DOSSIERS \ La révolution clitoridienne en mouvement Edith Vallée : l’Art, miroir de diabolisation des femmes

Ne pas crier. Une femme qui se prend à crier au cours d’une réunion de travail, sera souvent dite hystérique. Une femme ne déborde pas impunément. Voyez Camille Claudel, que sa famille fait enfermer pour folle alors qu’elle clame son désespoir d’être quittée par Rodin. Elle fait scandale.

Le XIXe siècle attend une résignation coupable d’une femme abandonnée. Hystériques, aujourd’hui, possédées par le démon autrefois, c’est un peu la même chose. Au fil des siècles, les artistes ont capté une effrayante proximité des femmes et du diable. La première forme de diabolisation nous accueille dans les églises médiévales : Eve en serpent. Celle de la cathédrale d’Autun ondule au sol tout en cueillant la pomme, l’air de rien. Erreur ! Manger du fruit de l’arbre de la connaissance entraîne pour le couple un péché d’orgueil, vouloir évaluer le bien et le mal, comme Dieu seul en est capable. Ils en perdent leur éternité, chassés de l’Eden. Mais aussi, révélation catastrophique : ils sont nus et se désirent. Eve inaugure le désir, comme le confirme la malédiction divine : « Tu convoiteras ton mari et lui dominera sur toi ». La faute d’Eve sera rachetée par Marie.

Hans Baldung,  Eve

Reste Lilith, la mystérieuse, l’inconnue. Voici une figure féminine qui échappe à tout contrôle et à tout rachat. Sur le portail gauche de la cathédrale Notre-Dame de Paris, Lilith, serpent à tête de femme, souffle à Eve l’idée de manger la pomme. Malgré les efforts pour la retirer des pages de la Bible, on la retrouve dans Isaïe : « la hyène Lilith erre dans le désert ». Première femme d’Adam, avant Eve, faite de glaise comme lui et non tirée de sa côte, elle refuse la domination de l’homme et s’enfuit au bord de la mer Rouge dès la tentative de domination d’Adam. Pour prix de sa liberté, elle accepte de ne pas avoir d’enfant et inspire tous les actes sexuels échappant à la procréation. Voit-on une usure à certains endroits de la robe des prêtres ? Lilith s’est frottée à eux. Une femme accouche-t-elle ? Eloignons à tout prix Lilith, capable de dévorer le nouveau-né. Lilith ne perçoit pas l’appel des entrailles maternelles et finir par convoler avec le Diable vers Dieu sait quels exercices. Lilith dispose librement de son corps. En conséquence, elle veut l’égalité avec les hommes. Autrement dit, elle est diabolisée à cause de son féminisme.

Deuxième grande forme de diabolisation des femmes, la sorcière. Persécutées en masse à partir du XVe siècle, les sorcières avaient bonne presse auparavant. On les nommait « bonnes femmes » parce qu’elles étaient réputées soigner par les plantes. L’époque de la Renaissance se défie de ces femmes qui prennent leur destin en mains, guérissent autrui en utilisant leurs connaissances plutôt que de s’en remettre aux prières et à la confession. Dans le tableau de Goya, au XVIIIe siècle, Le sabbat de sorcières, on remarque les plantes entre les cornes du diable, et 2 de vielles femmes, autour. Deux tendent des enfants au diable, l’un en vie, l’autre, déjà squelette. En effet, les sorcières pratiquent les accouchements et les avortements. Jean Wier, humaniste de la Renaissance, écrit : « le diable induit volontiers le sexe féminin, lequel est inconstant dans sa complexion (…) et principalement les vieilles débiles, stupides et d’esprit chancelant ». Par la connaissance des vertus des plantes, par leur savoir-faire dans la transmission de la vie ou son arrêt, les femmes dites sorcières, échappent à l’impuissance humaine et au contrôle de l’église.

Arcimboldo,  Eve

Troisième prétexte pour diaboliser les femmes : leur proximité imaginée avec les bêtes. Platon décrit la crise d’hystérie : un animal logé à l’intérieur de chaque utérus a toujours appétit à faire des enfants. Lorsque l’animal ressent le manque de fécondation, je cite : « il erre partout dans le corps, obstrue les passages du souffle, interdit la respiration, jette en des angoisses extrêmes (…) » Nietzsche confirme cette proximité. Il catalogue les femmes en : « chattes ou oiseaux, ou alors, quand cela va bien, des vaches ». Dans Dora et le minotaure, Dora zoophile s’abandonne au baiser de Picasso, l’homme-taureau. C’est donc l’homme qui est proche de l’animal, pas elle ! Non : le minotaure est né de l’étreinte de l’épouse du roi Minos, Pasiphae, avec un taureau blanc qu’elle désirait ardemment. Elle gruge le taureau en se logeant dans une sculpture de vache. Autrement dit, par son désir, une femme est capable de donner naissance à un être mi-homme mi-animal, voire même à exciter en son partenaire sa dimension animale. La preuve, le même questionnement autour du viol : n’auraient-elles pas provoqué l’homme jusqu’au rut ? Une femme est trop proche de la bête, trop proche du diable, cet homme à pattes de bouc, pour être innocente. Géricault qui a peint au début du XIXe siècle des aliénées à la Salpêtrière en a nommé une, La hyène.

Caravage, Méduse

Dernière figure de diabolisation, la mère. Simone de Beauvoir dit dans Le deuxième sexe, qu’à peine né, l’être humain commence à mourir. Donner la vie, c’est diaboliquement donner l’angoisse de vivre avec celle de mourir. Arcimboldo, au XVIe siècle, peint cette idée dans le Portrait d’Eve. Le visage plein de l’humanité à venir, Eve tient dans sa main la pomme qui va entraîner l’acte sexuel. Avec le péché originel, l’humanité qui habitait l’Eden, perd l’immortalité et gagne l’angoisse. La maternité lie la femme au cosmos, avec les cycles menstruels de 28 jours comme ceux de la lune, et surtout à travers l’accouchement. Formidable pouvoir que de participer intimement à l’élan vital universel en mettant un enfant au monde. Simone de Beauvoir conclue : « l’homme se défend de la femme en tant qu’elle est source confuse du monde et trouble devenir organique ».  Il existe de nombreuses autres formes de diabolisation. Pourquoi les hommes ont-ils voulu reconnaître, dans les femmes, un reflet de Satan ? Une image répond : Méduse, dans l’Antiquité grecque, fige quiconque croise son regard ; elle donne la mort. Assimilée au sexe féminin, comme aussi l’araignée, Méduse convoque la peur masculine d’être castré par le sexe de l’amante, assimilé à une bouche dentée. En preuve, Juliette Drouet écrivant à Victor Hugo : « Je veux que vous me baisiez à mort, voilà tout ». Qui meurt dans l’étreinte ? La solution à la peur des hommes, est apportée sur le plateau de la misogynie, couper la tête de Méduse. Caravage, au XVIIe siècle expose le trophée en colère et ensanglanté.

Lilith, Adam et Eve

Pour se débarrasser de la peur de la castration et de l’angoisse à vivre et à mourir dans ce monde, les hommes ont vite trouvé une responsable. Ils ont diabolisé puis psychiatrisé le désir féminin. Mais, coupant la tête de Méduse, ils reproduisent l’acte de castration, car décapiter = castrer, dit Freud. Félicien Rops nous livre un exemple comique de cette angoisse : La peur masculine, c’est d’être balancé comme un porc, nous dit-il, avec la Dame au cochon, Pornokrates en 1878. Aujourd’hui, on balance son porc sur les réseaux sociaux. On voit ici la femme fatale tenir en laisse, mener par le bout du nez, l’homme cochon. Pourquoi les yeux bandés ? Parce qu’elle se dirige à l’instinct. Les femmes, dévalorisées et inquiètes, ont longtemps eu peur de leur propre sexe. Jusqu’au jour, 1866, où un peintre a osé voir la chose en face, Courbet, avec L’origine du monde. Le sexe est reconnu comme sexe, visible, et célébré pour son lien avec la nature, le cosmos, l’élan vital. Les femmes ont eu peur ou honte de leur sexe jusqu’au jour où elles ont changé le regard sur elles-mêmes. Hélène Cixous, dans son livre, Le rire de la Méduse, explique que Méduse se moque bien de la peur qu’on lui a fait endosser. L’histoire de l’art nous a livré justement une Eve exempte de tout remord. Dans le tableau Eve, le serpent et la mort de Hans Baldung, au XVe siècle, notre ancêtre affiche une merveilleuse désinvolture, malgré la mort qui l’enserre.

Face au malaise des hommes, depuis peu, nombre femmes artistes exposent le sexe féminin. Elles disent : à force d’être célébrées, objets fabriqués par le désir et la peur des hommes, les femmes disparaissent comme sujets. Et quand leur désir se manifeste, elles n’en ont pas la légitimité dans une société de domination masculine. Louise Bourgeois a repris le thème de l’araignée, nommée Maman, immense sculpture sous laquelle les passants vont et viennent sans danger. Kiki Smith exhibe une sculpture où se voit un sexe féminin dans une posture obscène. Cecilia da Mota, sculpte des sexes féminins en détail, multiples et dorés.

Da Mota

Enfin, dans un geste qui convoque le scandale, en 2017 la performeuse Deborah de Robertis, se juche à demi-nue devant le tableau de la Joconde, jambes écartées. Une fois la protestation et la provocation passées viennent des symboles de sexe gai, somptueux, immense comme les méduses de Joana Vasconcelos. Le monstre féminin est devenu symbole de joie de vivre, à la fois caché, car ses prolongements disparaissent dans les salles du musée Guggenheim à Bilbao en 2018, à la fois incontournable. Incontournable comme d’ailleurs ces immenses chaussures à talon haut de femme fatale, faite d’un empilement de casseroles et marmites. Il est temps que les hommes abandonnent leur peur devant le sexe féminin. La vérité est qu’elles ont un sexe à l‘intérieur du corps. Il n’y a aucun lieu de les diaboliser pour autant. Elles sont fières et heureuses d’être femmes.

Edith Vallée  Docteure en psychologie, autrice en psychologie et histoire de l’art

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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