Articles récents \ DÉBATS \ Témoignages Nathalie : « un jour les habitant·es du coin sont venu·es nous applaudir aux fenêtres de l’EHPAD » 2/2

Quand l’Agence Régionale de Santé qui donne les consignes et les protocoles à suivre en période de pandémie nous a demandé de confiner l’EPHAD, notre directrice l’avait déjà fait depuis 10 jours. Elle a été très réactive dès les premiers soupçons de pandémie. Nos bénévoles ne pouvaient plus accéder à la structure. Les résident·es restaient en vase clos mais pouvaient continuer à se déplacer librement à l’intérieur. Les repas se prenaient en salle de restauration et les animations collectives continuaient à fonctionner.

Au moment où l’État a annoncé un confinement des EPHAD, là encore, notre directrice avait pris les devants et avait confiné les résident·es dans leur chambre pour éviter tout risque de transmission dans les salles communes. C’est à partir de ce moment là que la galère a commencé. J’avais l’angoisse d’aller travailler, parce que j’ai une famille et que je prends le risque de ramener le virus à la maison. Les médias ne nous parlaient à ce moment-là que des morts, et non des gens qui guérissaient. Je ne pouvais plus me permettre d’aller voir du monde car je pouvais également rapporter le Covid dans mon établissement. Psychologiquement, c’est une responsabilité dure à porter.

En ce qui concerne les protections, au début ça a été une vaste blague. On nous a d’abord demandé de prendre notre température à l’entrée tous les matins avant de commencer à travailler. Dans le cas où on avait plus de 38,4 °C, il fallait rester à la porte et appeler notre cadre de santé pour être raccompagné·e chez nous. Nous avions l’obligation du port du masque mais nous n’en avions pas assez au début. Nous avions droit qu’à un seul masque par jour, ce qui était nettement insuffisant pour 8h de travail, alors que l’État parlait de changer de masque toutes les 4h pour une protection maximale. Mais on nous confirmait que la protection marchait pour 8h d’affilée ! Nous avons dû fonctionner comme cela une semaine avec un masque par jour, puis nous avons été approvisionné·es en masques et informé·es que c’était finalement bien un masque toutes les 4h ! Nous devions donc signer un registre pour indiquer notre nom et l’heure à laquelle nous changions de masque.

Quand il y avait des suspicions de Covid, c’est-à-dire de la fièvre au-delà de 38,4 °C, des maux de tête, des diarrhées et des vomissements, des symptômes dont les médias ne parlaient pas forcément, il y avait un protocole à mettre en place. Nous devions mettre une charlotte pour entrer dans les chambres, des blouses en plastique un peu comme les charcutier·es et par dessus, une sur-blouse. Il fallait aussi mettre des gants et des lunettes de protection. Le problème était que dans notre établissement, nous n’avions ni charlotte, ni sur-blouse, ni lunettes. En clair, nous avions juste un tablier en plastique et des gants. Comme nos blouses étaient sans manches, nos bras étaient forcément exposés !

Il y avait des solutions hydroalcooliques à la sortie des chambres. Nous devions suivre tout un protocole : tout ce qui rentrait dans les chambres suspectées de Covid ne devait pas en ressortir. Le linge, les plateaux alimentaires, les cuillères et les fourchettes passaient en décontamination dans des sacs et cartons spéciaux. Tout partait vers un service de décontamination avant de revenir dans le circuit.

Je pense que tout cela a été bien utile. La preuve en est que nous n’avons eu aucun cas de Covid dans notre EHPAD, je pense que ce n’est pas un hasard.

Avant l’annonce d’Emmanuel Macron du 14 juin, les résident·es étaient toujours dans leur chambre de 9 m², 7j/7, 24h/24. Les seules personnes qu’elles/ils voyaient, c’était nous ! Socialement, ce n’est pas ce qu’il y a de plus stimulant. Les familles ne pouvaient plus venir, des résident·es sont entré·es en dépression. Elles/ils refusaient de s’alimenter, certain·es refusant de se lever, nous disant « me lever pour faire quoi ? Pour voir qui ? » Nous leur disions que nous étions là pour elles/eux, qu’il faut continuer à vivre…

Beaucoup de résident·es ont aussi perdu leur capacité de marche. Comme les kinésithérapeutes ne venaient plus à la structure, elles/ils ne sortaient plus de leur chambre. Après plus de deux mois de confinement, elles/ils sont en fauteuils roulants. C’est un problème auquel nous n’avions par forcément pensé.

En revanche, nous avons songé très rapidement à la dépression, et nous avions une animatrice qui passait des journées entières à faire des Skype dans la chambre avec les résident·es. Et il y a maintenant trois semaines, les visites sont à nouveau autorisées avec des conditions particulières ! Nous avons installé des tables séparées par un plexiglas, qui sert de baie vitrée. Cela reste compliqué car nos résident·es ont de grands problèmes de surdité, ce qui rend souvent la communication impossible. Nous restons donc auprès d’elles/eux et nous traduisons. Nous rentrons dans leur intimité , elles/ils ne peuvent pas se dire les mêmes choses ! Mais c’est toujours mieux que rien.

« Au moins pendant la guerre je pouvais sortir ! »

Beaucoup disent : « J’ai vécu la guerre, mais un truc comme ça… Au moins pendant la guerre je pouvais sortir ! » C’est complètement dingue que le président ait dit « nous sommes en guerre » et que nos résident·es pensent que la pandémie est pire. Un résident m’a aussi dit qu’au moins pendant la guerre, on savait contre qui on se battait. C’est vrai que tout cela est très abstrait. Et avec les chaînes d’information qui parlaient en boucle du Covid, cela a créé des angoisses monstrueuses. On nous a demandé d’arrêter de mettre ces chaînes d’information.

Aujourd’hui, nous espérons que la situation va vite revenir à la normale ! Les résident·es perdent toute notion de jour et de nuit, certain·es sont devenu·es insomniaques car elles/ils dorment tellement la journée que la nuit elles/ils sont totalement déphasé·es. Certain·es ne veulent plus sortir, même pour faire un tour dans le jardin. Elles/ils ont trop peur ou suivent les conseils de leurs proches. Nous sommes passé·es de 3 à 13 patient·es qui prennent des médicaments pour dormir. C’est assez significatif. Un soir à 18 h, alors que je lui servais son bol de soupe, mon résident était convaincu que c’était le matin et que je lui apportais son café.

Nous ne connaissons pas encore l’étendue des dégâts du confinement. Ce dont nous sommes sûr·es, c’est qu’il y a un « avant » et un « après ».

Il y a aussi de bonnes choses. Par exemple, nous n’avons eu aucun cas de grippe ou de gastro alors que nous sommes en pleine saison. Nous sommes tellement omnibulé·es par le lavage de mains et par le protocole de désinfection que cela a aussi fait barrière aux maladies plus classiques qu’on a l’habitude de rencontrer dans les EPHAD. Nous n’avons pas eu de décès depuis deux mois !

Nous avons calculé, nous sommes à peu prés à 200 lavages à la solution hydroalcoolique par jour. Nous rentrons plus de 50 fois dans les chambres et nous devons nous laver les mains à l’entrée et à la sortie. Nous allons garder des gestes barrières et prendre des habitudes par rapport aux infections !

Nous avons reçu des gestes de sympathie de la part des gens qui ont leurs parents ici. Je vis à la campagne, je n’ai donc pas eu droit à tous ces applaudissements qu’on a pu voir dans les villes à 20h, mais un jour les habitant·es du coin sont venu·es nous applaudir aux fenêtres de l’EHPAD. C’était touchant et génial. Puis les commerçant·es nous ont livré des fruits frais. Nous avons également eu droit à du thé, des crèmes de soins pour nos mains qui sont bien évidemment abîmées à force de les laver.

J’ai eu de la chance que mon compagnon puisse s’occuper des enfants à la maison, mais le conjoint d’une de mes collègues a perdu son boulot. L’État à mis en place des places d’accueil pour les enfants du personnel soignant, ce qui est bien, mais le problème est que les horaires d’école ne correspondaient pas à son emploi du temps.

Je dirais que dans l’ensemble, cela s’est plutôt bien déroulé. Ça va le faire, on arrive au bout !

Témoignage recueilli par Caroline Flepp 50-50 magazine

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