Articles récents \ Culture \ Livres Le genre au travail : recherches féministes et luttes de femmes

Le genre au travail

Le 25 mars avait lieu une conférence de présentation de l’ouvrage Le genre au travail. Recherches féministes et luttes de femmes. Des grèves féminines d’hier à aujourd’hui, en passant par le féminisme washing au sein des entreprises, jusqu’à l’impact des violences conjugales sur la vie professionnelle, cet ouvrage donne un aperçu de l’état de la recherche sur la prise en compte du facteur genre dans le monde du travail.

L’ouvrage Le genre au travail a été coordonné par le MAGE. Créé il y a 26 ans, il est co-dirigé depuis cinq ans par deux sociologues, Delphine Serre et Nathalie Lapeyre, et une économiste, Rachel Silvera. C’est le premier groupement français de recherche mêlant genre et marché du travail et c’est également un réseau de recherche international et pluridisciplinaire (30 centres de recherche et universités dans 13 pays). Cela montre que les analyses féministes des conditions de travail sont un champ d’étude en expansion.

Cet ouvrage est un travail collectif regroupant 40 contributions. Ces contributions sont celles de chercheuses/chercheurs, ainsi que d’associations féministes et de syndicats (CFDT, CFE-CGC, CGT, FSU et Solidaires). Cela en fait un ouvrage pluridisciplinaire et intergénérationnel.

Histoires de luttes de femmes, ici et ailleurs

Le premier chapitre de l’ouvrage fait le parallèle entre les luttes de femmes des années 1968 et 1970 et les luttes actuelles. L’historienne Fanny Gallot y raconte notamment la grève des ouvrières d’Essilor en 1978. Cette grève avait pour but la revalorisation du travail féminin en demandant notamment un salaire égal à travail équivalent. Fanny Gallot nous explique que le principe “à travail égal, salaire égal” était entré dans le droit quelques années auparavant avec la loi du 22 décembre 1972, « relative à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes ». Cependant, cette loi était de faible portée du fait des accords de branche. Les femmes ont donc dû se battre pour que l’égalité de droit devienne égalité de fait. 

A l’heure de la polémique sur les réunions en non-mixité organisées par l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), les chercheuses ayant rédigé l’ouvrage rappellent l’importance qu’ont eu les groupes de femmes en entreprise pour l’entrée du féminisme dans le monde du travail. L’organisation des femmes entre elles a poussé les syndicats à défendre de nouvelles revendications comme l’égalité salariale ou même le droit à l’avortement.

L’ouvrage fait un parallèle avec les luttes actuelles de femmes en proposant l’entretien croisé de trois femmes gilets jaunes. Elles expliquent comment le mouvement des gilets jaunes a rassemblé des femmes qui se pensaient éloignées socialement mais qui avaient, en réalité, les même difficultés. “Ensemble, on est sorties de notre impuissance” disent-elles. Au sein du mouvement des gilets jaunes se sont même créés des groupes non-mixtes comme les AmaJaunes. Cela montre que, de tout temps, la sororité est moteur pour les avancées sociales.

A qui profite l’égalité professionnelle ?

Dans ce chapitre, la sociologue Jacqueline Laufer fait le constat d’un engagement sélectif et élitiste des entreprises en faveur de l’égalité. Elle décrit cela comme du “top management de la diversité”, au sens où il s’agit seulement de permettre aux femmes dites “à potentiel”, les futures dirigeantes, de développer leur carrière. Cela passe par deux logiques : 

  • une logique néolibérale, qui s’incarne par le leitmotiv individualiste : “prenez votre carrière en main”, sous-entendant que la réussite professionnelle dépend de la responsabilité individuelle de chacun·e. 
  • une logique d’empowerment, issu d’un féminisme “soft” qui fait penser aux femmes des classes sociales supérieures qu’elles ne sont pas défavorisées par le patriarcat.

En réalité, cette idée que les femmes cadres sont des actrices à part entière du développement de leur carrière efface les inégalités structurelles et dépolitise le combat féministe dans le monde du travail. Cela participe d’une vision élitiste de l’égalité professionnelle qui tend à renforcer les inégalités entre femmes. La parité au sommet des entreprises est essentielle quand elle fonctionne comme un levier de pouvoir mais elle ne peut pas être le seul objectif car il n’y pas d’effet de ruissellement. Il faut aussi se méfier du féminisme washing ; quand les entreprises utilisent le féminisme comme outil managérial et font de la parité une stratégie d’affichage.

S’il y a bien une chose que la crise sanitaire nous a apprise, c’est que les métiers essentiels ne sont pas au sommet de la hiérarchie. Comment les reconnaître ? Ce sont les métiers que certaines personnes (majoritairement les femmes) ont été obligées d’exercer en présentiel pendant le confinement.

Violences conjugales et intrafamiliales : les conséquences sur l’emploi des femmes

Les conséquences professionnelles des violences conjugales et intrafamiliales sont un angle mort de la recherche. Pourtant, l’emprise impacte le comportement des victimes et entraîne de l’absentéisme, du retard, des impossibilités de déplacement ou de flexibilité horaire… Les violences ne s’arrêtent pas à la porte de l’entreprise.

Sophie Binet, pilote du collectif Femmes-Mixité CGT et co-directrice de l’Ugict-CGT, rappelle que, si le lieu de travail peut être un lieu de danger, il peut aussi être un lieu-ressource qui permet de maintenir une certaine indépendance économique, ainsi que du lien social. Cependant, elle met en garde : la gestion des violences ne doit pas être un sujet de négociation entreprise par entreprise. En effet, plus de 80% des entreprises n’ont pas de plan de prévention. Au contraire, il est important que les politiques publiques s’emparent du sujet pour mettre en place des droits interprofessionnels qui protègent les victimes. Par exemple, le droit à des congés quand les victimes décident de quitter leur conjoint·e, comme c’est le cas en Nouvelle-Zélande, aux Philippines et au Canada. Il faut aussi un droit à la mobilité géographique ou fonctionnelle, pour que les victimes n’aient pas à choisir entre leur travail et leur vie, ainsi qu’une interdiction stricte du licenciement en cas de violences.

Iman Karzabi, du Centre Hubertine Auclert et de l’Observatoire régional des violences faites aux femmes, ajoute que l’impact des violences sur l’insertion professionnelle doit également être pris en compte par les actrices/acteurs de terrain. Elle donne l’exemple d’une victime qui se ferait radiée de Pôle Emploi pour avoir raté un rendez-vous avec sa/son conseiller·e. Pour elle, les agent·es de Pôle Emploi doivent agir à leur niveau, par exemple en ouvrant un espace de parole avec les victimes. Cela permet de poser un diagnostic et d’orienter les victimes vers des associations. Le Centre Hubertine Auclert a d’ailleurs publié un guide sur le sujet à destination des actrices/acteurs de l’emploi.

Maud Charpentier, 50-50 Magazine

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