Articles récents \ Culture Thomas Messias : « L’objectif c’était d’essayer de parler à un nombre aussi important que possible d’hommes »

Créateur et animateur du podcast Mansplaining, produit par Slate.fr, et journaliste freelance, Thomas Messias déconstruit les masculinités. Remettant en question les représentations traditionnelles des femmes et des hommes, véhiculées dans la culture, il livre dans son podcast un discours féministe, qu’il adresse en priorité aux hommes. 

Comment en êtes-vous arrivé à réaliser Mansplaining ? 

En fait je ne suis pas du tout journaliste de formation, je suis encore à l’heure actuelle professeur de maths dans un lycée. J’ai toujours écrit et après avoir tenu des blogs j’ai fini par écrire pour Slate, au départ sur les maths, puis sur l’éducation et après sur des thèmes de plus en plus variés parce qu’il y avait une grande liberté de propositions. Et puis j’ai commencé par écrire sur le genre, parce que c’était un sujet qui m’intéressait de plus en plus. 

En 2018 Slate s’est lancé dans le podcast et a fait un appel à projets internes auprès des journalistes et des pigistes. Mansplaining c’est vraiment un truc que j’ai élaboré sur un coin de nappe parce que c’est la continuité des articles que je faisais à ce moment-là. Je parlais des sorties cinéma et au lieu de les analyser, comme je le faisais avant, sous un prisme vraiment critique cinéma et analytique, j’étais plus sur les représentations, sur ce que ça disait des hommes, des femmes, des minorités. Ça me paraissait bien de pouvoir illustrer ces questions notamment avec des extraits de films, je trouve que c’est vraiment parlant. Après deux ans, nous en sommes au 55ème épisode.

Trouvez-vous que le podcast est un moyen de communication efficace ? 

Je suis quelqu’un qui écoutait beaucoup la radio. Maintenant le podcast l’a remplacée, en grande partie. Le fait de pouvoir avoir recours à de l’audio et notamment à des extraits d’œuvres me semblait extrêmement intéressant. J’ai vite réalisé qu’il y avait pas mal de gens qui m’écrivaient par mail, sur les réseaux sociaux, j’ai eu l’impression que les podcasts touchaient plus les gens que les articles, une sorte de corde intime. Le podcast donne envie aux gens de raconter leurs expériences personnelles, sentimentales ou sexuelles, leurs rapports aux films et à la culture aussi.

En quoi est-il particulièrement intéressant d’inclure des extraits d’œuvres dans le podcast ? 

A l’écrit, cela faisait quelques temps que je parlais des films que je venais de voir et j’étais obligé de retranscrire les scènes qui m’avaient semblé marquantes. J’avais toujours l’impression que je n’étais pas assez convaincant ou que je n’arrivais pas assez bien à retranscrire l’ambiance du film, les intentions, le ton aussi des dialogues et j’avais toujours peur qu’on ne me croit pas. En passant des extraits les gens m’ont dit « ah mais ce film effectivement, ça me l’a fait voir autrement », ce qui n’était pas le cas quand je faisais le même genre d’exercice à l’écrit.

Considérez-vous votre prise de parole par le biais de Mansplaining comme une forme de militantisme ? 

Pour moi ça l’est. Moi ce qui m’intéresse quand je lis des articles ou quand j’écoute des podcasts c’est d’avoir l’avis ou le ressenti des gens et si possible de gens qui soient concernés. Donc oui, c’est ma petite œuvre de militantisme à mon échelle. L’objectif c’était d’essayer de parler à un nombre aussi important que possible d’hommes, parce que c’est la population qui, malheureusement, lit le moins et se documente le moins sur les sujets liés au féminisme et aux masculinités. Cela reste compliqué, mais c’était aussi le but, d’essayer d’avoir ce geste militant, d’arriver à parler à des hommes.

C’est aussi ça le boulot d’allié, prendre part aux conversations, que ce soit dans un cadre familial ou professionnel, donner son avis, expliquer pourquoi on ne peut pas dire ceci ou cela, pourquoi tel sujet n’est pas un sujet mineur. Il ne faut pas se contenter d’être un allié dans sa tête, cela n’aide personne, ne fait rien avancer. Les hommes sont écoutés d’une façon générale, mais même là-dessus je me sens assez écouté.

Comment avez-vous commencé à réfléchir à ces questions de féminisme et de masculinités ? 

C’est venu de plusieurs façons. J’ai rencontré la mère de mes enfants en 2010 et c’est quelqu’un qui s’est toujours beaucoup posée de questions. Elle avait cette tendance à tout remettre en question et elle m’a bien poussée dans mes retranchements dès le début, pour que j’essaie de comprendre qui j’étais, pourquoi j’agissais ou je parlais de telle ou telle manière. 

Il y a eu aussi je pense, le fait d’avoir des enfants. On réalise que le genre est pris en compte extrêmement tôt, peut-être même avant la naissance, dès que le bébé est dans le ventre. Une fois qu’on a ces lunettes là, d’observer le quotidien à travers les lunettes du genre, on n’arrive plus à regarder les choses autrement. 

Mes lectures ont aussi participé à mes réflexions. C’est par le biais des essais que je me suis remis à la lecture et il s’avère que je suis tombé dans Mona Chollet, entre autres, un peu par hasard. Mes questionnements reposent sur des lectures, des rencontres, des discussions et effectivement aussi mon évolution personnelle et tant qu’homme et en tant que père. 

Vous vous présentez comme un homme blanc, hétérosexuel, cisgenre sur Mansplaining, qu’est-ce que vous cherchez à mettre en avant en appuyant sur ces traits de votre identité ? 

Ça me semble fondamental de dire d’où l’on vient et qui l’on est, parce que mon vécu d’homme blanc, hétérosexuel, cisgenre n’est pas du tout le même que celui d’une femme et à fortiori si elle est LGBTIA+ ou si elle est racisée. Je pourrais même rajouter que je suis valide, athée, classe moyenne « plus », parce que tout ça rentre aussi en ligne de compte. Je me présente comme cela pour prévenir que je ne prétends pas parler à la place des femmes ou des personnes LGBTIA+.

Je me suis posé de grandes questions sur est-ce qu’un homme peut s’autoriser à prendre encore un peu plus d’espace sachant que l’espace médiatique est vraiment incrusté par les hommes. Ça m’est encore reproché de temps en temps, ce sont des questions que je comprends totalement et avec lesquelles je n’ai jamais fini de batailler, parce qu’effectivement régulièrement quand j’ai des crises de doute je me dis « tu devrais arrêter et laisser ta place à une femme », sur ce projet là ou sur un autre.

Des auditrices/auditeurs vous écrivent-elles/ils pour vous dire que Mansplaining les a sensibilisé au féminisme et aux masculinités ? 

Ce sont plutôt des femmes qui m’écrivent, la plupart ont l’air d’être déjà convaincues, mais par contre elles m’expliquent qu’elles ont fait écouter le podcast à leur père, leur mec, leur frère, qui eux n’étaient pas du tout sensibles à ces sujets-là et elles me disent qu’elles sont arrivées à leur faire écouter parce que c’est court et parce que c’est animé par un homme. Même si ça me sidère toujours, il y a plein de mecs qui refusent d’écouter Les couilles sur la table (1) de Victoire Tuaillon parce que déjà ça dure 45 minutes ou une heure et que c’est trop long pour eux, et ensuite parce que c’est une femme et, je schématise à peine, les « trucs de gonzesses ça va bien ». 

Il y a quand même quelques hommes qui m’ont écrit pour me dire que leur copine ou leur sœur leur ont fait écouter mon podcast et que ça leur avait fait prendre conscience de certains aspects du sexisme. Quand c’est comme ça, je me dis bon voilà ce que tu fais n’est pas totalement inutile parce que tu es arrivé, par le biais d’une auditrice, à aller parler un quart d’heure à l’oreille de quelqu’un qui ne se serait pas intéressé au sujet si ton épisode n’avait pas existé.

Quelle suite envisagez-vous pour Mansplaining ? Avez-vous d’autres projets autour des masculinités et du féminisme en cours ? 

Pour l’instant Mansplaining va se prolonger sous cette forme, mais quand le Covid sera un lointain souvenir, j’aimerais ajouter aux épisodes classiques des épisodes hors-série sous forme de rencontres avec certaines personnalités que j’admire pour parler ensemble de leur rapport aux masculinités. 

Je suis actuellement en fin d’écriture d’un livre lié aux questions de genre, qui sera publié à l’automne. Et j’espère pouvoir devenir peu à peu un vrai militant de terrain.

Propos recueillis par Laurène Pinvidic 50-50 magazine 

(1) Voir notre dossier Ces femmes dans nos oreilles.

Ecouter aussi : Mansplaining.

print