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Les performances des sportives à l'épreuve de leur sexe

Les catégories femmes/hommes régissent l’ensemble des disciplines sportives. Toutefois, les sportives doivent se conformer à certaines normes qui s’appliquent à la fois à leurs performances et à leur apparence physique. Ainsi, dès leurs premières participations à des compétitions durant le XXème siècle, le sexe de certaines d’entre elles a été questionné. Cela a conduit à la mise en place de contrôles de sexe à partir des années 80. 

Les résultats des contrôles de sexe de plusieurs sportives ont été très médiatisés depuis le début des tests dans les années 80. C’est notamment le cas des coureuses María José Martínez Patiño, Caster Semenya ou encore Dantee Chand. Toutes les trois ont lutté et luttent encore aujourd’hui contre les règles imposées par la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) et le Comité international olympique (CIO) concernant les contrôles de sexe. Comme l’explique l’entraîneur d’athlétisme Pierre-Jean Vazel, ces contestations reposent en partie sur le manque de fiabilité de certains tests, mais également sur un sexisme sous-jacent qui contraint les sportives à se conformer à certaines normes de genre. Les médias ont joué un rôle important dans la remise en cause du sexe des sportives, en alimentant les polémiques à leur sujet. Alors qu’il s’agit a priori de leur intimité, leur identité de sexe est débattue dans la presse, suscitant des commentaires parfois violents et déshumanisants. 

De María José Martínez Patiño à Dantee Chand : questionner le sexe des sportives selon des normes arbitraires

En 1980, la coureuse de haies María José Martínez Patiño intègre l’équipe d’athlétisme d’Espagne. Elle est d’abord soumise au test du corpuscule de Barr en 1983 lors des championnats du monde d’athlétisme d’Helsinki (Finlande). Ce test permet d’identifier la présence de deux chromosomes X. Les résultats lui permettant alors d’obtenir son certificat de féminité, généralement valable à vie. Mais elle oublie le document lorsqu’elle se rend aux championnats du monde universitaire de Kobe (Japon) en 1985, ce qui l’oblige à passer une nouvelle fois le test. Cette fois, les résultats indiquent l’absence d’un des deux chromosomes X, ce qui signifie que María José Martínez Patiño serait une personne intersexe. Par conséquent, elle ne pourrait plus concourir dans la catégorie femme. Elle est donc disqualifiée de la compétition. L’IAAF lui conseille de prétendre s’être blessée, ce qui lui permettrait de ne pas dévoiler les résultats du test au grand public (1).

Néanmoins, la coureuse de haies conteste la décision de l’IAAF et décide de poursuivre son entraînement afin de participer aux championnats nationaux d’athlétisme en 1986, où elle remporte le 60 mètres haies. Face à l’opposition de la sportive, les résultats de ses tests sont dévoilés dans la presse. En plus d’être évincée des compétitions, María José Martínez Patiño est humiliée publiquement. Elle est notamment accusée de triche, car son sexe biologique lui aurait donné un avantage sur ses concurrentes. Par la suite, elle ne parvient pas à réintégrer les compétitions. Elle choisit alors de s’orienter vers une carrière universitaire en devenant spécialiste des sciences du sport. Cette qualification lui permet d’intégrer les institutions sportives et d’être impliquée dans les discussions autour des contrôles de sexe. 

Au moment de la controverse autour du sexe de María José Martínez Patiño, c’est la notion de triche ou de fraude qui prévalait. Mais au fil du temps, la notion d’avantage physique est devenue de plus en plus centrale. C’est ce qui a contribué à la mise en place de nouveaux tests visant à déterminer l’éventuelle hyperandrogénie de certaines sportives, c’est-à-dire la production excessive d’hormones mâles dont la testostérone qui offrirait un avantage conséquent aux personnes concernées. 

C’est dans ce contexte que le sexe de la coureuse sud-africaine Caster Semenya est remis en cause lors de sa victoire aux championnats du monde d’athlétisme de Berlin en 2009. Sa performance est jugée hors-normes par rapport à celle de ses concurrentes, tout comme son physique qui ne serait pas assez « féminin ». Ces différents facteurs nourrissent des suspicions concernant son sexe et l’IAAF lui demande d’effectuer des tests afin de s’assurer qu’elle est bien une femme. Malgré une production de testostérone plus élevée que la moyenne, les résultats lui permettent de conserver sa médaille et de poursuivre sa carrière après une année de suspension. Pour le spécialiste des sciences du sport Ross Tucker (2), la Fédération Internationale aurait imposé un traitement chimique à Caster Semenya dans le but de faire baisser son taux de testostérone. Cette hypothèse permettrait de justifier à la fois la décision de réintégrer la coureuse mais aussi le temps qu’il a fallu avant que cette décision soit communiquée à la presse. Pour l’entraîneur d’athlétisme Pierre-Jean Vazel, ce traitement à été imposé à de nombreuses sportives dans la même situation que Caster Semenya et n’a pas été sans incidence sur leurs résultats mais surtout sur leur santé. 

Par ailleurs, la situation de Caster Semenya vient interroger les catégories de sexe et leurs limites dans le milieu sportif. Suite à cette controverse, l’IAAF choisit d’instaurer, en 2011, un seuil maximal de testostérone (10 nanomoles/litre de sang) pour les sportives. Mais le caractère arbitraire de cette décision conduit la coureuse indienne Dutee Chand, également concernée par l’hyperandrogénie, à se tourner vers le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) afin de contester cette décision. En 2015, le TAS suspend les contrôles de testostérone et demande à l’IAAF d’apporter des preuves scientifiques d’un avantage de certaines sportives sur d’autres induit par un taux de testostérone plus élevé. L’IAAF a deux ans pour apporter les preuves scientifiques de cet avantage. En juillet 2017, elle publie un rapport qui regroupe 2 000 données mettant en lien les meilleures performances de sportives et sportifs et leur taux de testostérone. L’étude permet à l’IAAF d’affirmer que les sportives qui ont un taux de testostérone plus élevé ont de meilleurs résultats dans certaines disciplines. Comme l’indiquent Anaïs Bohuon et Irène Gimenez (3) dans leur article, malgré de meilleures performances de la part de ces sportives, elles ne se rapprochent pas de performances masculines. Leur taux de testostérone plus élevé ne permet donc pas de justifier leurs exclusions de la catégorie “dames”. 

Néanmoins, en dépit des résultats peu probants de l’expérience, un seuil de testostérone est rétabli comme condition d’intégration des sportives dans la catégorie “dames” en novembre 2018. Dans le même temps, l’IAAF choisit d’abaisser ce taux maximal de testostérone, passant ainsi de 10nmol/L de sang à 5nmol/L de sang. Les sportives dépassant ce nouveau seuil sont, une nouvelle fois, contraintes de recevoir un traitement chimique afin de faire baisser la production de testostérone ou sont exclues des compétitions. Toutefois, cette nouvelle réglementation est rapidement suspendue. En 2019, Caster Semenya saisit le Tribunal Fédéral Suisse, remettant en cause la légitimité de cette règle, qui induit un traitement chimique qui peut s’avérer dangereux pour la santé des sportives. Aujourd’hui, le seuil de testostérone comme facteur déterminant concernant l’exclusion des sportives de la catégorie “dames” est toujours en discussion. 

Une remise en cause du sexe des sportives, une nouvelle manifestation des normes de genre

Dans un article intitulé “Caster Semenya en manque de féminité ?”, publié le 21 août 2009 dans Le Figaro, la journaliste Cécile Soler (4) écrit : “L’avance impressionnante avec laquelle Caster Semenya a franchi en tête la ligne d’arrivée de la finale du 800m dames, mercredi, rappelle celle avec laquelle Usain Bolt remporte parfois ses courses. Mais la comparaison s’arrête là entre le géant du sprint et la controversée athlète sud-africaine. Pendant que Bolt soulève l’admiration, Semenya déclenche surtout le malaise.” Ces propos permettent de souligner la place du sexisme dans ces polémiques autour du sexe des sportives. Comme l’indique Pierre-Jean Vazel, si Usain Bolt peut dépasser tous ses concurrents sans susciter l’étonnement des médias, il est très fréquent que le sexe des sportives dont les performances défient les normes soit questionné. Pierre-Jean Vazel ajoute que le taux de testostérone est souvent corrélé à la pratique sportive : un entraînement intensif et régulier contribue à une production plus élevée de testostérone. Si elle est valorisée voire félicitée lorsqu’il s’agit de sportif, elle interpelle quand cela concerne les corps féminins. Elles doivent ainsi être performantes mais pas trop, musclées mais pas trop et surtout, conserver des attitudes et une apparence féminine, afin de ne pas susciter de doutes concernant leur sexe. Comme l’explique Anaïs Bohuon, si la pratique sportive masculine est souvent centrée sur la performance, la pratique féminine reste encore régie par des normes physiques, même lorsqu’il est question de sport de haut niveau. 

Ainsi, la remise en cause du sexe des sportives ne repose pas seulement sur leurs bons, voire très bons résultats. Leur physique doit correspondre à des normes de genre. En effet, comme en témoignent de nombreux articles parus dans la presse à la suite au championnat du monde d’athlétisme de Berlin en 2009, c’est avant tout la musculature, la manière de courir ou encore la voix de Caster Semenya qui sont interrogées par les journalistes. Mais cela va plus loin : sa posture, sa coiffure ou encore sa façon de s’habiller sont également pointées du doigt. Ces différents éléments laissent à penser que le sexe d’un individu est déterminé par son apparence et que sortir des normes implique une remise en question du sexe. Ainsi, il est attendu des sportives qu’elles restent féminines, en dépit des efforts physiques qu’elles doivent fournir pour intégrer des compétitions de haut niveau. 

Emilie Gain 50-50 Magazine

1 BOHUON Anaïs, GIMENEZ Irène, « Performance sportive et bicatégorisation sexuée. Le cas de María José Martínez Patiño et le problème de l’avantage « indu » », Génèses, 115, n°2, 2019, p. 9-29.

2 HERVIEU Sébastien, « Et Dieu créa Caster Semenya », Le Monde, 13 août 2012.

3 BOHUON Anaïs, GIMENEZ Irène, op. cit.

4 SOLER Cécile, « Caster Semenya en manque de féminité ? », Le Figaro, 21 août 2009.

À lire aussi : Les performances des sportives à l’épreuve de leur sexe 1/2

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