Articles récents \ Culture \ Arts Kiki Smith : artiste de la métaphore 

Kiki Smith

Kiki Smith est une artiste dont le travail retranscrit un engagement politique fort. Depuis les années 80, l’artiste n’a cessé de proposer de nouvelles œuvres, qui font souvent échos aux changements sociaux en cours. À travers ses œuvres, l’artiste américaine explore des thématiques telles que le corps et la sexualité féminin·es, ainsi que la nature et les mythes ou encore la vie et la mort.

Tout au long de sa carrière, qui a commencé au début des années 80, l’artiste a expérimenté de nombreux médiums, comme la sculpture, la peinture, mais aussi le dessin, la gravure ou la tapisserie. Son travail est reconnu depuis de nombreuses années aux Etats-Unis, mais c’est seulement à partir de 2019 qu’il a donné lieu à de remarquables rétrospectives en Europe. Une monographie lui est consacrée à la Monnaie de Paris fin 2019, une première en France. 

Les parents de Kiki Smith sont en voyage en Europe lorsqu’elle naît en 1954. Elle grandit dans le New Jersey, dans une famille d’artistes. Sa mère, Jane Lawrence, est chanteuse lyrique et actrice. Son père, Tony Smith, est pionnier de la sculpture minimaliste américaine. Dans une interview donnée en 2020 pour le magazine d’art Apollo, Kiki Smith souligne que le cadre familial dans lequel elle a grandi lui a permis de ne jamais questionner sa légitimité d’artiste. 

Une artiste engagée

En 1976, Kiki Smith s’installe à New-York, où débute sa carrière. Elle fréquente des artistes et des musicien·nes et participe au groupe Colab (Diminutif de Collaborative Projects Inc.), un collectif d’artistes, d’écrivain·es et de commissaires d’expositions, composé de 15 à 100 personnes selon les périodes. Elles/ils proposent un travail artistique alternatif, qui s’oppose à la tendance prédominante dans les années 70-80, abstraite et minimaliste, en mettant plutôt en avant des œuvres réalistes, inspirées du quotidien. Colab s’inscrit surtout dans une démarche politique. Le 1er janvier 1980, elles/ils organisent une exposition, nommée The Real Estate Show, dans un immeuble inoccupé de New-York. Leur but est de commémorer l’afro-américaine Elizabeth Magnum, tuée par la police lorsqu’elle s’est opposée à son expulsion de son appartement à Brooklyn quelques mois plus tôt. 

Kiki Smith expose seule pour la première fois en 1982, à The Kitchen, une galerie alternative new-yorkaise. Son engagement politique transparaît déjà à travers des œuvres qui dénoncent les violences faites aux femmes. À cette période, elle s’engage également dans la lutte contre le SIDA et l’absence de politiques publiques d’ampleur au début de l’épidémie. La maladie emporte plusieurs de ses ami·es artistes, ainsi que sa sœur en 1988. 

Depuis le début de sa carrière artistique, Kiki Smith n’a jamais cessé de créer et expose encore de nouvelles œuvres aujourd’hui. Les thématiques de ses travaux coexistent avec ses expériences. Elle aborde, par exemple, la ménopause, un sujet peu traité dans l’art et dans la société en général.

L’engagement de Kiki Smith passe notamment par la représentation des corps tels qu’ils sont, hors des normes sociales qui conditionnent ce qu’est un corps valide, apte à être représenté. Elle s’intéresse, par exemple, aux fluides corporels, allant du sang au vomi, en passant par l’urine. Elle aime également représenter les organes. Son travail s’inspire notamment de l’ouvrage d’anatomie d’Henry Gray. Kiki Smith choisit également des matériaux délaissés dans l’art, comme le verre, le papier ou la cire. 

Mythes, conte et spiritualité : des figures féminines réappropriées

À partir des années 1990, Kiki Smith se tourne vers d’autres thématiques, comme la nature, la mythologie et les contes. Elle se concentre surtout sur des figures féminines, avec la volonté de souligner le fait que les victimes de ces récits ne sont pas toujours si impuissantes qu’on veut le croire. En 2002, Kiki Smith met en évidence la victoire du Petit-Chaperon rouge et de sa grand-mère sur le loup à travers l’œuvre Born. La même année, elle crée l’installation Pyre Woman Kneeling, qui représente une femme à genou sur un bucher. À travers cette œuvre qui se réfère à la sorcellerie, Kiki Smith dénonce le fait qu’il existe peu de monuments à la mémoire des femmes assassinées. L’objectif de l’artiste était que cette œuvre devienne une sculpture d’art public, malheureusement son projet a été refusé. 

Aujourd’hui, Kiki Smith lutte pour l’écologie et la violation des droits humains, notamment ceux des femmes. Pour l’artiste, l’écologie est liée au patriarcat, qui établit la domination des hommes sur les femmes, mais aussi sur les enfants et la nature. 

Kiki Smith considère qu’elle fait partie d’une génération où les femmes artistes étaient presque une norme, après que d’autres comme Cindy Sherman ou Jenny Holzer aient ouvert la voie. Elle déplore cependant la disparité entre les artistes féminines et masculins exposé·es dans les musées. Kiki Smith reste néanmoins optimiste et se réjouit des progrès malgré les crises sociales que le monde traverse. Au cours de l’interview pour Apollo, elle exprime l’idée que la lutte contre le progrès, que l’on observe partout dans le monde, indique que celles et ceux qui s’opposent à ce progrès ont déjà perdu la bataille. 

Emilie Gain 50-50 Magazine

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