Articles récents \ Île de France \ Société Roselyne Rollier : « toutes celles qui font un bout de chemin à la maison des femmes de Montreuil se transforment en combattantes »

Accueillir, écouter, soutenir et offrir un espace de réflexion aux femmes, c’est la vocation de la Maison des Femmes Thérèse Clerc, située dans la ville de Montreuil. Créée dans les années 2000, cette maison du féminisme, tenue par trois salariées et une vingtaine de bénévoles, aide les femmes à comprendre leurs droits et à s’émanciper. Il y a quelques années, elle a également mis en place une plateforme pluri-disciplinaire, unique en France, afin d’accompagner les femmes victimes de violences.

« La Maison des femmes de Montreuil, c’est d’abord une utopie féministe et politique.Quand on dit utopie, c’est parce que c’est quelque chose d’improbable, de fragile mais de fort », voilà comment Roselyne Rollier décrit ce lieu qu’elle préside depuis maintenant 11 ans. Fondée en 2000 par la militante féministe Thérèse Clerc, la Maison des femmes de Montreuil, située dans le département de Seine-Saint-Denis (93), avait originalement pour but d’offrir aux femmes un lieu où elles pouvaient « causer sans être harcelées par les hommes ». Depuis maintenant 20 ans, elle est devenue un véritable lieu d’expérimentations féministes, qui abrite aussi bien des conférences que des ateliers, des expositions, des permanences d’associations ou des réunions de collectifs féministes. « C’est un lieu où nous pouvons mutualiser nos compétences, nos envies, nos réflexions, nos cultures », explique Roselyne Rollier.

Si la Maison des Femmes est un lieu de réflexion et de militantisme, c’est également un espace où se manifeste une solidarité et une sororité qui émeut sa présidente : « tous les jours, je suis émerveillée. Nous arrivons ensemble à être plurielles et différentes, avec une intergénérationnalité, une interculturalité et une intersectionnalité formidables. Quelle que soit la situation de chacune, de sa souffrance et de ses problèmes, peu à peu, toutes celles qui font un bout de chemin à la maison des femmes de Montreuil se transforment en combattantes ».

Une plateforme innovante pour accompagner les femmes victimes de violences

Au fil des années, les salariées et bénévoles de la MdF Thérèse Clerc ont vite été confrontées à un problème de taille : de plus en plus de femmes s’y rendaient parce qu’elles étaient victimes de violences. « Nous avions toujours refusé de nous occuper de ces sujets-là », explique Roselyne Rollier. Ainsi, lorsqu’une femme victime de violences venait demander de l’aide à la MdF, elle était orientée vers un commissariat pour qu’elle puisse déposer plainte. Mais très souvent, ces plaintes n’étaient pas retenues. « Parfois, certaines d’entre elles arrivaient à la Maison des femmes et tombaient par terre. Elles nous disaient « sauvez-moi, sinon je suis morte ce soir ». Nous avons déjà appelé les pompiers plusieurs fois », poursuit la présidente. Les militantes décident alors de prendre les choses en main : « c’était tellement devenu choquant et fréquent que nous avons commencé par embaucher une juriste afin qu’elle puisse accueillir ces femmes ».

À partir de là naît l’idée de développer une plateforme pluri-disciplinaire. Chaque jeudi à 14 heures, une dizaine de femmes sont accueillies lors de rendez-vous collectifs, en présence d’une avocate, d’une juriste, d’une conseillère conjugale formée à la victimologie et d’une féministe de la MdF. « Ce n’est pas un groupe de parole, mais un temps de travail pour que chaque femme identifie, dans le cadre de la loi, le problème qui se pose à elle. C’est un lieu où chacune retrace son parcours et où nous listons tous les dysfonctionnements du système » précise Roselyne Rollier. En parallèle, la MdF organise des rendez-vous individuels afin de suivre le parcours de chaque femme et de les accompagner dans les différentes étapes de sortie des violences.

Chaque année, ce sont 300 femmes qui poussent la porte de la MdF pour participer à cette plateforme, qui serait l’une des seules en France selon sa présidente. « Nous n’arrivons pas à trouver d’endroits similaires pour une réflexion collective. Beaucoup de chercheuses nous disent également qu’elles ne trouvent pas ce genre de pratique ailleurs ». Ce système innovant permettrait également de réduire les parcours de sortie des violences, et de ce fait, de les rendre moins coûteux. « Alors que les femmes mettent en général trois à quatre ans à sortir des violences, avec ce système, c’est moins d’un an » explique Roselyne Rollier. La présidente tient cependant à rappeler que « la plateforme repose sur un militantisme plus plus », puisque toutes les intervenantes de la MdF sont bénévoles. Une situation instable, qui fragilise la plateforme.

« Nous avons bien vu que l’État ne subventionne pas les révolutions féministes »

Si la Maison des Femmes de Montreuil fête cette année ses vingt ans d’existence, sa pérennité reste cependant fragile, et pour cause : les moyens financiers sont insuffisants. Une situation que dénonce depuis longtemps Roselyne Rollier : « depuis 15 ans, nous avons bien vu que l’État ne subventionne pas les révolutions féministes. Il y a un plafond de verre que nous ne pouvons pas dépasser . Le sujet des violences faites aux femmes, on en parle partout, et pourtant, nous n’avons que 10 000 € par an de l’État ».

La MDF de Montreuil est financée à 90 % par les services publics, dont la ville, le département, et la région, mais selon sa présidente, les montants de ces financements sont insuffisants et les paiements trop aléatoires : « Je suis fatiguée de cette situation. On me demande toujours de faire des dossiers, mais l’argent ne vient pas, parce qu’on ne prend pas le temps d’étudier les dossiers. C’est très violent car il y a un discours officiel mais sur le terrain, il ne se passe rien », déplore-t-elle. Une situation qui met sérieusement en danger la MdF : « notre local s’écroule peu à peu. Nous mettons de la peinture pour ne pas voir les crevasses dans le mur. À chaque assemblée, depuis que je suis présidente, je dis « nous allons voter pour une année de plus mais ce n’est pas sûr que nous soyons encore là l’année prochaine ».

Manque de moyens oblige, l’activité de la MdF de Montreuil repose alors principalement sur du bénévolat, une situation que dénonce sa présidente : « c’est une bénévole qui fait la comptabilité, alors que c’est un travail colossal : nous devrions avoir une salariée ! Nous n’avons pas non plus de secrétaires, ce n’est pas normal. Tout le monde bricole à droite à gauche, mais nous sommes épuisées. Nous comptons sur le bénévolat des avocates mais elles peuvent arrêter du jour au lendemain, or nous ne serons plus crédibles si nous n’avons pas des professionnelles compétentes ».

La Maison des Femmes Thérèse Clerc n’est malheureusement pas la seule à subir les conséquences du manque de moyens financiers. Selon Roselyne Rollier, c’est un problème global, qui touche l’ensemble des structures et des associations. « Ce n’est pas normal que les Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CRHS) soient tenus par des associations. Ce n’est pas normal que le 3919 soit tenu par une association. Pour les violences, nous sommes en train de bricoler de manière dangereuse, la preuve, le nombre de morts n’a pas diminué ». Pour accompagner et aider au mieux les femmes victimes de violences, des professionnel·les, formé·es sur ces questions, devraient être embauché·es par l’État. « Que nous soyons toutes bénévoles, ce n’est pas normal. Il faut créer des vrais postes, nous ne pouvons pas être payées au rabais pour faire des choses aussi importantes », la présidente de la Maison des Femmes estime également qu’il ne s’agit pas seulement d’un manque de moyens : « il y a aussi un manque de volonté et de réflexion ».

Priscillia Gaudan 50-50 magazine

Maison des Femmes de Montreuil

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