DOSSIERS \ Ces femmes dans nos oreilles Lauren Bastide, créatrice du podcast La Poudre

Echange avec Lauren Bastide, journaliste, militante féministe et co-fondatrice du studio de podcasts Nouvelles Écoutes. Lauren Bastide est la créatrice de l’une des incontournables pépites de ce nouveau monde : le podcast La Poudre.

Au commencement était… le podcast. Comment avez-vous découvert ce nouveau média ?

Mon arrivée au monde des podcasts s’est faite par mon attraction pour les médias anglo-saxons. En tant que journaliste, j’ai toujours cherché mon inspiration de ce côté-là, et c’est ainsi que j’ai découvert les podcasts américains. Le tout premier que j’ai écouté s’appelait Oh Boy, il avait été lancé par la blogueuse de Man Repeller, Leandra Medine, que je suivais déjà depuis longtemps et que j’aimais bien. Ensuite, dans la foulée, j’ai découvert Stuff Mum Never Told You (iHeart Radio), Fresh Air (NPR) et Here’s The Thing de Alec Baldwin (WYNC Studio).

Il se trouve que mon associé, Julien Neuville, avec qui nous avons fondé Nouvelles Écoutes écoutait également beaucoup de podcasts américains. L’idée de créer un podcast germait déjà en moi depuis quelques temps mais c’est en discutant avec lui qu’est né le projet de créer un studio. Nous avions la certitude que si ce média était en train de cartonner aux États-Unis, il n’y avait aucune raison que cela n’arrive pas en France. Nous avions vu juste.

Vous avez longtemps été journaliste pour la presse écrite, puis plus brièvement pour la télévision. Pourquoi vous êtes-vous ensuite tournée vers les podcasts ?

C’est une envie de journaliste qui a fait que je me suis dirigée vers la production de podcasts. J’ai très vite été séduite par la possibilité que ce format apporte d’écouter une parole sur un temps long. Cela permet à la parole des femmes que j’interviewe de se déployer en profondeur et en nuance, sans être éditée ou coupée. C’est une liberté que l’on ne retrouve dans aucun autre support. Quand on travaille pour la presse écrite, on est bien obligé.es de faire une sélection dans les propos. Alors que, dans un podcast, on a la possibilité d’apporter des témoignages qui soient approfondis, précis.

Par ricochet, en tant que femme, féministe et militante de l’association Prenons La Une, je me suis rendue compte que le podcast était aussi une façon de contourner une grande partie des problèmes liés aux stéréotypes de genre, comme des portraits de femmes qui commencent toujours par une description physique. Tendre le micro pendant une heure à une femme nous permet d’entendre des choses beaucoup plus intimes, beaucoup plus personnelles, et qui en font des portraits, au fond, bien plus fidèles.

Pour les femmes, l’un des aspects les plus intéressants des podcasts est de ne pas être confrontée à leur image, mais seulement à leur parole. Est-ce que cela a été un élément de votre réflexion ?

Bien sûr. Le fait ne pas avoir l’image, ça change tout ! A titre personnel, ça a complètement bousculé ma manière de me comporter, surtout par rapport à la télévision par exemple, que j’avais pu tester avant. Le fait qu’on ne me voit pas a fait que je sens un confort et une facilité à parler et à exprimer mes idées. C’est aussi une façon supplémentaire de se libérer des stéréotypes et des préjugés. Pour une fois, nous ne sommes pas jugées sur notre apparence, notre maquillage, notre poids, nos habits ou notre taille, mais vraiment sur notre pensée et sur nos mots. En tant que journaliste, je goûte énormément à ce confort et je sais que mes invitées aussi. C’est évident que les femmes que j’interviewe n’auraient pas la même aisance à se confier à moi si elles avaient une caméra braquée sur elles.
Par ailleurs, je ne pense pas qu’on puisse capter l’attention d’une personne avec une vidéo de la même façon qu’avec le podcast, surtout sur une longue durée. Le fait de ne pas être face à un écran, d’avoir une information qui passe uniquement par l’audio, change aussi fondamentalement les choses. Quand on écoute un podcast, on peut faire d’autres choses en même temps : on peut se déplacer, faire le ménage, cuisiner, faire du sport ou des activités manuelles. Je pense donc que c’est beaucoup plus facile à insérer dans le quotidien des gens qu’une vidéo.

Les podcasts de Nouvelles Écoutes, et La Poudre en particulier, sont-ils une nouvelle forme de militantisme ?

Il se trouve que le podcast est un bon outil militant. C’est un bon outil pour vulgariser des notions, pour faire entendre des personnes qui sont peu visibilisées. Chez Nouvelles Écoutes, nous avons ce parti pris de se servir des podcasts pour donner la parole à des personnes qui ne l’ont pas assez et qui ne sont pas assez écoutées. C’est vrai qu’avec La Poudre, il y avait clairement une volonté de lutter contre le fait que les femmes sont très peu présentes dans les médias en général. Il est toujours important de rappeler ce chiffre de 24% à 30% de femmes présentes dans les médias audiovisuels en France (source : Global Monitoring Project). Dans La Poudre, c’est 100%. Voilà, on fait ce qu’on peut. Nous faisons pareil avec Quouïr, qui est un podcast où nous mettons en avant la parole de personnes LGBTQIA, ou encore avec Vieille Branche où nous donnons exclusivement la parole à des personnes de plus de 75 ans, qui sont elles aussi très invisibilisées dans les médias et la société. Je suis convaincue que les médias et les journalistes ont une responsabilité sociale très forte. Cette idée que le journaliste doit être un observateur neutre, je n’y crois pas. Faire un article, c’est déjà un choix, qui doit être éclairé et situé. Chez Nouvelles Écoutes, nous revendiquons nos podcasts comme des outils de transformation de la société.

La Poudre est un espace non-mixte. Et pourtant, il se destine bel et bien à un public de femmes et d’hommes. Comment analyser cette dichotomie ?

J’ai toujours très fortement revendiqué le fait que La Poudre soit un espace non-mixte. Ça a été une évidence dès le départ. Je me suis beaucoup nourrie de théories féministes, je suis passionnée d’histoire et j’ai notamment beaucoup lu sur ce qu’il se passait dans les années 1970, mais même déjà au début du XXème siècle chez les Suffragettes. Ces expériences ont clairement montré que la parole des femmes et les revendications qu’elles portent s’expriment forcément mieux dans des espaces non-mixtes. Il est arrivé par exemple que des femmes politiques aient voulu avoir leur conseiller dans la pièce au moment de l’enregistrement et j’ai toujours refusé. Je suis très rigoureuse et exigeante sur ce point.

L’audience qui est venue écouter La Poudre était au départ largement féminine (à 80 – 85%). Mais petit à petit effectivement, il y a de plus en plus d’hommes qui se sont aussi mis à écouter. L’importance de la non-mixité est essentielle au moment où la parole se développe, mais ensuite cette parole est destinée à faire évoluer la société au dehors, il ne faut pas la renfermer. Si l’on veut un effet transformateur, il faut que tout le monde l’écoute, et peut-être même qu’il faut que les hommes écoutent encore plus. Le sexisme est exercé par les dominants de la société et les dominants, ce sont les hommes. Je suis toujours très touchée quand je reçois des mails d’hommes qui me disent par exemple « J’ai écouté l’épisode avec Imany et j’ai découvert ce qu’est l’endométriose. Comment je peux aider ? » ou encore « Je viens de terminer l’interview d’Emma, j’ai enfin compris ce que c’est la charge mentale ! » Si nous reste entre nous à en parler éternellement, nous ne pouvons pas espérer un réel changement. L’abolition du patriarcat ne pourra pas être faite uniquement par les femmes, et encore moins uniquement par les féministes.

Comment expliquez-vous l’incroyable essor des podcasts féministes en France ?

Le podcast est un super outil militant. Je ne suis pas du tout surprise qu’autant de femmes se revendiquant féministes s’en soient emparées. Quand on est féministes, faire émerger la parole est une urgence. Et le podcast, c’est facile en fait. C’est pas cher. Pour créer un magazine, il faut beaucoup d’argent. Pour une émission de TV aussi. Lancer une émission de radio prend beaucoup de temps et d’énergie si l’on veut atteindre les grandes ondes… Pour faire un podcast, il suffit d’avoir un micro et un ordinateur avec un connexion wifi. L’essor des podcasts féministes ne me surprend donc pas. Les militantes féministes ne sont pas les seules d’ailleurs à se servir de cet outil, il y a aussi les militant.es LGBTQIA, les militant.es écolos, etc. Le podcast est, de fait, un média extraordinaire. Il est facile, ne demande pas de compétences technologies, c’est à la portée de tou.t.es. Il me semble que l’explication est tout simplement là.

Plus on progresse dans la réflexion féministe, plus il devient parfois très fatigant de reprendre les bases avec des personnes qui ne sont pas encore déconstruites. Comment parvenez-vous à ne pas vous épuiser ?

C’est une question qui me touche beaucoup, parce c’est un vrai problème, et qu’on me la pose très souvent ! A chaque intervention publique, des femmes me demandent « Comment vous faites ? Faire de la pédagogie ça use ! » Je pense vraiment qu’il faut savoir lâcher la pression parfois. Nous ne sommes pas obligées de nous épuiser la santé en permanence en bondissant à chaque fois que quelqu’un.e a l’air de ne pas avoir compris un concept féministe. Nous avons aussi le droit de nous préserver. Si nous passions notre temps à évangéliser la terre entière, nous serions épuisées au bout de trois mois. 

Dans cette nouvelle vague de féminisme que nous sommes en train de vivre, il y a cette notion de self-care qui me semble vraiment fondamentale. Nous sommes en train de prendre conscience qu’en tant que femmes, nous avons une multitude de charges sur nos épaules : nous avons parlé de la charge mentale, nous avons parlé de la charge émotionnelle, mais nous avons aussi une charge militante.

C’est pour cela que ma position par rapport aux hommes a changé. Au tout début de La Poudre, quand je commençais à faire des conférences et qu’un homme levait la main pour demander « Qu’est-ce que je peux faire pour aider les femmes ? », je lui répondais : se taire. Parce qu’effectivement, l’urgence c’est de laisser la parole des femmes se déployer. Et pour que la parole des femmes se déploie, il faut aussi que les hommes, à un moment, laissent de la place. Mais maintenant je ne réponds plus ça. Je réponds : « Monte une asso, organise un sit-in, lance un hashtag, consacre un blog, fais un podcast, enfin bouge-toi et donne, toi aussi, de l’énergie, de la sueur et du temps de sommeil pour le féminisme. » Parce qu’effectivement si la charge militante, intellectuelle et théorique, repose uniquement sur l’épaule des féministes, nous allons finir par y laisser notre santé. Cela dit, la parole des femmes sera toujours prioritaire, et il faut vraiment que nous récupérions notre espace.

Propos recueillis par Léonor Guénoun 50-50 Magazine

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