Articles récents \ France \ Politique Mar Merita Blat : « Notre objectif est de faire en sorte que le genre soit transversalisé à l’intérieur des différents projets que l’AFD mène »

L’Agence Française de Développement (AFD) finance et accompagne des projets de développement d’Etats, de banques de développement et d’ONG dans de très nombreux pays. Pour l’Agence, l’égalité entre les femmes et les hommes est une condition essentielle au développement durable. Mar Merita Blat est experte genre à l’AFD.

Quelle est votre mission à l’AFD ?

La mission principale de l’équipe genre de l’AFD est d’atteindre les objectifs fixés par la stratégie internationale de la France en matière d’égalité femmes/hommes 2018-2022 pour l’AFD, à savoir 50 % de projets CAD 1 ou CAD 2 en 2022 (1). Cette cible a été progressive entre 2018 et 2022 : nous avons d’abord démarré en 2018 avec une cible à 30 %. Il est important de préciser que la loi du 4 août 2021 sur le développement demande à ce que 75 % de l’Aide Publique au Développement (APD) soit CAD 1 et CAD 2 (dont 20% de CAD 2), ce qui signifie que le pôle genre continuera d’accompagner les équipes de l’AFD qui portent des projets de développement sur le genre avec les Etats, la société civile et les banques de développement.

Notre objectif est de faire en sorte que le genre soit transversalisé à l’intérieur des différents projets que l’AFD mène, tout en prônant aussi la mise en place de projets spécifiques sur la thématique. Cela peut se matérialiser à travers des projets classiques sur la santé ou l’éducation, avec la construction de projets spécifiques sur le genre (ex. de projets sur les droits et la santé sexuelle et reproductive ou les violences basées sur le genre), mais aussi avec des projets qui répondent à plusieurs enjeux, comme ceux qui traitent le lien entre genre et climat.

Concrètement, nous avons mis en place plusieurs outils, comme des formations, des boîtes à outils, des fiches pays ou encore des plans d’actions genre, et un membre de l’équipe genre est entièrement dédié au travail d’animation, de suivi et de formation des référent.es genre de l’AFD. Nous recensons aujourd’hui 142 personnes qui sont référentes genre au sein de leur division technique (santé, éducation, énergie, etc.) mais aussi au niveau géographique sur le terrain, tant dans les agences que dans les directions régionales. 

L’importance de créer des alliances stratégiques est également essentielle pour nous, car cela nous permet non seulement de cofinancer des projets conjointement mais aussi d’échanger sur des sujets techniques. 

Etant en charge des relations externes, je travaille avec différents partenaires techniques et financiers afin d’explorer les opportunités de cofinancement sur le genre, comme certaines banques de développement, telles que la Banque Mondiale, la Banque Interaméricaine de Développement, ou bien des bailleurs privés et philanthropiques comme la fondation Gates. En dehors de la recherche de cofinancements, nous travaillons beaucoup pour établir des échanges de bonnes pratiques sur nos sujets prioritaires. Par exemple, nous sommes en train d’approfondir les thématiques « genre et climat », « budgétisation sensible au genre » ou « lignes de crédits spécifique en matière d’égalité entre les femmes et les hommes ». 

En plus de ce volet partenarial, je suis responsable de la communication externe, de l’organisation de l’événementiel sur le genre et de la redevabilité vis-à-vis de nos tutelles, notamment de nos ministères français. 

Enfin, j’ai le plaisir de co-coordonner le Fonds de Soutien aux Organisations Féministes, avec d’autres collègues au sein de l’AFD et du ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères.

Comment définiriez vous la diplomatie féministe ? Est-ce que c’est quelque chose qu’il faut mettre plus en avant ?

La diplomatie féministe permet la poursuite de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les secteurs liés à la politique étrangère de la France. L’AFD s’est engagée en tant qu’agence féministe dans la lignée de la diplomatie féministe française, et cela a fait pleinement partie de nos engagements pour le FGE.

Être une agence féministe signifie selon moi également d’accepter d’être dans un processus d’apprentissage et d’amélioration continuel. Viser ce changement transformationnel suppose d’être toujours dans la déconstruction des mécanismes de domination patriarcale, tout en tenant en compte la réalité et le contexte dans lesquels nous travaillons. Avec cet auto-questionnement permanent, j’espère que nos actions auront plus d’impacts et d’effets de leviers pour réduire les inégalités entre les femmes et les hommes. Et c’est sûr qu’on ne finit jamais d’apprendre à ce sujet !

C’est extrêmement positif que la France se soit déclarée comme diplomatie féministe. Et pour l’AFD, c’est un moteur particulièrement important tant en interne, que dans notre dialogue avec les contreparties. Il s’agit d’une différence importante de positionnement, et pour laquelle nous nous inspirons des pratiques portées par d’autres bailleurs féministes comme le Canada, la Suède, le Mexique, l’Islande ou l’Espagne.

Pourriez vous me donner un ou deux exemples concrets de vos actions ?

En Centrafrique, dans le département santé, mes collègues suivent un projet qui me tient particulièrement à cœur, porté par la fondation Panzi, sur un centre d’accueil pour les victimes de violences sexuelles. Ce centre est directement inspiré de ce que le docteur Mukwege (2)  a mis en place en République Démocratique du Congo. Nous aimons beaucoup ce projet parce que nous sommes intimement persuadées que la coopération Sud-Sud peut permettre de résoudre énormément de choses. Il s’agit là d’un exemple très clair de comment un pays a pu inspirer un autre à travers un échange de bonnes pratiques. Ce centre d’accueil propose une approche holistique : nous travaillons le médical, l’accompagnement psychosocial, l’autonomisation et bien d’autres aspects avec les survivantes, à l’image de ce qu’a déjà construit le docteur Mukwege.

Le centre a ouvert ses portes fin 2019 et nous avons d’ailleurs profité de l’évènement organisé par Expertise France sur les violences basées sur le genre, le 9 Juin 2022, pour le mettre en avant. 

Nous nous sommes données la mission de répondre à toutes les demandes qui émanent du terrain et toutes, viennent des agences de l’AFD qui elles-mêmes dialoguent avec les Etats, et les associations sur le terrain.

En Amérique Latine, zone où nous avons moins de subventions et nous octroyons davantage de prêts de politiques publiques, nous avons un projet qui a été attribué en 2021 au gouvernement du Costa Rica sur la décarbonisation. Ce projet a intégré le genre à l’intérieur de ces composantes, réussissant ainsi à lier pleinement les thématiques genre et climat. 

Est-ce que vous pensez que le Forum Génération Egalité (FGE) qui s’est tenu en France en 2021 a été à la hauteur des ambitions affichées?

Je pense qu’ONU Femmes a eu raison d’organiser le FGE aux côtés du Mexique, de la France ainsi que de la société civile, et que celui-ci a eu une grande ambition. Au vu du contexte qui était celui de 2021 avec la COVID, le FGE a été très porté au niveau français, tant par le gouvernement que par la société civile. J’ai eu la chance de faire partie de l’équipe de mise en place du FGE au niveau interministériel et j’ai vu les efforts qui nous avons toutes et tous déployés au niveau national et international. Il me semble que le FGE a réussi son pari d’arriver à rassembler autour de la communauté internationale les acteurs/actrices qui étaient le plus investi.es. Malheureusement, je constate que cet évènement, malgré le fait d’avoir réussi à mobiliser 40 milliards d’€ pour les droits des femmes, n’a pas été repris à la hauteur de ce que l’on pensait au niveau médiatique.

Je compare souvent la cause de l’égalité femmes/hommes à celle du climat parce que pour moi ce sont deux urgences, toutes aussi importantes. Et nous avons souvent, et c’est très bien, entendu parler de la Conférence des Parties (COP). Par contre, personne n’entend parler de la Commission de la Condition de la Femme (CSW), alors que c’est l’équivalent de la COP en termes d’agenda international des droits des femmes… Je ne comprends pas pourquoi la CSW n’est pas plus médiatisée. Je pense que l’égalité femmes/hommes est un sujet politique qui n’est malheureusement pas suffisamment repris par les médias. Le FGE était vraiment un évènement qui aurait dû être plus mobilisateur.

Travaillez vous avec beaucoup d’associations et ONG féministes françaises ?

Dans le cadre de mes fonctions sur le Fonds de Soutien aux Organisations Féministes, j’ai l’occasion de travailler avec de nombreuses associations et ONG féministes françaises et du monde entier. L’objectif du Fonds est de financer les organisations féministes des pays de la coopération au développement de la France, surtout celles de petite taille travaillant sur les différents sujets en matière d’égalité femmes/hommes. Nous pouvons ainsi financer les organisations féministes françaises ou de toute autre nationalité travaillant dans ces pays. Par contre, il est à préciser que nous n’avons pas vocation à financer le travail des associations et ONG féministes en France. 

Parlez nous du Fonds de soutien aux organisations féministes

Un engagement a été porté lors de la présidence française du G7, en 2019, de financer les associations féministes des pays du Sud à hauteur de 120 Millions d’€. Et donc depuis la mi-2020 nous co-pilotons avec le ministère des Affaires Étrangères, le Fonds de soutien aux organisations féministes. L’objectif du Fonds est d’arriver à financer sur trois ans (entre 2020 et 2022) à hauteur de 120 Millions d’€ des associations, 65 % en Afrique et 35 % dans d’autre pays. Cet objectif a été rempli.

Par exemple, le projet « Féministes en action » porté par Care France a été octroyé fin 2020 avec 15 millions d’€, sur les droits et la santé sexuels et reproductifs, les violences basées sur le genre, l’autonomisation économique et l’accès aux droits. Ce projet concerne 30 pays dans le monde et financera pendant 4 ans de nombreuses organisations féministes sur le terrain. Le Fonds travaille sur un panel assez large de thématiques : des projets ont par exemple été octroyés sur genre et climat, sur l’emploi des femmes, sur l’éducation des filles, etc.

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 Magazine

(1)  Le marqueur genre est un indicateur développé par le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE afin d’évaluer la prise en compte du genre dans les ressources allouées au développement. Il se compose de trois valeurs :

CAD 0 : l’égalité femmes/hommes n’est pas ciblée dans le projet

CAD 1 : l’égalité femmes/hommes est un objectif significatif du projet

CAD 2 : l’égalité femmes/hommes est l’objectif principal du projet

(2) Chirurgien gynécologue de renommée mondiale et Prix Nobel de la Paix en 2018

(3) La Commission de la condition de la femme des Nations Unies dont la 66e édition a eu lieu du 15 au 22 mars 2022

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