DOSSIERS \ Média: les femmes toujours censurées Josiane Szymanski, une carrière de journaliste reporter d’images 

Si les femmes ont très vite trouvé du travail dans les journaux de mode et les journaux dits « féminins » dont elles avaient toutefois très rarement la direction ou la rédaction en chef, elles ont mis plus de temps à accéder à tous les niveaux de responsabilité dans le reste de la presse écrite ou télévisuelle. En particulier dans les professions liées aux savoirs techniques comme le son et l’image qui sont longtemps restées un pré carré masculin. Aujourd’hui il leur est très difficile de consolider les acquis obtenus dans les années1980/90. La concurrence est féroce et les missions, souvent à la pige ou en CDD, sont de plus en plus mal rémunérées. En 1984, Josiane Szymanski devient l’une des premières femmes journaliste reporter d’Images (JRI). En 1985, elles ne sont que 7 femmes à avoir une carte de presse sur un total de 251 JRI.

Issue d’un milieu rural, Josiane Szymanski est « montée » du sud de la France pour travailler à Paris. À cette époque on trouvait facilement du travail et elle a été embauchée dans une bibliothèque. Par ailleurs elle était déjà féministe et proche du Mouvement de libération des femmes (MLF) qui était très actif depuis le début des années 1970. En 1978-1979, alors qu’elle travaillait à la BPI de Beaubourg, elle rencontre une membre du groupe des Griffones et décide de faire un stage de vidéo. La vidéo était une technique nouvelle à l’époque, beaucoup plus légère et économique que le cinéma, elle permettait de documenter sur des sujets auxquels le cinéma ne s’intéressait pas. Carole Roussopoulos et Delphine Seyrig s’en sont d’ailleurs emparées à l’époque et proposaient des formations aux femmes afin qu’elles puissent témoigner elles-mêmes de leurs vécus et de leurs problèmes, toujours minimisés ou ignorés si ce n’est déformés par les regards masculins.

De rencontres stimulantes en rencontres militantes, elle participe, avec les Griffones, à la réalisation (en super 8) d’un court métrage documentaire assez unique sur le mouvement des femmes :  » Mais qu’est-ce qu’elles font ?  » Encouragée par les copines et grâce à leur bouche à oreille, elle découvre le CERIS qui organisait des stages de reconversion professionnelle.  Après sélection, le stage formait des opératrices/opérateurs de prises de vues en deux ans. Les stagiaires étaient rémunéré·es par le ministère du travail et le stage était gratuit, alors qu’actuellement la plupart des écoles sont payantes et donc peu accessibles aux moins fortuné·es.

Sur une trentaine de stagiaires, elles étaient 4 ou 5 femmes proches du MLF et 4 ou 5 autres très dynamiques, donc environ un tiers de femmes. Il leur fallait se battre un peu pour que les hommes ne fassent pas toute la technique ! Elles ont d’ailleurs fait deux films de fin d’étude entre femmes. Nombre des participant·es à ce stage sont entré·es dans le métier dans les années qui ont suivi.

Ce stage va changer la vie de Josiane Szymanski ! Quand elle en sort en 1984, elle est encouragée dans son nouveau projet professionnel par les affiches diffusées par le ministère des Droits des Femmes à la tête duquel œuvrait Yvette Roudy. Cette affiche affirmait  » A l’école, orientons-nous dans toutes directions « , poussant les filles et femmes à se sentir légitimes partout. Presque 40 ans plus tard, ce combat n’est pas encore gagné.

À l’époque il y avait une vague féministe encore assez forte. Quand elle se présente à la rédaction de France 3, l’homme qui la reçoit la regarde d’un air perplexe en lui disant:   » c’est vrai qu’on n’a pas de femmes, je vous prends à l’essai ! « . Les écoles de journalisme ne formaient pas encore de JRI, cela lui permet donc d’entrer dans le journalisme avec une formation d’opératrice de prises de vues (OPV) plus axée cinéma. Elle fait son entrée dans une filière où globalement il y a une bonne ambiance, même si elle y rencontre parfois des machos. En 1985, elles ne sont encore que 7 femmes JRI à avoir une carte de presse sur 251. Très motivée Josiane s’accroche pour conquérir sa place.

Quand elle débute à France 3, son chef l’envoie faire des remplacements en province. Il y avait énormément de travail, on pouvait être envoyé un peu partout sur tous types de sujets. Cela lui a plu et elle s’est adaptée. Contrairement à nombre de ses collègues, elle aimait beaucoup la politique. Les journalistes rédacteurs avec lesquels elle travaillait aimaient avoir des JRI intéressé·es parce qu’elles/ils faisaient. Cela a fait qu’elle a beaucoup travaillé car ce sujet n’était pas très prisé. Josiane a réussi aussi parce qu’elle a accepté des missions que certains ne trouvaient pas assez prestigieuses, ou peu enviables. Etant en reconversion professionnelle, elle trouvait extraordinaire de pouvoir faire ce métier !

En 1987, lors de la création de La 5 privée, un collègue pigiste la pousse à postuler et elle décroche un CDI qui la protégera ensuite de certains collègues sexistes qui cultivaient l’entre soi, en particulier pour faire la noce après le boulot et qui préféraient partir en reportage à l’étranger avec des hommes. Certains allant jusqu’à conseiller aux femmes de « partir entre elles ».

Les rapports professionnels étaient beaucoup plus durs sur La 5 car il y avait une rivalité terrible entre les gens, et sur le terrain elle a parfois eu affaire à une certaine brutalité, il y en avait qui vivaient mal de voir arriver une petite nana au milieu des meutes de journalistes présentes sur les événements. Elle a dû parfois affronter des coups de coudes et se défendre face à des photographes qui la bousculaient pour être devant en l’empêchant de travailler.

Le matériel était très lourd, les caméras pesaient environ douze kilos, et Josiane a toujours fait très attention de bien gérer son corps pour éviter les douleurs et tous les problèmes dûs aux manipulations. Elle avait beaucoup de collègues qui pensaient que ce n’était pas un métier pour une femme, elle mettait donc un point d’honneur à ne pas se plaindre et à être endurante. Les hommes faisaient davantage les choses en force, quitte à se plaindre ensuite…

Au début de sa carrière, un jour Josiane Szymanski va filmer dans une usine humide qui semblait digne du 19e siècle, les ouvrières avaient les jambes gonflées, les cheveux blancs… et le patron lui demande : «  Mais ce n’est pas trop dur votre métier pour une femme ? », alors que ces femmes, comme tant d’autres dans l’agriculture, l’industrie, le nettoyage ou le service à la personne, avaient des conditions de travail bien pires qu’elle !

Josiane Szymanski en reportage pendant la guerre du golfe

Le problème n’est pas tant que les femmes rentrent dans un métier encore considéré comme « masculin », c’est qu’elles y restent et qu’elles y progressent, qu’elles accèdent aux postes d’encadrement, qui sont très convoités ! Josiane Szymanski a vu parfois ses supérieures se faire dénigrer parce que femmes. Si elle a parfois trouvé le métier dur, elle pense que c’est bien pire pour les jeunes aujourd’hui, en particulier les femmes. Il y a beaucoup de turn over et c’est très difficile de vieillir dans ces métiers sans avoir un CDI. On demande aux journalistes d’être polyvalent·es et de faire le son, le texte, l’image pour des salaires de misère. Précarisé·es, mal traité·es et sous payé·es, il est difficile de tenir dans la durée, surtout avec une famille.  Pourtant Josiane Szymanski a pu constater l’intérêt de travailler avec des équipes d’origines mixtes, souvent perçues comme moins agressives et plus proches d’elles par les personnes interviewées. Lors d’un reportage en Irlande du nord, elle a aussi expérimenté le machisme ordinaire de la police locale à laquelle elle avait remis une cassette vierge après un reportage dans une prison avec une collègue. Lors de son visionnement au poste de police, lorsque la journaliste s’est mise à se plaindre que Josiane Szymanski n’ait rien filmé, ils n’ont pas douté un instant que ce soit dû à l’incompétence technique de ces deux femmes… Face à des hommes ils auraient probablement éventé la supercherie… Les photographes avaient toujours une pellicule vierge dans le poche en cas de tentative de saisie inopinée d’un travail en cours.

A la suite de la fermeture de la 5, la JRI retourne sur France 3 comme pigiste pendant quelques années. Lasse de passer ses nuits dans les hôtels, elle fera même un passage sur Canal + où les salaires sont plus attractifs mais où le travail de plateau avec le showbizz ne l’intéresse guère. Elle finira enfin par obtenir un CDI sur France 3 où elle travaillera jusqu’à la fin de sa carrière.

Alors que la course à la rentabilité gangrène aussi le journalisme et que les équipes sont réduites par mesure d’économie, elle va se battre avec la CGT pour faire sécuriser l’emploi d’un maximum de pigistes. En 1997, en tant que déléguée du personnel, le premier dossier qu’elle aura à traiter concernera un cas de harcèlement sexuel qu’une collègue, fille d’un militante du MLF ne pouvait laisser passer ! Après la loi Génisson sur l’égalité professionnelle, elle constatera que les interruptions pour grossesse éloignaient les mères des CDI qui s’obtenaient à l’ancienneté, et les excluaient des primes de grossesse. Toutes ces questions l’ont amenée à renouer avec un féminisme collectif.

Josiane Szymanski reste convaincue que pour faire un travail de qualité, il faut un·e rédactrice/rédacteur qui circule sans caméra, se documente, échange avec ses collègues sur les sujets, quelqu’un qui regarde aussi autour de lui/elle, dans la rue à côté et qui vient dire au JRI : « il se passe quelque chose là-bas !». Avoir le temps de travailler un sujet en profondeur, c’est le plus important. Mais c’est un combat perdu, le profit et la superficialité semblent bien l’avoir emporté  !

En 2009 et 2010, la JRI proposera, pour le 8 mars, des magazines sur le féminisme qui l’amèneront ensuite à réaliser, non sans difficultés, un documentaire sur les 40 ans du mouvement de libération des femmes (MLF), réalisé grâce à l’appui de sa rédactrice en chef, une des rares femmes à ce poste à cette époque. Comme elle avait transféré en vidéo les films des années 1970 et 1980, le producteur a trouvé qu’elle avait des archives extraordinaires qu’il fallait exploiter, mais un des coproducteurs refusera de mettre MLF dans le titre parce qu’il trouvait que c’était «répulsif.»  Le film n’apparaît pas quand on fait une recherche sur le MLF. Même aujourd’hui le terme MLF n’est pas très bien connoté et les sujets touchants au féminisme restent souvent traités superficiellement par les chaînes mainstream.

Pourtant c’est bien le mouvement féministe qui a donné confiance en elle à Josiane Szymanski qui se disait qu’elle avait de la chance de faire ce travail et qu’elle représentait les femmes et ne devait donc pas se montrer faible. Cela lui donnait de la force et de la légitimité… Cette légitimité qui est encore si souvent refusée ou contestée aux femmes, c’est bien par l’action collective que les femmes l’obtiennent. Si toutes les femmes s’unissaient pour faire reconnaître leur légitimité et leurs droits, rien ne leur résisterait !

Marie-Hélène Le Ny 50-50 Magazine

Photo de Une : Josiane Szymanski au centre portant sa caméra.

 

 

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