Articles récents \ France \ Politique Claudine Monteil : « Ce qui m’inquiète tant à l’ONU, à l’UNESCO, qu’au Parlement Européen, ce sont les infiltrations discrètes, efficaces qui sabotent les initiatives en faveur des droits des femmes »

Claudine Monteil fut signataire du Manifeste des 343, militante avec Simone de Beauvoir dont elle a été la biographe et amie. Ancienne diplomate, elle est aujourd’hui présidente de Femmes Monde, membre du Conseil National des Femmes Françaises et de la Coordination Française du Lobby Européen des Femmes. Elle livre ses inquiétudes sur la décision de la Cour Suprême des Etats-Unis rendue le 24 juin dernier sur l’IVG.

Comment expliquez-vous la décision de la Cour suprême des USA qui révoque le droit à l’avortement ? Est-ce le fruit d’une stratégie sournoise et insidieuse du patriarcat américain depuis les années 70 ?

Il s’agit en effet d’une stratégie sournoise et insidieuse des conservateurs et religieux américains qui a commencé dès l’adoption de l’arrêt historique rendu par la Cour Suprême en 1973 qui statue que le droit à la vie privée s’étend à la décision d’une femme de poursuivre ou non sa grossesse. En réalité, depuis mars 1970, les conservateurs étaient très remontés lorsque Norma Mc Corvey, sous le pseudonyme de Jane Roe, avait contesté la loi du Texas interdisant l’avortement. L’affaire alla jusqu’à la Cour Suprême et finalement la décision fut prise le 22 janvier 1973 avec une majorité de 7 voix contre. Mais le travail insidieux de culpabilisation à l’encontre des femmes souhaitant avoir un avortement a vraiment pris une ampleur plus visible à la fin des années 1970 et enfin à l’élection de Ronald Reagan comme président des Etats-Unis en 1981. 

La journaliste du New York Time Linda Greenhouse, autrice d’articles sur la Cour Suprême pendant près de trente ans et lauréate du prix Pulitzer, explique qu’à la fin des années 1970 « le parti Républicain a fait alliance avec les groupes religieux conservateurs (les catholiques et les évangélistes) pour gagner du soutien politique… Ronald Reagan, alors candidat, a basé sa campagne pour être élu président des Etats-Unis sur un discours anti-avortement  et a reçu beaucoup de soutien de la part des groupes conservateurs religieux. » 

A partir de 1981, l’offensive est lancée dans tous les Etats, et les religieux accentuent les opérations de harcèlement des cliniques qui se répandaient depuis les années 1973. Donald Trump a accentué la pression des conservateurs en nommant des juges très conservateurs à travers le pays, comme si l’attaque contre les droits des femmes avait été gangrenée de partout. En réalité, la décision de la Cour Suprême est venue comme un fruit mûr qui tombe, d’autant que Donald Trump avait eu l’opportunité de nommer des juges à la Cour Suprême et dans différents Etats très conservateurs.

La réaction de la féministe démocrate Alexandria Ocasio-Cortez, dite AOC, représentante depuis 2018 pour le 14ème district congressionnel de New York, et devenue, à 29 ans, la plus jeune parlementaire jamais élue au Congrès des Etats-Unis, insiste pour que Joe Biden décide d’élargir le nombre de juges à la Cour Suprême, passant ainsi de 9 à 13. C’est une disposition qui sera très difficile à faire adopter mais elle a le mérite d’être posée par une démocrate qui compte. 

 

En tant qu’ancienne diplomate, vous avez conservé des liens avec les USA. Savez-vous comment les associations féministes américaines comptent réagir à cette décision ?

Les organisations féministes sont à la fois en colère et tétanisées. Elles ne comprennent pas que le parti démocrate et la Maison Blanche n’aient pas prévu une réaction sérieuse et opérationnelle alors que les démocrates et le Cabinet de Joe Biden auraient eu le temps depuis des mois de s’y pencher. Des manifestations locales ont eu lieu mais aucune, à ce stade, n’a été exceptionnelle à la hauteur de la colère des femmes face à cette décision de la Cour Suprême. Et en parallèle des manifestations, de nombreux militantes anti-avortement occupent le terrain pour célébrer cette décision. Il semble donc, à ce stade, y avoir une période de flottement et les féministes sont furieuses que la Maison Blanche n’ait pas,  jusqu’à aujourd’hui, lancé des appels à voter démocrate lors des élections à mi-mandat, alors que des sondages prévoient un net avantage au parti républicain.   

Elles vont profiter de la fête nationale du 4 juillet pour manifester à travers le pays. Joe Biden semble sentir le poids de son électorat, la colère de nombreuses femmes à travers le pays, et semble vouloir bousculer les règles parlementaires. Alors qu’il ne peut agir par décret et souhaiterait passer par majorité simple, alors qu’il se doit, à priori, de passer par une majorité qualifiée au Sénat. 

Dans le même esprit, ce qui m’inquiète tant à l’ONU, à l’UNESCO, qu’au Parlement Européen, ce sont les infiltrations discrètes, efficaces qui sabotent les initiatives en faveur des droits des femmes.  Les conservatrices/conservateurs du monde entier, et donc européen.nes, apprennent beaucoup de l’exemple des conservateurs américains qui, par ailleurs, disposent discrètement, de sommes considérables pour effectuer un travail efficace et redoutable de lobbying.  

Enfin je ne cesse de rappeler combien la situation internationale, le réchauffement climatique, la surpopulation, la pollution, la sécheresse, mettent en danger la condition des femmes et la préservation de leurs quelques droits. A cela s’ajoute la question très inquiétante des négociations internationales pour signer un contrat sur l’accès aux matières premières et aux métaux rares avec des pays non respectueux de l’égalité femmes/hommes. Dans des négociations, il faut toujours composer, établir un compromis, souvent au détriment des droits des femmes, comme le font bien évidemment des pays avec l’Afghanistan. Aussi, plus le prix des matières premières et des métaux rares augmente, plus les droits des femmes sont en danger.

À la suite de ce retour en arrière opéré par certains juges conservateurs aux USA, le gouvernement français souhaite inscrire dans notre constitution le droit à l’avortement. Il s’agit d’une bonne surprise. Quelle est votre réaction ? 

Nous avons signé Le Manifeste des 343 femmes qui ont eu le courage de déclarer avoir eu un avortement en avril 1971 pour que le mot « avortement » alors tabou et seulement chuchoté au sein de la société française. Ce fut un succès mais nous étions tout de même les parias de la société. Nous n’avons pas lâché, avons lutté des années durant, en réussissant le procès de Bobigny et l’occupation du Foyer des filles-mères du Plessis-Robinson. Mais de là à inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution, cette initiative dépasse nos rêves. C’est magnifique et utile. Mais je m’attends à une offensive féroce des conservateurs qui va s’accentuer après la mise en place d’un nouveau gouvernement.

Depuis les années 70, les femmes sont « entendues » mais l’égalité réelle reste encore illusoire. Pensez-vous que les femmes et les hommes féministes doivent changer leur mode d’actions et de communication pour faire bouger les lignes ? Autrement dit, faut-il secouer plus fortement le cocotier patriarcal ?

Il faut toujours secouer, toujours se battre, ne rien laisser passer. Ne pas oublier, dans ce combat, les hommes féministes qui ont des sœurs, filles, petites-filles, compagnes, mères, grand-mères.

Propos recueillis par Laurence Dionigi 50-50 Magazine

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