Articles récents \ Île de France \ Société Le combat acharné et quotidien de Mimouna Hadjam, porte-parole d’Africa 93, contre les discriminations racistes et sexistes

Située à la Courneuve, Africa 93 a vu le jour il y a plus de 30 ans. Cette association anti raciste, féministe, laïque lutte contre les discriminations racistes et sexistes. A travers différents accompagnements favorisant un accès aux droits en matière d’éducation, de santé, d’habitat, de consommation, de tourisme social et de loisirs, d’information et de culture, Africa 93 met en place des actions solidaires pour les populations les plus démunies. Mimouna Hadjam en est l’une des fondatrices et se bat depuis 30 ans pour soutenir les femmes et les jeunes de la Courneuve.

La mise en place de repas solidaires, d’activités culturelles, de permanences d’aide aux démarches administratives, d’espaces de discussion pour venir en aide aux personnes victimes de violences, la création d’ateliers d’écriture pour les enfants autour des thématiques du féminisme et du racisme : Africa 93 propose un large panel d’actions.

« Le Covid a des conséquences très sexistes, ce sont les femmes qui en payent les frais. »

Depuis le début de la pandémie, Africa 93 a dû faire face aux retombées et conséquences des dégâts causés par la crise sanitaire. L’association a su s’adapter et mettre en place d’autres moyens d’action, venant en aide aux plus démuni·es. Les difficultés éprouvées par les populations en situation de grande précarité n’étaient pas inédites pour certaines, mais se sont accentuées depuis un an. Les permanences d’aide aux démarches administratives ont été consacrées à la formation de dossiers de surendettement et de demandes d’aide au Fond Social Logement (FSL). « Pour certaines personnes, il est de plus en plus difficile de payer leur loyer, leur facture d’électricité, de gaz… Ces problèmes ont toujours existé, mais on voit bien là une amplification » constate Mimouna Hadjam, présidente de l’association Africa 93.

Sans grande surprise, cette dernière fait également part de l’augmentation des violences faites aux femmes. Mettre en place un accompagnement sécurisant pour elles à l’heure où les phases de confinement et déconfinement rythment leur quotidien n’est pas sans difficultés. Depuis un an, les différentes mesures gouvernementales ont accentué l’anxiété, l’isolement et l’incertitude de ces populations déjà fragiles. Les climats de tension s’amplifient causant une hausse significative des appels au 3919. Entre le 16 mars et le 11 mai 2020, 44 235 appels ont été reçus. Selon le rapport du gouvernement sur les violences faites aux femmes pendant le confinement, « le 3919 a dû faire face à une vague d’appels très importante. Malgré les moyens déployés, certaines victimes n’ont pu recevoir de réponse. Sur 43 000 appels reçus, 15 000 sont pris en charge. »

La difficulté d’une prise en charge sûre et gratuite pour les femmes victimes de violences, est tout aussi visible dans le milieu associatif : « il n’y a pas beaucoup de possibilités pour ces femmes victimes de violences. » La pandémie complique l’accès aux structures qui pourraient leur venir en aide. « Les échanges se sont beaucoup faits par téléphone et ont forcément été drastiquement réduits » poursuit Mimouna Hadjam.

L’annonce du confinement a aussi mis à mal la prise en charge des femmes en rupture d’hébergement : « Parmi les SDF que nous accompagnons, il y avait sept femmes, qui malheureusement étaient sans-papiers. On a dû agir rapidement. »  Compte tenu des aides gouvernementales limitées pour les sans-abris et inaccessibles aux sans-papiers, Africa 93 fait partie des associations qui ont dû répondre dans l’urgence aux besoins de ces personnes. « A l’annonce des mesures de confinement, le gouvernement ne s’est pas soucié des sans-abris » affirme Mimouna Hadjam. Un grand nombre de coups de fil ont été passés par l’association pour essayer de trouver des structures d’hébergement pour que ces femmes soient accueillies. « Parmi les sept femmes, trois ont été accueillies dans notre réseau. Les autres ont été prises en charge au foyer La main tendue d’Aubervilliers ».

Ensuite, des actions de lutte contre la précarité hygiénique et alimentaire ont été menées par Africa 93. Des appels aux dons pour la confection de kits d’hygiène ont été lancés. L’association Mobile Douche qui réalise des maraudes à Paris leur a livré des produits hygiéniques. Africa 93 a également signé une convention avec Banlieue Santé. Cette association s’est chargée de leur livrer des colis alimentaires d’une valeur d’environ 30€. Elle leur a également fourni environ 200 kits d’hygiènes par mois (serviettes hygiéniques, brosses à dents, masques, gels hydroalcooliques, shampoings, gels douche…)

Africa 93 vient aussi en aide aux femmes dont l’activité professionnelle a été stoppée, ou au mieux réduite, par le confinement. « Nous soutenons des femmes de ménage mais également les femmes qui travaillent dans les aéroports de Paris et qui n’ont travaillé que ponctuellement depuis un an. » Selon le rapport d’Oxfam publié en janvier 2020, dans le monde, les deux tiers des postes dans le secteur du soin sont occupés par des femmes. Ces inégalités femmes/hommes, nous les retrouvons aussi en France. Les femmes y occupent 95 % des emplois d’assistant·es maternelles, d’employé·es de maison, d’aides à domicile, d’aide-ménagères et de secrétaires. Tous les emplois de service et de soins à domicile ont été durablement impactés.

Mener différents combats sans hiérarchiser leur importance

Mimouna Hadjam se dit être influencée par certains combats féministes, comme celui d’Angela Davis. Le combat féministe et anti-raciste d’Angela Davis est d’affronter le sexisme subit au sein des mouvements de lutte anti-raciste aux Etats-Unis. Il n’est pas contradictoire qu’un mouvement de libération reproduise des logiques de domination en son sein ; dans ce cas, des logiques non pas racistes mais misogynes et sexistes. Davis façonne alors en réponse le Black Feminism et met en évidence l’importance de considérer le féminisme au prisme de l’intersectionnalité. « L’intersectionnalité n’est pas un concept idéologique et politique. C’est un outil pour les chercheuses/chercheurs qui travaillent sur les discriminations. Par exemple, aujourd’hui, une femme cumulant les attributs noire, lesbienne, handicapée, peut être plus facilement discriminée » affirme la présidente de l’association d’Africa 93. D’après elle, mener différents combats sans hiérarchiser leur importance est une clé militante :  « j’aimerais trouver une articulation à tous ces attributs sans les hiérarchiser, sans dire par exemple que la question de la « race » est plus importante que la question du féminisme ».

Mimouna Hadjam se positionne sans ambiguïté : « on est 4 milliards de femmes dans le monde et tous·tes celles et ceux qui sont contre l’universalité oublient que la chose la plus universelle c’est bien le patriarcat et les violences faites aux femmes. » Elle insiste sur le fait qu’elle souhaite également considérer les particularités sociales et culturelles de chaque pays. Selon elle, certains courants de pensée féministes doivent en inspirer d’autres, sans pour autant qu’un modèle quelconque de pensée féministe en domine un autre. « Je défends l’idée que le féminisme est un mais à chaque pays d’adapter son féminisme selon ses spécificités » conclut-elle.

L’inégale occupation de l’espace public, l’effacement progressif des femmes

Elle constate enfin, que les inégalités femmes/hommes se poursuivent dans l’occupation de l’espace public. Les choix d’aménagement de l’environnement relayent et construisent les codes de la masculinité. Les travaux de recherche de Yves Raibaud mettent en lumière une enquête française de genderbudgeting réalisée pour la Communauté urbaine de Bordeaux en 2009 :  « 75% des budgets publics destinés aux loisirs des jeunes profitent aux garçons. »

La présidente de l’association d’Africa 93 fait le constat de l’invisibilisation des filles et des femmes dans l’espace public. « Lorsqu’un espace sportif est créé, on va y retrouver un terrain de foot qui ne sera occupé que par des hommes. » Les skate-parks et les aires sportives urbaines sont par exemple des espaces très masculinisés. Spectatrices passives ou – au mieux – supportrices, les filles ne sont pas explicitement exclues de ces endroits. « Je suis pour que les femmes fassent du football mais j’aimerais aussi qu’on réfléchisse à des pratiques sportives qui vont spontanément les amener à occuper ces espaces » poursuit-elle. Si la masculinisation de ces microcosmes relève de normes tacites, les politiques publiques les consolident largement en ne considérant pas la dimension genrée de la construction des espaces publics, inégalement occupés.

En se basant sur sa propre expérience en banlieue parisienne, elle constate les effets de l’insécurité qu’éprouvent les femmes au sein de certains quartiers. Ce sentiment d’insécurité explique pour beaucoup leur abandon de certains lieux publics dits peu fréquentables . « Peu à peu les femmes se sont empêchées d’occuper l’espace public, moi la première. J’habite à Saint-Ouen et j’évite d’être seule la nuit, je prends un taxi lorsque je rentre tard. » Les femmes ont progressivement déserté l’espace public au profit d’une présence essentiellement masculine.

Mimouna Hadjam prend l’exemple des cafés en Seine-Saint-Denis. Elle considère, qu’à quelques exceptions près, les cafés et bars de ces quartiers ne sont absolument pas accueillants pour les femmes, voire même hostiles à leur présence. « Ça n’est pas écrit interdit aux femmes mais il y a un tel regard masculiniste au sein de ces cafés que les femmes n’osent même pas y entrer. »

Pour pallier ce phénomène, Africa 93, a créé son propre espace dédié à un salon de thé gratuit. A la sortie du confinement, l’association envisage de l’ouvrir tous les jours en essayant de mettre en place une participation financière mensuelle pour celles et ceux qui le souhaitent. Une telle initiative est très certainement un moyen pour les femmes de se réapproprier une partie de l’espace public. Pour autant, Mimouna Hadjam met l’accent sur sa volonté de construire un lieu mixte et pourquoi pas paritaire, afin d’éviter de reproduire des logiques d’exclusion. « S’il y a des hommes, on les accueillera également, c’est mixte et on ne les met pas dehors comme ça a été implicitement fait pour les femmes » conclut Minouna Hadjam.

Chloé Vaysse 50-50 Magazine

Photo de Une : Mimouna Hadjam devant les locaux d’Africa 93

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