Articles récents \ France \ Politique Hélène Bidard: « Il ne faut pas oublier les puéricultrices, les infirmières, les agricultrices, les femmes de ménages, etc. » 2/2

Helene Bidard

Hélène Bidard est adjointe à la Maire de Paris en charge de l’égalité femmes/hommes, de la jeunesse et de l’éducation populaire. Elle revient sur Paris la ville du quart d’heure, la revalorisation des métiers féminisés, les collèges de l’égalité, la lutte contre la prostitution des mineu·res, son travail avec l’Observatoire des violences faites aux femmes, ses projets sur l’égalité professionnelle…

En quoi consiste votre travail en lien avec l’Observatoire parisien des violences faites aux femmes (OPVF) ? 

L’OPVF est la seule instance qui permet de mettre toutes/tous les actrices/acteurs concerné·es autour de la table. Il y a des associations et institutions comme la CAF, l’Éducation Nationale ainsi que le Parquet représenté par la procureure elle-même, ce qui montre l’importance de ces réunions. L’Union des familles de victimes de féminicides (UNFF) nous a rejoint cette année, ainsi que l’association Aurore.

En 2022, sur les quatre premiers mois, le parquet a eu 300 procédures pour violences par conjoint. Il faut sans doute multiplier ce chiffre par deux, car lorsqu’on ajoute un autre critère comme l’usage d’une arme, ce n’est plus considéré comme une violence par conjoint dans leur logiciel. Il faut donc plutôt en compter 600 sur les quatre premiers mois. Le Parquet souhaite affiner ces chiffres, en incluant justement ce type de critère. Le gouvernement a publié seulement cet été les chiffres des féminicides pour 2021, c’est un problème pour les associations et les collectivités locales. Le contexte des élections présidentielles et législatives a dû jouer un rôle, vu le bilan lamentable de la « grande cause du quinquennat ». Espérons que cela ne dure pas. Laure Beccuau, la procureure, a établi le chiffre de 20 procédures par jour concernant des violences par conjoint. C’est énorme. Cela représente également plus d’un tiers des personnes suivies par le Service probation insertion pénitentiaire (SPIP). C’est donc un suivi énorme et il n’y a eu aucune augmentation conséquente de moyens depuis #MeToo.

Entre 2014 et aujourd’hui, nous sommes passés de 14 à 60 téléphones grave danger (TGD) à Paris ; c’est un dispositif qui fonctionne bien. Mais là aussi, nous aurions besoin de moyens supplémentaires. Plus on augmente le nombre de TGD, plus il y a de femmes accompagnées sur plusieurs mois, voire années. Il y a neuf bracelets anti-rapprochement à Paris, ce qui est peu, mais aussi moins adapté dans les zones denses comme Paris.

L’OPVF dresse des bilans chaque année avec les institutions dédiées aux violences faites aux femmes. On constate une augmentation du nombre d’ordonnances de protection, une augmentation des saisines des unités médico-judiciaires, une augmentation des « files actives » dans tous les dispositifs. En réalité, notre bilan est assez clair : toutes les structures et tous les dispositifs d’accompagnement de l’hébergement, de la santé, des services sociaux sont saturés. Est-ce qu’il y a plus de violences ? Probablement, à cause du Covid et du confinement. Mais il y a aussi plus de révélations dues à MeToo. Pendant le confinement, les voisin·es ont énormément agi et hésitaient moins à intervenir lorsqu’elles/ils entendaient des cris, par exemple.

Nous avons fait passer la délibération au dernier conseil de Paris, nous finançons à hauteur de 500 000 euros les associations qui luttent contre les violences faites aux femmes. Il s’agit d’un budget dédié à l’accompagnement et à l’écoute des victimes de violences faites aux femmes. Cette subvention a été augmentée de 93% sous le précédent mandat. Nous sommes les seul·es à avoir pu augmenter de cette manière, il faudrait qu’il en soit de même du côté de l’Etat, pour les associations et les services publics.

Mais il y a tout de même de bonnes nouvelles concernant le logement : avec la Ville de Paris, nous avions mis en place des cotations, c’est-à-dire qu’il y a des critères « accélérateurs » pour obtenir un logement social lorsque l’on est victime de violences conjugales. C’est important pour se reconstruire sur le long terme. La plainte et les éléments qui montrent une procédure en cours augmentent le nombre de points. À Paris, 1% des 15% de femmes relogées, victimes de violences, dépose plainte. Fin 2023, cette politique volontariste de la Ville sur ses quotas de logements sociaux, sera appliquée à de nouveaux acteurs (bailleurs sociaux, quotas de l’Etat…). C’est une très bonne nouvelle. 

Par ailleurs, pour le 25 novembre, nous allons travailler sur la question de la santé et de la prise en charge médicale des femmes victimes de violences. L’idée est de travailler avec des professionnel·les de la santé, qui sont dans les hôpitaux ou qui travaillent en libéral. Il y a des statuts très divers et nous devons réfléchir ensemble aux manières d’orienter les femmes victimes de violences et aux lieux appropriés pour les orienter. Dans l’idéal, tout·e professionel·le de santé devrait systématiquement poser la question des violences à une femme, à un enfant, lorsqu’il y a des symptômes. Mais il faut pouvoir les identifier. Par exemple, certaines femmes viennent avec des problèmes ORL et c’est à cause de coups au visage. Cela peut aussi causer des problèmes dentaires. C’est pour cette raison qu’il faut poser des questions. Cela peut aussi être une pathologie psychiatrique qui s’est développée à cause des violences. Il y a énormément à gagner en détectant tôt les violences.

Il faut aussi poser ce type de questions aux enfants, 9% des cas de violences sur les enfants sont signalés par des professionnel·les de santé. C’est peu, mais on ne leur pose pas la question. Il faut encourager les professionnel·les, leur permettre aussi de prendre le temps. Il faut leur donner des outils pour qu’elles/ils sachent orienter les personnes victimes de violences vers des professionnel·les spécialisé.es. Il est nécessaire de mettre en place un réseau pour pouvoir agir, localement, avec le commissariat, des assistant·es sociaux/sociales, les associations. Nous avons beaucoup d’idées et le 24 novembre, il y aura une journée de formation interprofessionnelle sur les thématiques de l’impact des violences sur la santé des femmes et de leur prise en charge globale.

Quels sont vos projets en rapport avec l’égalité professionnelle ? 

Nous avons pris une génération de retard sur ces sujets avec les politiques d’austérité, dont celles d’Emmanuel Macron, puis avec les conséquences du COVID 19 sur les femmes, non traitées dans le plan de relance du gouvernement. Le fait de télétravailler est pratique mais renvoie les femmes à la maison et accentue les inégalités domestiques. L’égalité professionnelle recule à cause de politiques d’austérité et des réformes du marché du travail qui précarisent toujours plus les femmes. Les « essentielles » n’ont pas eu de revalorisation à la hauteur. Il faut que des efforts soient faits pour ne pas oublier les puéricultrices, les infirmières, les agricultrices, les femmes de ménages, etc.

Nous connaissons les lois, il y en a 14 et elles ne sont pas appliquées. Si l’Etat veut nommer des administratrices/administrateurs judiciaires dans les entreprises pour contribuer à l’égalité salariale, c’est possible d’y arriver en six mois. C’est possible de l’appliquer aux administrations publiques aussi. Il ne s’agit que de volonté politique nationale, mais cela sera très compliqué avec ce gouvernement. Il faut que les syndicats se mobilisent.

Est-ce que vous menez des actions à un niveau international ? 

Il y a un adjoint qui est chargé des questions internationales et européennes, Arnaud Ngatcha. La Maire porte également ces sujets, c’est la première femme maire de Paris. Il y a eu beaucoup d’échanges avec des villes d’autres pays, notamment à travers le réseau francophone. Ce qui est intéressant pour nous, ce sont les mouvements en Europe, comme en Pologne où il y a des remises en cause des droits des femmes qui continuent, notamment le droit à l’IVG. Mais il y a aussi des avancées, avec des perspectives intéressantes avec l’Espagne. Nous sommes en lien avec des élues espagnoles, la Maire de Barcelone, par exemple. Mais il y a aussi des reculs des droits des femmes, en Afghanistan, aux USA etc. il y a heureusement des progrès dans les villes, et c’est intéressant pour nous d’avoir des contacts avec de grandes capitales, de grandes collectivités en Europe sur ces questions là. Concernant la traite des êtres humains, si nous n’avons pas de contact avec les autres pays européens, nous n’avons pas les outils pour comprendre le phénomène, les circuits, les différentes méthodes des réseaux criminels selon les législations nationales… Nous avons beaucoup de relations internationales concernant notre démarche « genre et espace public », nous avions besoin de regarder ce qu’il se passait dans d’autres collectivités et beaucoup sont venues voir les expérimentations parisiennes.

Paris est une ville phare sur l’égalité femmes/hommes, le violentomètre a été traduit dans plusieurs langues, par exemple, et cet outil a été repris à l’étranger. Et la Cité audacieuse est également un lieu identifié et attractif pour nos collègues et les organisations féministes du monde.

J’ai rencontré il y a quelques semaines une délégation du Réseau des Femmes Elues Locales d’Afrique (REFELA) qui regroupe des élues de différents pays d’Afrique. Leur volonté était de connaître les politiques menées en matière d’égalité à Paris. Ce type d’échanges est aussi enrichissant pour nous, notamment sur le lien entre les droits des femmes et la crise climatique.

Enfin, les Jeux Olympiques vont être un enjeu dans les deux années à venir et il va falloir construire des jeux respectueux des droits des femmes et « safe ». Nous allons parler au monde à ce moment-là, nos engagements doivent être clairs. En ce sens, nous tentons actuellement de réserver des endroits de l’espace public pour le sport des femmes, avec des programmes spécifiques. Sans ces programmes, les femmes ne font pas de sport dans l’espace public, seuls les hommes s’approprient les lieux en libre accès. Ce sont aussi des sujets que nous souhaitons aborder pendant les Jeux Olympiques, notamment avec les délégations étrangères.

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 Magazine

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