Articles récents \ DÉBATS \ Témoignages Dr Kpote : «Je ne me définirais pas comme féministe… je préfère utiliser le terme d’allié»

J’ai commencé à travailler dans la pub en province.  Ensuite, dans les années 90, je suis venu sur Paris pour devenir journaliste, mais c’était trop compliqué.
Nous étions alors en pleine période du SIDA, l’épidémie frappait fort. Autour de moi, plusieurs personnes ont été touchées et sont mortes de ce virus. Cela m’a beaucoup interpellé. Et ceux qui, comme moi, n’avaient pas été contaminés, avaient un peu l’impression de n’être pas passés très loin du couperet. Car durant ces années rock&roll, beaucoup d’entre nous ont eu des rapports non-protégés avec un grand nombre de personnes.

Et puis un jour j’ai vu une émission qui parlait du SIDA, et j’ai commencé à militer aux côtés d’Act-Up. Je me retrouvais dans les positons politiques d’Act-Up pour les droits des malades, mais pas toujours dans les débats internes parfois très homocentrés où l’on oubliait les femmes et les enfants concernés. On ne parlait pas des lesbiennes ni des femmes en général. Cela montrait aussi la réalité de l’épidémie. Les homos ont plus subi.

Et puis j’ai entendu parler de Sol en si qui cherchait des bénévoles. Cela tombait bien car deux rues à coté de chez moi, il y avait une halte garderie qui accueillait des enfants séropositifs . Lieu rare car le traitement donné était dur et créait parfois une peur d’une contamination du virus. À l’époque, beaucoup de structures collectives rechignaient à accueillir des enfants séropositifs par peur de contamination et à cause de la difficulté d’observance des traitements. De plus de nombreuses familles ne souhaitaient pas officialiser leur statut sérologique par peur d’être rejetées. La mère et le père, quand il était là, étaient réticent.es à dévoiler leur séropositivité. Il arrivait aussi que dans une famille il n’y ait pas qu’un enfant séropositif. J’ai donc travaillé dans cette halte garderie.

J’ai aussi accompagné pendant presque 10 ans une femme en situation de prostitution. Elle avait perdu la charge de ses enfants et ensuite avait été contaminée par un homme qui était en prison et y est mort du SIDA. Cela m’a mis parfois dans des situations étonnantes car c’était une période où j’étais très disponible et elle m’appelait à des horaires improbables quand elle n’allait vraiment pas bien.

J’ai suivi plusieurs familles qui avaient des histoires toutes aussi compliquées, des familles sans-papiers, des parents qui ne parlaient pas forcément français et cumulaient les soucis. Il y avait tout aussi bien des femmes seules avec des enfants que des hommes seuls. J’ai aussi animé des ateliers de groupes de paroles qui au départ étaient une aide à la recherche d’emploi. C’était des groupes à majorité féminine. Ces femmes venaient pour la plupart d’Afrique Subsaharienne, les relations ont pas mal évolué au fur et à mesure du temps, les barrières devenaient de plus en plus fines. Les discussions prenaient des tournures plus intimes, devenaient plus intéressantes.
Puis, en 1999, à la mort d’Alain Damand, le président, j’ai posé ma démission.

J’ai énormément appris sur l’égalité, le féminisme…

Par ailleurs, j’ai toujours travaillé en presse, car le social ne paye pas beaucoup ! J’ai travaillé notamment à Charlie Hebdo et Siné Hebdo pour lesquels j’ai réalisé les maquettes durant un grand nombre d’années. J’ai aussi collaboré à Causette, je leur avais proposé une chronique sur mon travail, qui a été accepté quasiment immédiatement. Et cette chronique m’a notamment fait rencontrer des blogueuses, des journalistes féministes. J’ai énormément appris sur l’égalité, le féminisme grâce à ces rencontres.

Depuis 2000, je suis animateur de prévention en Île de France. J’interviens auprès des jeunes qui ont, pour la plupart, entre 15 et 18 ans. La grande majorité vient de lycées/centres de formation d’apprenti.es, mais également de la Protection judiciaire de la Jeunesse, des foyers de l’Aide sociale à l’enfance etc.

Chaque lycée a le choix entre plusieurs thématiques : vie affective/ éducation sexuelle et consommation des produits psychoactifs. Je fais beaucoup le lien entre les deux.  Je travaille aussi sur l’égalité filles/ garçons. Le fait d’avoir travaillé avec des femmes à Sol en si m’a beaucoup sensibilisé aux problématiques et aux nombreuses discriminations que subissent les femmes. J’ai aussi vu arriver dans l’association où je travaille, des jeunes intervenantes très engagées sur les questions de féminisme.

J’ai découvert que prendre un moyen contraceptif n’est pas si facile. En tant qu’homme, je n’étais pas vraiment concerné à part pour les préservatifs, bien évidemment, mais je ne dois pas prendre une pilule tous les jours. En ce qui concerne le préservatif, les jeunes filles avec qui j’ai échangé me racontaient qu’au moment de la négociation, elles avaient dû parfois céder, sous la pression de leur partenaire, de ne pas en utiliser. Je me suis donc posé la question de comment se fait-il qu’elles cèdent ? D’où vient cette vulnérabilité ? Et je me suis rendu compte qu’elles étaient victimes de discriminations et que pour régler cela, il fallait faire un travail énorme en amont concernant l’éducation. Il en va de même pour les homosexuels, les lesbiennes et les bisexuelles et toutes les minorités de genre.
Il m’est donc apparu comme une évidence qu’il fallait travailler sur toutes ces questions. Et j’ai compris que l’image du patriarcat est présente qu’on le veuille ou non et qu’il faut l’imprimer pour bien la gérer. J’ai donc laissé la parole aux jeunes filles et aux femmes autour de moi et j’ai halluciné sur le chantier que cela représente. Entre le sexisme, le harcèlement, les discriminations au travail… le travail est immense.

Une solidarité de mecs

Et puis un jour j’ai eu un flash, lorsqu’à Vitry-Sur-Seine, une jeune femme, nommée Sohane Benziane, a été assassinée par son compagnon parce qu’il l’avait trouvée trop libre, qu’elle faisait «trop la meuf.» Il l’avait brûlée vive, une histoire d’une violence extrême. 15 jours après son assassinat , je suis allé dans le lycée où elle avait enseigné et où plusieurs élèves avaient défendu l’acte, bec et ongles. Ils avaient une espèce de solidarité de mecs, avec une posture d’ados et en même temps une masculinité super forte. A ce moment là je me suis dit que c’était impossible de continuer comme ça, d’aller dans ce sens là, jusqu’à défendre l’inacceptable.

Je ne me définirais pas comme féministe car je ne suis pas directement concerné par la lutte. Je préfère utiliser le terme d’allié. J’aime bien ce terme car je peux également me dire allié de la lutte contre le racisme, car je n’ai jamais vécu le racisme.
Étant un mec, blanc, hétéro, je fais partie des gens qui ne sont pas discriminés.
Le terme d’allié me correspond bien. Je peux être allié d’un grand nombre de causes et cela me permet de ne pas déborder quand le sujet ne me concerne pas trop.

J’essaie de faire attention à un grand nombre d’attitudes, comme par exemple le «manterrupting». Quand j’observe les réunions avec les collègues, je vois bien que c’est encore très présent. Étant un grand bavard, cela me demande beaucoup d’efforts de ne pas faire moi-même du «manterrupting.» Ce sont des réflexions qui m’amènent à décaler mon point de vue et à sortir de cette toute puissance qu’on nous a octroyée.

Lorsque j’en parle avec des amis, je me rends bien compte qu’ils ne sont pas prêts à bouger. Ils me répondent qu’ils ne sont ni des violeurs, ni des oppresseurs. Mais ils ne comprennent pas que l’oppression se cache de nombreuses manières différentes.

Finalement, je trouve ce combat passionnant. Cela nous amène à revisiter nos postures, à interroger nos positions.

Témoignage recueilli par Caroline Flepp 50-50 magazine

Dr Kpote : Génération Q Chroniques  Ed. 2018

print