Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Pauline Kergomard, pédagogue, inspectrice de l’Ecole maternelle et militante féministe

Issue d’une famille de la bourgeoisie protestante bordelaise, Pauline Reclus souhaite s’émanciper par le travail: son brevet d’institutrice lui permet de venir à Paris. Après son mariage, les difficultés financières la poussent à présenter et réussir le concours de l’inspection primaire en 1879. Passionnée par la petite enfance elle invente des outils pédagogiques adaptés et des activités d’éveil. Dans le monde politique, Pauline Kergomard est dreyfusarde comme d’autres « hussardes noires » de la République. Sa passion pour l’éducation et ses publications professionnelles lui permettent de devenir en 1886 la première femme élue au Conseil supérieur de l’Instruction publique. Malgré son âge, elle continue ses activités pendant et après la guerre de 1914.
Pauline Reclus a dix ans à la mort de sa mère. Etant la plus jeune d’une fratrie de sept enfants, on l’envoie à Orthez où son oncle Jacques Reclus, pasteur, et son épouse avaient ouvert une école comportant une pension de jeunes filles. A l’issue du cycle scolaire, elle commence à donner des cours comme institutrice privée auprès de familles protestantes dans la région. En 1861 la jeune femme s’installe à Paris avec l’aide de sa sœur Suzanne. Elle rencontre dans ses relations des opposants au régime de Napoléon III. Elle y fait la connaissance de Ferdinand Buisson éminent pédagogue, de sensibilité républicaine.
Épouser un poète et «faire bouillir la marmite» !
Pauline fréquente les amis républicains du salon de sa soeur Noémie, dont Jules Kergomard natif de Morlaix et poète. Charmée, elle l’épouse malgré l’opposition de sa famille. Le couple a deux fils et très vite les difficultés matérielles s’accumulent, d’autant que Jules est peu actif. Pauline Kergomard .essaye de vivre de son enseignement et de sa plume. En 1879 elle ouvre un cours à Paris dans le Xème arrondissement. Sur les conseils de Ferdinand Buisson elle prépare et réussit l’examen d’aptitude à la direction puis à l’inspection des «Salles d’asile». Ce terme définit les lieux où sont reçu·es les enfants entre deux et six ans (1). Elle visite des écoles dans toute la France, rédige des rapports. Les longs voyages en chemin de fer deviennent son quotidien…
Face au ministère de l’Instruction publique.
En 1881 elle expose au ministère ses remarques et ses objectifs afin de réformer l’école maternelle. Il faut «des locaux réglementaires et un personnel suffisant et formé». Elle insiste sur la mixité dans les classes pendant la petite enfance. Parallèlement elle exerce son influence à travers la presse pédagogique, surtout dans un organe bi-mensuel L’Ami de l’enfance publié par les éditions Hachette. Au fil des articles elle développe sa doctrine pédagogique si bien qu’une de ses amies, Caroline de Barrau, la pousse à poser sa candidature au Conseil supérieur de l’Instruction publique. Pauline Kergomard est élue en décembre 1886, c’est la première femme en France qui entre dans cette institution.
De la cause des enfants à celle des femmes !
Pauline Kergomard, pleine d’enthousiasme, crée avec Caroline de Barrau une association L’ Union française pour le sauvetage de l’enfance (UFSE) qui vient en aide aux enfants et adolescent·es en souffrance. Elle reçoit le soutien de son réseau républicain, dont celui de Jules Simon qui porte un intérêt certain à l’école primaire aux côtés de Jules Ferry. L’UFSE pour être efficace doit s’entourer de policiers, d’avocats, de procureurs. Pauline Kergomard et Caroline de Barrau savent qu’il convient de soustraire les enfants aux dangers qui les menacent : elles œuvrent pour trouver des placements aux enfants en situation de maltraitance. L’action privée pallie ainsi les carences de l’Etat à cette époque; à la fin de la décennie 1880 l’UFSE se déploie aussi en province, grâce à un réseau de correspondant·es et des abris provisoires sont trouvés en attendant le placement des enfants dans des familles rurales. L’UFSE s’investit aussi auprès des enfants incarcérés pour délit de vagabondage (au-dessus de l’âge de 12 ans). L’association fait pression sur les pouvoirs publics pour obtenir une amélioration de la législation sur le travail des enfants. En 1897, la loi interdit le travail des enfants de moins de 13 ans, âge auquel s’arrête l’obligation scolaire (mise en place en 1881).
Dans les années qui avaient précédé, elle avait été influencée par les idées de sa sœur Noémi qui venait de fonder avec André Léo (nom de plume de Léodile Béra) la Société de revendication des droits de la femme, juste avant la guerre de 1870. Des conférences et des réunions publiques commencent à s’organiser, une des oratrices les plus énergiques est Maria Deraismes (1828-1894), membre de la franc-maçonnerie. C’est l’époque où naissent les fondements du féminisme républicain réformiste de la Troisième république. Pauline Kergomard en vient à s’engager dans le féminisme. Elle est probablement motivée par des raisons personnelles, car elle évolue professionnellement dans un milieu essentiellement masculin dans la haute administration. Candidate au Conseil supérieur de l’instruction publique, elle est élue en décembre 1886 ce qui ne va pas sans susciter des jalousies de ses collègues masculins au ministère.
A la fin du XIXème siècle des congrès internationaux se déroulent lors des Expositions Universelles : Pauline Kergomard participe en 1889 au Congrès des œuvres et institutions féminines présidé par Jules Simon, et y fait la connaissance de Marie Curie. En 1900 elle est présente au Congrès de la condition des femmes. Elle est co-créatrice auprès de Julie Siegfried, de Sarah Monod et de Ghénia Avril de Sainte-Croix du Conseil national des femmes françaises en 1901, où elle est très active comme présidente de la section d’éducation. Julie Siegfried et Sarah Monod sont issues de la mouvance protestante, mais Pauline Kergomard s’est éloignée du protestantisme et se rapproche plutôt des libres-penseurs.
Des engagements multiples
L’affaire Dreyfus éclate en 1894, embrase l’opinion publique. L’article de Zola J’accuse paraît en 1898. Ces années sont marquées par une mobilisation intense des intellectuel·les. Du côté des femmes évoluant dans les carrières de l’enseignement, l’affaire remet en question la manière dont l’école républicaine fonctionne. C’est aussi une injonction à sortir des salles de classe et à participer au mouvement d’éducation populaire qui se fait jour alors. En 1898 elle crée dans son quartier à Paris XIVème une Université populaire avec quelques ami·es, qui se réunit rue Froidevaux et recrute des conférencier·es. Pauline Kergomard se trouve dans la mouvance des «hussardes noires» dreyfusardes comme Marie Baertschi-Fuster (agrégée de lettres, professeure et oratrice républicaine) et Mathilde Salomon (directrice du Collège privé laïque Sévigné à Paris). Ses deux fils étudiants en Sorbonne se sont vite engagés auprès des dreyfusards lors de la révision du procès.
Elle continue son engagement auprès de l’UFSE et participe à d’autres associations de secours à l’enfance: le patronage des écoles publiques créé en 1889, l’Œuvre des vieux vêtements en 1890, la Société contre la mendicité des enfants en 1892.
Jusqu’au cœur de la guerre de 1914
Séparée de son époux en 1894, Pauline Kergomard continue à mener une vie sociale intense, tout en s’occupant régulièrement de ses deux fils et de ses petits-enfants. Son activité au ministère de l’Instruction publique lui permet d’étendre son réseau de relations : elle tient à Paris un salon hebdomadaire et reçoit des membres du régime républicain: au moment de l’affaire Dreyfus ce fut aussi un lieu de discussions passionnées !
Très affectée par l’assassinat de son ami Jaurès à l’été 14, elle coopère très tôt à la défense nationale s’occupant d’enfants désœuvré·es du fait de la désorganisation consécutive à la déclaration de guerre. A Paris, elle se met vite à la disposition du Maire du XIVème arrondissement pour la sauvegarde des enfants, et s’occupe des garderies du Secours National. Elle travaille sans relâche, reprend ses tournées d’inspection afin d’expliquer aux institutrices comment adapter leur enseignement au contexte de la guerre. Elle prend sa retraite de l’Instruction publique à 79 ans. Déjà fort affaiblie, bien que s’intéressant à divers congrès, elle est terrassée par une embolie et reste paralysée jusqu’à la fin de sa vie en février 1925. Lors de ses obsèques au cimetière parisien de Bagneux, Ferdinand Buisson prononce son éloge funèbre avec une forte émotion.
Cent treize écoles portent le nom de la pédagogue et quelques rues, un timbre postal lui est dédié le 8 mars 1985, avec la mention «hommage aux femmes», mais sa vie et son œuvre demeurent mal connues des professeur·es.
Catherine Chadefaud Agrégée d’Histoire, Secrétaire générale de l’association Réussir l’Egalité Femmes-Hommes