hillis, 2016, Fulu, 2017). avec un impact catastrophique sur leur santé, leur développement et leur vie, même à long terme, 96% des victimes mineures de violences sexuelles en ont un impact important voire très important sur leur santé mentale, 70% sur leur santé physique. Ces violences sexuelles subies dans l’enfance sont le premier facteur de morts précoces, de risque de suicide, de dépression à répétition, de conduites addictives, de conduites à risque et de mises en danger, de risque de subir à nouveau des violences tout au long de leur vie, de grande précarité et de marginalité, d’obésité, de diabète, de troubles cardio-vasculaires, immunitaires, endocriniens, digestifs, neurologiques, gynéco-obstétricaux, etc., que toute la communauté scientifique internationale et l’OMS les reconnaissent comme un problème de santé publique majeur (IVSEA, 2015, Felitti et Anda, 2010, Hillis, 2016, Fulu, 2017, cf Manifeste stop aux violences envers les enfants).…Et plus l’enfant est petit, moins il a d’outils intellectuels pour identifier et comprendre ce qu’il subit par manque de discernement, d’expériences et de maturité, plus il sera gravement traumatisé… 
  • le facteur de risque principal, et de très loin, de subir des violences sexuelles est d’en avoir déjà subi (études ACE de Felitti et Anda, 2010, l’OMS 2010, 2014, 2016) 70% des victimes de violences sexuelles en subissent à nouveau tout au long de leur vie (IVSEA, 2015), or c’est fréquent 1 fille sur 5 et 1 garçon sur 13 ont subi des violences sexuelles(OMS, 2016), 81% avant 18 ans, 51% avant 11ans, 21% avant 6 ans (IVSEA, 2015), et 40% des viols ont été subi avant 15 ans pour les femmes, 60% pour les hommes (VIRAGE, 2017) ;
  • les actes sexuels précoces sont fréquemment en lien avec des violences sexuelles subies plus jeunes : ils sont fortement reliés à des violences sexuelles subies antérieurement et aux conduites sexuelles à risque dissociantes qui en sont une conséquence psychotraumatique fréquente (Dalhe, 2010) et ils sont un facteur de risque pour la santé mentale et physique de l’enfant, avec des risques de grossesse précoce et d’infections sexuellement transmissibles, des risque accrus de conduites addictives et à risque, de mauvaise estime de soi, et de violences sexuelles réitérées (Noll, 2007, Wilson, 2008, Lowry, 2017);
  • les violences sexuelles dans la petite enfance augmentent l’incidence de pubertés précoces chez les filles, augmentant alors d’autant le risque de grossesse précoce (Noll, 2017).

De façon particulièrement injuste, la méconnaissance des conséquences psychotraumatiques des viols est un facteur important d’absence de protection et de reconnaissance, ainsi que d’impunité. En effet, les symptômes psychotraumatiques sont fréquemment retournés contre l’enfant victime pour mettre en cause sa parole, décrédibiliser son récit et le soupçonner de mentir ou d’exagérer, ou bien le considérer comme consentant, ou comme n’ayant pas été traumatisé, ce qui aura pour conséquences des classements sans suite, des déqualifications, des relaxes ou des acquittements.

C’est le cas pour des symptômes psychotraumatiques pourtant universels et pathognomoniques (qui sont une preuve médicale d’un trauma), en rapport avec des anomalies visibles sur les IRM fonctionnelles, tels que : la sidération qui paralyse le cerveau de la victime et l’empêche de fuir, de crier et de se défendre, la mémoire traumatique qui lui fait revivre à l’identique les pires moments des violences et contraint les victimes à mettre en place des stratégies d’évitement, la dissociation traumatique qui les anesthésie émotionnellement, fait qu’elles semblent tolérer de graves atteintes à leur intégrité physique et psychique, et entraîne de fréquentes amnésies traumatiques. Des études (Williams, 1995, Widom, 1995) et notre enquête de 2015 ont montré que 38% à 40% des victimes présentaient des amnésies, 40% d’amnésies totales et 60% d’amnésies partielles.

En ce qui concerne la prescription

Pour la prescription, l’imprescriptibilité n’a pas été retenue. Un allongement des délais de prescription de 20 à 30 ans après la majorité a été retenu et voté par l’Assemblée Nationale et le Sénat. Sur proposition du gouvernement, le Sénat a voté une interruption de la prescription des viols quand d’autres viols ont été commis par le même auteur contre d’autres mineurs mais qui a malheureusement été abandonné par la Commission Mixte Paritaire. En clair, cela aurait permis, quand il y aurait eu plusieurs victimes du même auteur ayant subi les mêmes crimes, les unes pour lesquelles les faits auraient été prescrits, d’autres pour lesquelles les faits n’auraient pas été prescrits, cela aurait pu permettre que celles pour qui les faits sont prescrits puissent voir leur plainte instruite. Le Sénat a également voté la possibilité de reconnaître par expertise l’amnésie traumatique comme obstacle insurmontable suspendant la prescription, ce qui a été également abandonné par la Commission Mixte Paritaire.

AU TOTAL, AVEC CETTE LOI, LE RENDEZ-VOUS A ÉTÉ MANQUÉ, LES ENFANTS RESTENT EN GRAND DANGER.

Or rappelons-le encore un fois :

  • les enfants doivent être impérativement protégés de toute interaction sexuelle avec un adulte car il s’agit d’actes cruels et dégradants qui portent atteinte à leur intégrité physique et psychique et représentent une grave menace pour son développement et sa santé à long terme ;
  • les enfants sont dans l‘incapacité de s’opposer à des interactions sexuelles avec les adultes et ne sauraient en aucun cas y consentir de façon libre et éclairée ;
  • les violences sexuelles qu’ils subissent ont un caractère exceptionnel par leur ampleur, leur caractère gravement discriminant (elles touchent avant tout les enfants, les femmes et les personnes les plus vulnérables), par l’impunité quasi totale dont elles bénéficient et par l’absence de protection et de reconnaissance de leurs victimes ; par la gravité de leurs conséquences psychotraumatiques sur la santé et l’intégrité des enfants à court, moyen et long termes, par la fréquence des amnésies traumatiques qui peuvent durer des décennies et qui les empêchent de pouvoir dénoncer les violences et porter plainte, par l’importance du déni, de la loi du silence, de la tolérance et de « la culture du viol » qui règnent sur ces violences sexuelles ;
  • elles constituent un grave problème de société et de santé publique, d’atteinte aux droits des personnes, à leur sécurité, à leur santé et à l’intérêt général.

Protéger les enfants des violences sexuelles, reconnaître les violences qu’ils ont subies et leurs conséquences psychotraumatiques sur leur vie et leur santé, les accompagner, les prendre en charge et leur prodiguer des soins, respecter leurs droits et leur rendre justice et réparer leurs préjudices sont des impératifs et doivent être une priorité pour toute société démocratique et solidaire qui se doit de respecter les droits fondamentaux des enfants. Dans quelle société voulons-nous vivre ?

Il est urgent dagir et de mettre en place des réformes et des mesures efficaces pour lutter contre ce déni et cette impunité catastrophique qui porte gravement atteinte aux droits fondamentaux et inaliénables des personnes. Droits à l’intégrité, à la santé, à l’accès à des soins adaptés, à l’égalité, à une justice équitable, à des réparations et au respect de leur dignité

Face à ces violences sexuelles exceptionnelles, des réponses politiques exceptionnelles et des moyens exceptionnels et urgents doivent être mis en place : l’imprescriptibilité et la mise en place d’un seuil d’âge du consentement en dessous duquel tout acte sexuel commis par un adulte est automatiquement considéré comme une agression sexuelle ou un viol s’il y a eu pénétration font partie des mesures absolument nécessaires pour renforcer la lutte contre les violences sexuelles envers les mineurs, et renforcer la protection des mineurs contre ces violences.

Aux termes du droit international, lEtat peut être tenu responsables dactes de violence sexuelle perpétrés par des particuliers sil a manqué à son obligation dempêcher ces actes ou de protéger les victimes, d’autant plus s’ils sont des enfants. S’il peut être démontré que les autorités de lEtat ont une conduite passive ou discriminatoire de manière constante, alors lEtat peut être pris à partie. Un acte illégal qui viole les droits humains et qui est perpétré par un individu peut conduire à engager la responsabilité de lEtat, non pas à cause de lacte en lui-même, mais à cause de labsence de mesures pour empêcher cette violation ou du manque de réaction des autorités. Les Etats sont soumis à l’obligation de protéger toutes les personnes contre des violations des droits humains (notamment le viol et autres formes de violence sexuelle). Cette obligation sapplique, quil sagisse dactes perpétrés par des individus agissant en leur qualité de fonctionnaires, en dehors du cadre de cette fonction ou à titre privé. Un tel devoir est aussi assorti dune obligation dagir avec la diligence nécessaire.

Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie

Pour consulter l’intégralité du Manifeste contre l’impunité des crimes sexuels :
https://manifestecontrelimpunite.blogspot.fr

Pour lire le Manifeste pour une imprescriptibilité des crimes sexuels

https://manifestecontrelimpunite.blogspot.fr

Pour lire le Manifeste stop aux violences faites aux enfants :

http://manifestestopvfe.blogspot.fr/

 

print