DOSSIERS \ Ces femmes dans nos oreilles Victoire Tuaillon – Les Couilles sur la Table

Nous avons échangé avec Victoire Tuaillon, une autre podcasteuse féministe, la créatrice de Les Couilles sur la Table (Binge Audio). Dans plus de cinquante épisodes, Victoire Tuaillon invite journalistes, universitaires, philosophes et même humoristes à échanger autour d’une question : celle de la masculinité.

Comment vous est venue l’idée de créer un podcast sur les masculinités ?

L’idée est venue progressivement. Le point de départ a été la lecture de King Kong Theory de Virginie Despentes, quand j’avais 16 ans. Dans cet essai, on peut trouver tout le programme des Couilles sur la Table ! Despentes y décrit déjà les carcans et les stéréotypes viriles, ainsi que leurs liens à la domination masculine. Il est rapidement devenu important pour moi de réfléchir à une question toute simple : si on ne naît pas femme, mais qu’on le devient, c’est donc on ne naît pas homme non plus. On le devient.

Le projet du podcast, c’était de montrer cela dans une perspective féministe. Qu’est-ce que cela implique de grandir dans un monde fait par et pour les hommes ? Qu’est-ce que cela implique de devenir un homme au XXIe siècle, dans les sociétés occidentales et tout particulièrement en France ?

Pourquoi avoir fait le choix du format des podcast ?

Après avoir découvert King Kong Theory, je me suis penchée sur la lecture d’un certain nombre d’articles universitaires. Il y a plusieurs décennies que des chercheurs et des chercheuses travaillent sur les questions de la masculinité, un peu partout dans le monde, et aussi en France. Je voulais faire entendre leurs travaux, faire circuler leur pensée et le format du podcast me paraissait idéal pour cela. Il s’agit d’un format de conversation, qui donne le temps à une pensée complexe et universitaire de se dérouler. Il me semble que le podcast rend cela plus facile d’accès que l’écrit, pour un certain nombre de personnes.

Je n’ai pas opté pour un format vidéo, parce que je ne vois pas très bien ce que l’image aurait ajouté. L’un des intérêts du podcast, c’est que l’on peut faire autre chose en même temps. Nous avons tout.es des vies bien remplies ! Personnellement, j’écoute toujours des podcasts en faisant autre chose, sauf quand il s’agit de formats documentaires où il y a vraiment un très gros travail sur le son, et à ce moment-là je les écoute comme on regarde un film. Mais sinon, écouter un podcast, c’est comme écouter la radio.

Considérez-vous la production de votre podcast féministe comme un acte militant ?

Non, ce n’est pas du militantisme. A titre personnel, je ne me considère pas comme une militante ; je suis journaliste. Mon travail est de poser des questions et de chercher les bons interlocuteurs et les bonnes interlocutrices pour répondre à des questions. Mon travail ne consiste pas à asséner ou défendre des idées, mais vraiment à faire circuler la pensée de celles et ceux qui ont réfléchi longuement et sérieusement à une question.

Ce n’est pas un acte militant, par contre c’est un engagement. Les Couilles sur la Table est un podcast féministe. Je ne crois pas du tout à la neutralité journalistique. Notre responsabilité et notre engagement se font justement dans le choix des invité.es. Il est par exemple hors de question que j’invite des personnes qui auraient écrit des livres misogynes ou masculinistes ; je pense qu’ils ont déjà suffisamment la parole. Il ne sagit pas non plus de faire intervenir uniquement des personnes qui pensent comme moi. Je ne suis pas toujours daccord avec mes invité.es, et dailleurs ce que je pense a finalement assez peu dimportance dans cette affaire. Mon choix est celui d’inviter des personnes dont les travaux permettent de mieux penser le monde dans lequel nous vivons.

Comment expliquez-vous le fait que toute une branche du féminisme en France s’est emparée du format du podcast ?

A mon avis, c’est très simple : les sujets de réflexion féministe n’intéressaient pas les rédactions traditionnelles. Or, on le voit bien avec le succès de différents podcasts qui traitent de genre et de féminisme (mais aussi d’autres sujets comme les questions raciales notamment) : les podcasts, par la liberté qu’ils procurent et leurs faibles coûts de production, ont permis à de nouvelles voix d’émerger et de se pencher sur les sujets que les médias traditionnels ne traitaient pas.

Quelle a été votre introduction au monde des podcasts ?

J’écoutais déjà des podcasts quand j’avais 10-11 ans. Il y avait notamment un podcast très connu qui s’appelait Le Donjon de Naheulbuck. A cet âge là, je m’étais déjà plongée dans la culture internet, et c’est ainsi que j’ai découvert cette émission. J’écoutais aussi plusieurs productions indépendantes. Il n’y avait pas encore beaucoup de vidéos, mais il y avait un grand nombre de podcasts qu’on téléchargeait en format MP3.

Plus tard, mon goût pour les podcasts s’est confirmé par les replay radio. J’ai notamment suivi le travail de podcasts d’Arte Radio dès le début.

En plus du podcast, vous avez récemment écrit et publié un livre, lui aussi intitulé Les Couilles sur la Table (Binge Audio). Que dites vous dans ce livre ?

Le livre est une synthèse des cinquante émissions que nous avons produites, depuis deux ans, dans Les Couilles sur la Table. Il résume l’émission et aborde de manière très simple ce qu’est la masculinité aujourd’hui. C’est un livre que j’ai écrit pour les hommes, mais aussi pour les femmes, et pour les autres. Je l’ai voulu accessible et exigeant. Le livre donne des pistes de réflexion et des clés d’analyse, aussi bien que des idées de sorties ou des possibilités individuelles d’action.

Si vous n’avez jamais écouté le podcast, ce sera bien plus rapide de lire l’ouvrage que d’écouter les vingt-cinq heures d’interviews ! Et en même temps, les personnes qui ont écouté tous les épisodes y trouveront aussi de nouvelles choses.

Propos recueillis par Léonor Guénoun 50-50 Magazine

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