Articles récents \ Monde \ Amérique latine Liliana Cardenas : « Le Mexique est un pays laïc qui doit respecter les droits fondamentaux des femmes dont les droits reproductifs »
En 2021, 3723 féminicides ont été dénombrés au Mexique. Le Mexique est considéré comme l’un des pays les plus dangereux au monde. La ville de Cuidad Juarez, célèbre pour ses 2.000 femmes mortes ou disparues, est baptisée capitale mondiale des féminicides. 98 crimes sur 100 restent impunis. Le pays occupait en 2021, la 140 ème place sur 163, dans le palmarès des pays pacifiques (Global Peace index). Les participant·es du Forum Génération Egalité qui s’est tenu au Mexique l’an dernier, se sont engagé·es à développer un féminisme intergénérationnel et intersectionnel, à œuvrer en faveur de l’égalité femmes/hommes et à lutter contre les violences. Liliana Cardenas est présidente de l’association Igualitari@s et vice-rectrice de l’Ecole Supérieure de Droit et de Sciences politiques de Mexico.
Comment est née Igualitari@s et quelles sont ses actions ?
L’Ecole Supérieure de Droit et des Sciences Politiques a développé un groupe de recherches sur le genre et les droits humains. En 2020, lors de la pandémie, nous avons créé la plateforme digitale Igualitari@s afin de diffuser la culture de l’égalité. Nous avons proposé un espace de réflexions et de partages pour traiter des violences et développer l’égalité sous forme de séminaires, conférences et lectures. Cette plateforme est ouverte à tou·tes et touche aussi bien les zones urbaines que rurales. Nous avons également organisé des conférences en collaboration avec d’autres pays comme le Salvador et le Costa Rica. Nous proposons de passer le diplôme, Etudes sur le genre, avec des possibilités d’obtenir des bourses et presque un tiers de nos candidat·es sont des hommes !
Comment expliquez vous cette violence systémique au Mexique ?
La violence de genre contre les femmes est un grave problème social et bien ancré, lié à la pauvreté, au manque d’éducation, à la crise économique, aux problèmes de drogue, d’alcool et à la corruption. Il existe une cécité généralisée. Il n’existe pas de volonté de développer une véritable culture de l’égalité en faveur des droits humains que ce soit par des programmes éducatifs que par des campagnes contre les violences. Des lois ont été votées, mais en réalité, elles sont restées couchées sur le papier et n’ont pas été appliquées en matière de respect, de protection et d’égalité. Des actions sur le terrain pour aider les victimes de violence ont bien été mises en place mais cela reste bien insuffisant. Créée il y a 15 ans après la ratification du Mexique à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) , la Banco Nacional de Datos e Informacion sobre Casos de Violencia contra las Mujeres ( BANAVIM) a élaboré des statistiques fiables qui ont permis de mettre en lumière que la violence de notre société prend racine au sein du noyau familial qu’elle soit psychologique ou physique. En mars 2022, cette institution comptait plus d’un million de données qui recensent le profil des agresseurs, les lieux des agressions, les types de violence, etc. Seul·es les fonctionnaires ont accès à ces informations.
Depuis les mouvements féministes comme #niUnaMas, #Metoo, #HastaSerEschuchadas, la chanson chilienne « Un violeur sur mon chemin » reprise dans les cortèges féministes du monde entier, y a t’il eu un changement des mentalités ?
La société mexicaine, ou du moins une partie, a pris conscience que les violences faites aux femmes ne sont pas un problème propre aux femmes mais de la société tout entière. Ces mouvements ont permis de libérer la parole, de témoigner, de dénoncer et de ne plus être isolées. La nouvelle génération défile dans les rues car les jeunes femmes ne veulent pas être abusées, violées, frappées ou assassinées comme leurs aînées. Une grande majorité des familles, les institutions, les autorités ne sont pas éduqués pour comprendre et aborder ces problèmes dans une perspective de genre. C’est pour cela que la plateforme Igualitari@s vise à déconstruire ces préjugés, à développer et à diffuser des informations sur le respect de l’autre. Le chantier est énorme…
Le Mexique a voté fin 2021 une loi qui autorise l’avortement. Une première dans un pays profondément catholique et conservateur. Que pensez-vous du retour en arrière de votre voisin, les Etats-Unis ?
Depuis notre indépendance, notre pays est séparé de l’Eglise. Le Mexique est un pays laïc qui doit respecter les droits fondamentaux des femmes dont les droits reproductifs. Il était temps que notre pays respecte la constitution. Les associations féministes mexicaines sont influencées par les groupes progressistes de France, d’Espagne, du Royaume-Unis et des Etats-Unis. Avec les juges conservateurs mis en place sous l’ère Trump, notre voisin a fait un bond en arrière. C’est lamentable…
Laurence Dionigi 50-50 Magazine
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