Articles récents \ France \ Société Albane Gaillot : « Quand les droits des femmes progressent, c’est toute la société qui en bénéficie »

Députée de 2017 à 2022, Albane Gaillot est à l’origine de la loi Gaillot, promulguée le 2 mars 2022, qui porte notamment sur l’allongement du délai d’avortement de 12 à 14 semaines. Aujourd’hui, Albane Gaillot est chargée de plaidoyer au Planning familial. Elle lutte, entres autres, pour une meilleure éducation à la sexualité. 

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux droits des femmes et aux questions féministes ? 

J’appartiens à une génération où le féminisme était encore très discret. Après les années 1970, avec l’expansion de mouvements féministes qui avaient pris une dimension très importante au sein de la société, dans les années 1980-1990, ces mouvements ont eu moins d’écho. J’ai grandi à cette période et pendant mon adolescence, on n’était pas féministes. 

J’ai surtout été sensibilisée aux droits des femmes par les mouvements féministes actuels. Pendant mon mandat de députée, certaines associations m’ont alertée sur le manque de moyens pour lutter efficacement contre les violences conjugales et les féminicides. Elles ont également souligné le manque de volonté et d’initiative des politiques publiques. C’est de cette manière que j’en suis venue à travailler sur ces questions. 

Mon engagement féministe est aussi le résultat d’une rencontre. J’ai embauché une collaboratrice qui était militante féministe qui m’a beaucoup sensibilisée aux droits des femmes. Elle m’a beaucoup appris sur la culture féministe et m’a donné un regard féministe sur les politiques publiques. Nous avons travaillé ensemble sur ces sujets. 

Certaines lectures ont-elles également contribué à votre engagement féministe ? 

Une Chambre à soi de Virginia Woolf a été un livre très important pour moi. L’autrice porte un regard très intéressant sur la place des femmes dans la société et sur la charge mentale. Les femmes n’ont aucune place même dans l’espace privé. Tout est public, tout est familial, il n’existe aucun espace réservé aux femmes. C’est un ouvrage très puissant. 

Lorsque vous étiez députée, sur quels sujets en particulier avez-vous travaillé ? 

Pendant mon mandat, j’ai travaillé sur beaucoup de sujets liés aux droits des femmes. Notamment sur l’avortement. Je suis l’autrice d’une proposition de loi qui a été adoptée le 23 février 2022, qui prévoyait notamment l’allongement du délai de 12 à 14 semaines de grossesse et la suppression du délai de réflexion de 48 heures imposé aux femmes dans le cadre d’un avortement. Cette loi permet également aux sage-femmes de pratiquer l’IVG instrumentale et envisage la création d’un répertoire des professionel·les pratiquant l’IVG.

Les autres sujets sur lesquels j’ai travaillé concernent les violences faites aux femmes. J’ai défendu de manière récurrente le budget d’un milliard d’euros contre les violences lors des différents débats budgétaires. J’ai aussi travaillé sur la lutte contre la pornographie ou les violences faites aux enfants.

Aujourd’hui, quel regard portez- vous sur l’inscription du droit à l’IVG dans la constitution ? Aviez-vous déjà travaillé sur cette question au cours de votre mandat de députée ? 

Je n’ai pas travaillé sur ce sujet durant mon mandat. Les élu·es de la France insoumise et les communistes avaient déjà déposé une proposition de loi, mais elle n’avait jamais été débattue. Pour moi, il n’était pas nécessaire d’inscrire l’IVG dans la Constitution. Mais au fil des travaux que j’ai pu mener sur l’IVG pendant 2 ans et demi, je me suis rendu compte des difficultés que peuvent rencontrer les femmes, notamment des freins financiers mais aussi idéologiques qui pouvaient se présenter. Par exemple, le corps médical fait encore parfois obstacle à l’accès plein et entier à l’IVG aux personnes qui en ont besoin. De plus, l’abrogation de l’arrêt Roe v. Wade aux Etats-Unis a été une prise de conscience pour le monde entier. Je me suis dit : « Il faut que l’on agisse avant que cela ne se produise en France, avant que le danger soit là. » Donc je pense réellement que l’inscription du droit à l’IVG dans la constitution est notre meilleure garantie. Ce n’est pas la seule et l’inscription de ce droit dans la constitution ne garantira pas l’accès plein et entier à l’ensemble des personnes concernées, le manque de moyens sera toujours là, mais il nous faut une écriture claire, contraignante et une véritable garantie.  

Depuis quelques mois, vous êtes chargée de plaidoyer au Planning familial, quel est votre rôle au sein de l’association ?

Le/la chargé·e de plaidoyer est chargé·e de défendre ou de plaider une cause, la cause du Planning familial en l’occurrence, sur différents sujets. Je travaille notamment sur l’avortement, les violences et l’éducation à la sexualité. Il s’agit d’une création de poste, il y a donc beaucoup à faire et à apprendre. Plaider une cause requiert des compétences en communication, mais aussi des compétences juridiques et organisationnelles. Je suis notamment chargée des échanges avec les institutions et les pouvoirs publics, mais aussi avec la presse. 

Quels sont les prochains objectifs du Planning familial ? 

Nous avons beaucoup de travail à faire sur l’avortement. Nous avons passé une étape importante fin janvier lorsque le Sénat s’est montré favorable à l’inscription dans la Constitution de la liberté de recourir à l’IVG. Mais il y a encore des combats à mener, en particulier l’amélioration du texte de loi, ainsi que le suivi de la navette entre le Sénat et l’Assemblée, qui devrait conduire à un référendum.

Un autre grand combat du Planning familial est l’éducation à la sexualité. Le Planning familial est homologué pour former des intervenant·es. Nous avons un programme dédié à cette formation, le PRODAS. Nous sommes très sollicité·es, mais nous n’avons pas les moyens de répondre à toutes les demandes.

La loi de 2001 sur les cours d’éducation à la sexualité n’est respectée que par 15% des établissements scolaires. L’Etat et le gouvernement ont un rôle à jouer pour que cette loi soit respectée et le Planning familial lutte pour faire avancer ce sujet primordial. Dans certaines régions et certains établissements, outre des disparités territoriales dues au manque de personnes formées à dispenser ces cours, il y a des réticences concernant la mise en place des séances d’éducation à la sexualité voire un rejet. Des établissements veulent, par exemple, que les cours soient dispensés par des professeur·es internes à l’établissement, non des intervenant·es extérieur·es. 

Pouvez-vous parler des inégalités d’accès à l’IVG, notamment en zones rurales ?  

Certaines personnes ont plus difficilement accès à l’IVG. Cela est le fait de plusieurs problématiques liées aux disparités territoriales. Tout d’abord, il faut avoir accès à un médecin qui pratique l’IVG, c’est la première étape. Plus on se trouve en zone rurale, moins il y a de médecins, donc il y a moins de chance de tomber sur le bon médecin. En effet, le médecin généraliste peut faire une prescription pour une IVG médicamenteuse. Mais en zone rurale, ce médecin est souvent le médecin de famille, ce qui peut rendre la demande plus compliquée, surtout qu’il faut aller chez la/le pharmacien·nes pour obtenir le médicament : il peut être plus difficile d’avoir recours à l’IVG dans une zone rurale où tout le monde se connaît et où la confidentialité de l’avortement ne serait pas respectée. Cet exemple s’applique également à l’accès aux préservatifs ou à la pilule du lendemain. Les adolescent·es peuvent avoir honte ou être gêné·es de devoir se rendre à la pharmacie locale. Donc il y a à la fois des freins structurels et des freins sociaux. 

De manière générale, le monde rural peut produire davantage d’inégalités de genre. Si une autre solution pour avorter est de se rendre dans les centres hospitaliers de la préfecture, ils peuvent être situés assez loin du domicile des personnes qui souhaitent recourir à l’IVG. Les femmes ont souvent moins de liberté de mouvement, elles n’ont pas toujours accès à un moyen de locomotion qui pourrait leur permettre de se rendre dans ces hôpitaux. À l’adolescence, par exemple, les garçons sont plus nombreux à avoir des scooters que les filles. Par ailleurs, les femmes sont responsables du care. Lorsqu’il faut s’occuper d’enfants ou de proches âgé·es, ce sont souvent elles qui ont cette charge. C’est ce qui les conduit à rester plus proche de chez elles, et dans le cadre de l’accès à l’avortement, elles peuvent être confrontées à des barrières sociales : elles ne peuvent pas s’éloigner de leur lieu de vie car elles n’ont pas de moyen de locomotion ou parce qu’elles doivent s’occuper de leur entourage. 

Ces difficultés pour accéder à des médecins et à des soins ne concernent pas seulement les zones rurales. Aujourd’hui, la région Ile-de-France est considérée comme étant un désert médical et les femmes sont les plus impactées par cette situation. Accéder à un suivi gynécologique peut être compliqué faute de médecins. À cela s’ajoutent les violences obstétricales qui peuvent amener les femmes à renoncer à un suivi. 

Un accès inégal à l’information peut-il entraver les droits des femmes ? 

L’accès à l’information, c’est aussi l’accès aux droits. Les personnes qui sont très éloignées de l’information ont moins accès à leurs droits. Je ne connais pas d’études sur ce sujet, mais c’est un constat que l’on fait au Planning familial. Ainsi, plus on développe des moyens d’information, des cours d’éducation à la sexualité, des campagnes de prévention, plus les gens sont sensibilisés et ont accès à leurs droits. 

La communication, l’information et la prévention sont souvent négligées. En France, nous sommes dans le curatif plutôt que dans une politique préventive, notamment vis-à-vis des violences. Pourtant, on sait très bien que le préventif est très important. On le constate à travers l’éducation à la sexualité par exemple. Mais c’est en train d’évoluer, avec des sujets comme le consentement et le plaisir, il ne s’agit plus seulement d’évoquer la reproduction. C’est un pas important pour prévenir les violences. Mais il faut que ces cours soient généralisés et accessibles à tous·tes. Ce sont des sujets qui sont primordiaux. Cependant, comme nous l’avons évoqué, il y a de fortes résistances de la part de la société et des institutions. Quand Najat Vallaud-Belkacem a voulu mettre en place les ABCD de l’égalité, le gouvernement a fait face à une forte opposition et a dû renoncer. Les notions de genre et de sexualité sont des éléments fondateurs et fondamentaux si on veut comprendre l’autre, vivre dans une société apaisée. Il y a beaucoup de méconnaissance sur ces sujets et cela nous empêche d’avancer vers plus d’égalité. Quand les droits des femmes progressent, c’est toute la société qui en bénéficie. C’est pour cette raison que les plaidoyers ont aussi un objectif pédagogique. Le but n’est pas de convaincre les personnes qui ne connaissent pas un sujet ou qui en ont peur, il faut leur expliquer et leur donner accès à ces connaissances. Il faut accompagner et les rassurer. C’est un travail important et le Planning familial a un rôle à jouer dans ce processus. 

Quels sont les moyens de communication du Planning familial sur ces sujets ? 

Pour moi, il est nécessaire que le Planning familial développe sa présence médiatique et s’adresse aussi à des publics qui ne connaissent pas l’association ou la remettent en cause. Le lectorat de Médiapart ou de Libération est souvent déjà sensible aux valeurs que nous défendons. Si vous n’occupez pas l’espace médiatique, si vous laissez ces champs aux opposant·es, aux détractrices/détracteurs, ils utiliseront toujours la même rhétorique et il n’y aura jamais de réponse à ces prises de paroles. C’est pour cette raison qu’il faut prendre la parole, même sur des canaux qui sont a priori opposés à nos valeurs. 

Propos recueillis par Emilie Gain 50-50 Magazine 

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