DOSSIERS \ La diplomatie à l’épreuve du féminisme Répondre aux défis mondiaux à travers une politique étrangère féministe intersectionnelle et transversale

À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, l’Institut du Genre en Géopolitique souhaite mettre en avant la capacité de transformation et d’action de la politique étrangère féministe française. Face à la succession récente des crises mondiales qui a révélé la fragilité des avancées en matière de droits des femmes, notamment LBTI+, et de développement durable, la politique étrangère féministe doit incarner une stratégie humaine et inclusive pour garantir à toutes et tous un avenir égalitaire et démocratique. Pour ce faire, il faut redéfinir son essence, élargir ses orientations, la rendre systématique et former les représentantes et représentants du gouvernement.

Le genre, une notion omniprésente dans les crises mondiales

Les droits des femmes et des personnes LGBTI+ évoluent constamment, et sont particulièrement impactés par les perturbations mondiales telles que les guerres, les catastrophes environnementales, les pandémies, la pauvreté, les migrations et la montée des conservatismes. En ce sens, les droits fondamentaux de plus de la moitié de notre planète sont incertains et peuvent à tout moment être retirés.

Le cas de l’intégration des questions de genre dans la promotion de la paix et de la sécurité internationale est édifiant. En période de conflits, les violences et les inégalités endémiques contre les femmes et filles sont exacerbées. C’est donc le système qui doit être repensé au-delà d’un simple retour à la paix. En ce sens, il a été prouvé que la participation des femmes dans des rôles de négociation officiels ou par leurs actions à l’échelle locale augmente les chances d’une paix durable, d’une meilleure mise en œuvre des accords de paix et de reconstruction de la société. Adopter une approche qui prend en compte les femmes, leurs besoins, leurs perspectives et leur représentation politique, contribue à l’implémentation d’un modèle de société plus démocratique. Ce système de gouvernance admet généralement un plus large panel de priorités tout en étant sensible au respect des droits humains et à la lutte contre les discriminations et violences perpétrées contre les femmes, les personnes racisées, les minorités ethniques et les personnes LGBTI+.

En outre, l’accélération des changements climatiques et la multiplication des catastrophes environnementales ont des conséquences dévastatrices sur les femmes et les filles. Les récentes inondations au Pakistan ont provoqué une recrudescence des violences sexuelles, sanitaires et économiques envers les femmes et ont décuplé leur précarité. À cela s’ajoute leur mise à l’écart des instances de décision dans la gouvernance climatique, l’invisibilisation de leurs expériences et leur voix, et surtout la carence des réponses sexospécifiques apportées à ces phénomènes climatiques. En 2022, sur quelques 110 dirigeant·e·s présent·e·s à la COP 27, seules 7 étaient des femmes. Or, la question de la représentation des femmes dans les sphères de décision est cruciale pour favoriser l’adoption de politiques publiques favorables au climat.

À travers le monde, les droits des femmes sont un marqueur démocratique. La montée des autoritarismes et des conservatismes le démontre tout particulièrement, l’atteinte aux droits des femmes constitue un de leurs dénominateurs communs et le premier pas vers des dérives anti-démocratiques. Aucun continent n’est épargné, y compris les pays du Nord global où les droits fondamentaux sont considérés comme des acquis inaliénables. Dans ce contexte, la politique étrangère féministe de la France doit permettre d’élaborer des coalitions multilatérales de pays progressistes pour faire barrage au backlash conservateur actuel, et porter sur la scène internationale un contre-pouvoir positif de défense des droits humains.

Il est donc indispensable que la protection des droits humains sur la scène internationale soit une condition de sa politique étrangère. La France participerait ainsi à la démocratisation d’une approche féministe pour répondre aux défis mondiaux de notre époque de manière durable et inclusive. Enfin, en raison de l’interconnectivité des crises mondiales et de la transversalité du genre, la politique étrangère féministe de la France doit penser son action dans le cadre des objectifs de développement durable.

 

Repenser la politique étrangère féministe française pour garantir son efficacité

La politique étrangère féministe de la France constitue donc un outil de plaidoyer puissant et influent. Elle doit être consciente toutefois des biais qu’elle peut promouvoir, à savoir ceux d’une conception eurocentrée, hétéronormative et libérale du féminisme. L’expérience des inégalités de genre vécue par les femmes blanches n’est pas universelle, il est indispensable d’en avoir conscience dans le cadre de l’application d’une politique étrangère féministe. Pour accroître son impact et sa sensibilité aux évolutions de notre époque, l’approche de la France gagnerait à défendre officiellement l’intersectionnalité et le postcolonialisme.

Premièrement, la notion d’intersectionnalité invite à penser les femmes dans leur diversité et à prendre en compte la pluralité des discriminations qu’elles subissent en plus d’être une femme comme la classe sociale, la race ou l’orientation sexuelle. Elle permet donc d’inclure les femmes lesbiennes, bisexuelles, transgenres, et les personnes intersexuées assignées femmes qui demeurent trop souvent invisibilisées alors qu’elles sont davantage exposées aux discriminations et aux violences sexistes et sexuelles. De la même manière, les femmes non-blanches font face à des discriminations spécifiques à chaque culture, croyance et zone géographique. Il est impossible de protéger correctement les femmes et les filles des multiples discriminations auxquelles elles sont exposées si ces dernières ne sont pas prises en compte. Cette conception du féminisme garantit la reconnaissance des besoins des groupes traditionnellement marginalisés et incorpore la défense des droits humains d’une plus large population, ce qui n’est pour l’instant pas le cas.

Deuxièmement, l’action extérieure de la France questionne la légitimité et la justesse du point de vue porté par rapport aux personnes ciblées. De par son passé et ses rapports au continent africain, la France doit porter une attention particulière aux discours et aux programmes menés auprès de populations locales pour s’extraire d’une relation de domination et de rapports de pouvoir. Une politique étrangère féministe postcoloniale est donc sensible aux réalités du terrain et agit de concert avec les organisations féministes locales pour parvenir à l’égalité des genres et à la protection des droits des femmes et des filles. Face au sentiment anti-français grandissant dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, il en va de l’avenir des relations entre la France et ces États de s’extraire d’un système de mise en dépendance.

De nouveaux axes à développer pour une politique étrangère féministe vectrice de changements durables

En plus de prendre en compte les discriminations diverses que peuvent subir les femmes et les filles de part le monde, ainsi que les enjeux spécifiques aux pays du Sud global, la politique étrangère féministe de la France se doit d’être holistique. Alors que les efforts de la France dans les secteurs de l’aide publique au développement et de la diplomatie démontrent une réelle volonté de changement, il est indispensable d’investir tous les autres secteurs de l’action extérieure tels que le commerce, le numérique et les nouvelles technologies, l’armement ainsi que les enjeux de migration et de changement climatique.

La négligence des enjeux de genre dans ces secteurs, qui sont aujourd’hui concernés par des crises globales, affaiblit toute avancée en matière d’égalité. Cette approche segmentée est contre-productive et en désaccord avec l’ambition de la France d’être le fer de lance en matière d’égalité de genre.

Si elle veut être à l’origine de transformations structurelles et atteindre des objectifs de développement durable, la politique étrangère féministe de la France doit assurer leur financement via des programmes de soutien à la société civile et les rendre accessibles et adaptés aux besoins et compétences des organisations féministes. À cela s’ajoute la nécessité de promouvoir à l’échelle internationale l’adoption de politiques ambitieuses pour protéger les droits des femmes et garantir l’égalité de genre, ce qui doit aller de pair avec une exemplarité nationale.

Enfin, l’interdépendance des objectifs de développement durable rend nécessaire la collaboration active et transparente de l’ensemble des acteurs impliqués comme les secteurs public et privé, les organisations de la société civile et le domaine de la recherche.

Alors que la France rédige actuellement sa nouvelle Stratégie internationale pour l’égalité entre les femmes et les hommes, sa Stratégie internationale pour les droits LGBTI+, ainsi que la Revue Nationale Volontaire, il est crucial de rappeler que pour un avenir durable, inclusif et juste, il ne faut laisser personne pour compte.

Institut du Genre en Géopolitique

Photo de Une : ©Yona_Rouach_atelier

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