Articles récents \ Monde Pour un journalisme éthique dans le domaine du genre

L’International Federation of Journalists (IFJ) est la plus grande organisation de journalistes au monde. L’égalité des genres figure dans la liste de leurs engagements principaux. Des membres du collectif ont rédigé une Trousse d’apprentissage pour un journalisme éthique dans le domaine du genre et des politiques au sein des médias. Par souci de commodité, on peut regretter l’absence d’écriture inclusive. Leur réflexion est regroupée en deux volumes. Le premier aborde les questions conceptuelles relatives au genre dans les médias et donne un aperçu des enjeux sur le sujet. Le second présente des directives concrètes à appliquer par les médias et professionnel·les afin d’être au plus près d’un journalisme éthique dans le domaine du genre.

Le terme « genre » est un concept non figé qui relève avant tout de la construction sociale d’un individu. Les rôles que l’on confère aux femmes et aux hommes en fonction de leur genre sont déterminés socialement. Ils sont amenés à changer au fil de temps et varient selon le lieu géographique. Articles, reportages ou autres supports journalistiques et médiatiques tenant compte du genre peuvent révéler si un événement touche de la même manière les femmes et les hommes, les filles et les garçons.

Les questions conceptuelles relatives au genre dans les médias

Les médias ont un rôle fondamental et constitutif de l’opinion publique. Les journalistes établissent le cadre dans lequel sont communiquées les informations sur un sujet. Elles/ils façonnent la manière dont les citoyen·nes perçoivent la société et ses enjeux. Négliger certains points de vue contribue à mettre sous silence la parole d’une partie de la population, incluant les femmes mais aussi les minorités sexuelles. Les médias « ont le devoir de tenter de refléter les expériences, les préoccupations et les opinions de divers segments de la population, y compris la moitié féminine de l’humanité » car « une vaste majorité des nouvelles continuent d’être centrées sur les hommes – une réalité que confirme le Projet mondial de monitorage des médias (GMMP) 2010. » Les résultats du GMMP (1) révèlent qu’en 1995, pour 71 pays du monde entier, à peine 17% des sujets des nouvelles (les personnes qui sont vues, entendues ou sur lesquelles on écrit dans les articles) sont des femmes. Dix ans plus tard, pour 76 pays, 21% des sujets sont des femmes. Ce micro-changement s’accompagne d’autres chiffres tout aussi décevants : en 2010, seulement 6% de l’ensemble des histoires mettent en évidence les enjeux liés à l’(in)égalité entre les sexes. On obtient un pourcentage identique dans les reportages contestant les stéréotypes fondés sur le genre.

Une recherche a été menée en 2011 afin de déterminer la situation du genre dans les codes de déontologie et de conduite dans le champ médiatique et journalistique. Invités à remplir un sondage, des journalistes œuvrant pour l’égalité des sexes mentionnent qu’elles/ils ignoraient l’existence de codes professionnels éthiques dans le domaine du genre. Ces résultats révèlent que les iniquités historiques se sont transformées en code de déontologie. Solidement ancrés dans les pratiques professionnelles quelles qu’elles soient, ces codes se transmettent. Ces résultats « semblent (aussi) illustrer une problématique plus sérieuse de non-dissémination, de non-publication et une absence généralisée de sensibilisation à l’égard des codes, dans le contexte où ils sont en réalité bien présents. »

Certains pays comme le Canada et la Tanzanie ont œuvré concrètement pour faire avancer la question.

Au Canada, dans les années 1970 le Comité National d’Action sur le statut de la femme (CNA), une entité non gouvernementale, voit le jour. Le CNA exprime ses préoccupations dans trois domaines : la description non représentative et stéréotypée des femmes, le sous-emploi des femmes dans l’industrie de la radiodiffusion, la représentation et le traitement négatifs que l’industrie réserve au mouvement des femmes. Les recommandations et lignes directrices formulées par le gouvernement tendent à l’élimination des stéréotypes relatifs aux rôles dévolus à chacun des sexes. Un code d’application concernant les stéréotypes sexuels à la radio et à la télévision demeure en vigueur jusqu’en 2008. Il est ensuite élargi et inclut en plus du genre, la race, l’origine ethnique, la religion, l’orientation sexuelle et le handicap. Entre 2008 et 2011 le Conseil Canadien des normes de la radiotélévision (CCNR) a rendu 73 décisions formelles, parmi lesquelles une seule porte sur la discrimination fondée sur le genre en vertu du Code sur la représentation équitable.

En 2008, le Conseil des Médias de la Tanzanie (MCT en anglais) crée un Code de déontologie des médias relatif au genre. Début 2010, le MCT imprime les exemplaires et les distribue aux professionnel·les. Le Conseil des Médias veille aussi à l’intégration du Code dans les écoles de journalisme.

Les codes de déontologie apparaissent comme les fers de lance pour l’égalité des sexes et des genres au sein du contenu médiatique. La trousse d’apprentissage de l’IFJ met en évidence le fait que cette ressource, bien qu’indispensable, n’est pas suffisante. Elle n’est que la première étape du protocole d’intégration et de visibilité des femmes et des minorités sexuelles. Elle doit nécessairement s’accompagner d’un suivi continu qui assure leur application concrète dans le paysage médiatique.

Les directives concrètes à appliquer par les médias et professionnel·les pour un journalisme éthique dans le domaine du genre

La sphère journalistique et médiatique doit veiller à refléter une nette représentation de ce qu’est la société dans son intégralité. Produire des reportages sous un autre angle que celui utilisé la plupart du temps en tenant compte du genre est la première étape. L’IFJ détermine quelques pistes afin de rehausser la représentation des femmes dans le contenu médiatique : contester les stéréotypes, vérifier les faits, respecter les codes de conduite, soutenir les entités d’autoréglementation indépendantes. Le fait que les femmes ne constituent pas un groupe homogène est également un facteur à considérer. Il s’agit en effet d’inclure tous les points de vue de femmes dans leur diversité et leur pluralité de classes.

Pour étayer leurs propos, les journalistes de l’IFJ s’appuient sur des cas concrets : elles/ils analysent les articles écrits par des journalistes dans lesquels le critère du genre a été négligé ou, au mieux, relayé au second plan. Elles/ils reprennent par exemple un article où il est question de Cristina Fernandez Kirchner, Présidente d’Argentine de 2007 à 2015. Le sujet de l’article tourne autour de l’action de cette femme politique. L’IFJ relève que « le journaliste évoque constamment le mari de Cristina F. Kirchner et ancien président : Néstor Kirchner. Elle est décrite dans le contexte de sa relation avec son mari et son succès est attribué à l’influence de son époux. » A ce titre, « il s’agit ici d’une immense occasion ratée de rédiger un article tenant compte des dimensions de genre. » La journaliste aurait pu, par exemple, questionner l’invisibilisation générale des femmes dans le champ politique.

Enfin, l’usage de la sémantique dans les médias ne saurait être ignoré puisqu’elle est globalement porteuse d’une idéologie sociétale. La/le journaliste peut, à son insu, utiliser un langage qui enferme les femmes dans une posture de victimisation. « L’emploi du mot « victime » présuppose la connaissance des incidences du traumatisme auquel la personne a survécu et présume que la femme est, et était, impuissante. (…) En revanche, l’emploi du mot « survivante » évoque la vie après l’agression, ne définit pas la femme en fonction d’un seul événement de son parcours et met en lumière sa capacité de prendre le contrôle et de faire des choix à l’avenir. »

Pour les journalistes de l’IFJ un constat s’impose : « il est grand temps que les médias – et les professionnel·les du domaine – prennent conscience de l’importance du genre comme filtre principal par lequel tous les événements et enjeux doivent être examinés de sorte à raconter l’ensemble de l’histoire. »

Chloé Vaysse 50 – 50 Magazine

(1) Lire plus : Dans les médias, c’est dans la représentation des hommes que l’on observe les changements les plus importants 

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