Retraites Quand l’égalité juridique débouche sur une inégalité en pratique

Louis Maurin est directeur de l’Observatoire des inégalités , un organisme indépendant d’information et d’analyse sur les inégalités. Dans cet entretien exclusif pour ÉGALITÉ, il fait le point sur la réforme des retraites.

Pourquoi est-ce que les retraites sont inégalitaires pour les femmes ?

Aujourd’hui, au moment du départ en retraite, les femmes perçoivent une pension inférieure de 42 % à celle des hommes en moyenne. Cet écart reflète les inégalités du monde du travail. Les filles suivent des filières plus généralistes qui conduisent souvent à des emplois moins valorisés financièrement. De manière générale, les femmes touchent 27 % de moins que les hommes en équivalent temps plein. Si l’on tient compte des différences de poste, d’expérience, de qualification et de secteur d’activité, environ 10 % de l’écart demeure 0e plus un grand nombre d’entre elles ont des carrières incomplètes, liées notamment à la maternité. Et le temps partiel est essentiellement féminin : cela concerne un tiers des femmes. Pour une partie d’entre elles, notamment dans la fonction publique, ce temps partiel est certes choisi. Mais d’après l’Insee, 9 % des femmes salariées sont en situation de temps partiel subi contre 2,5 % des hommes. Certes, l’espérance de vie plus longue des femmes compense un peu le montant total de retraite touchée au final, mais les inégalités demeurent.

La réforme actuelle risque-t-elle d’aggraver ces inégalités ?

En théorie, le système de retraite est quasiment neutre selon le sexe, et la réforme n’y change pas grand-chose au fond. Sauf que cette égalité juridique débouche sur une inégalité en pratique. Le report du départ en retraite à taux plein de 65 à 67 ans est particulièrement défavorable aux femmes. Comme elles ont eu davantage des carrières interrompues, elles seront plus nombreuses que les hommes à devoir travailler jusqu’à 67 ans pour pouvoir toucher une pension à taux plein.

Cependant, la mesure la plus inégalitaire à mon sens de la réforme est le report de l’âge légal – celui auquel on a le droit de partir à la retraite – de 60 à 62 ans. Dès à présent, l’inégalité est déjà très forte pour ceux qui ont cotisé le nombre de trimestres nécessaires avant leur soixantième anniversaire, souvent dans des métiers très difficiles, peu qualifiés, dont la pénibilité n’est pas reconnue, et qui sont contraints par la loi à continuer à travailler. La réforme prévoit donc qu’ils soient condamnés à attendre d’avoir 62 ans et à cotiser parfois bien au-delà de quarante-deux ans. Beaucoup de femmes peu qualifiées sont concernées, c’est plus grave que le passage à 67 ans.

Que faudrait-il faire pour que les retraites soient moins inégalitaires ?

Dans l’idéal, il faudrait repenser le monde du travail et la société tout entière ! Son système hiérarchique, hyper concurrentiel, dont le rythme rend compliqué l’articulation avec le temps nécessaire aux soins des enfants. Mais pourquoi est-ce toujours les femmes qui les prennent en charge – notamment dans les moments les plus ingrats…  Autant de travers qui expliquent en partie le choix du temps partiel par des femmes – des hommes aussi, parfois ! – qui ne se retrouvent pas dans ces valeurs.

Mais c’est un vaste programme qui risque de ne jamais aboutir… En attendant, il faudrait que le système de retraite valorise mieux les périodes d’interruption de carrières. La réforme prévoit de comptabiliser comme salaires les indemnités journalières perçues lors des congés de maternité. C’est une première avancée, mais il faut aller plus loin. Par ailleurs, il faudrait raisonner en terme de durée de cotisation et non d’âge légal de départ à la retraite afin de réduire les inégalités pour ceux et celles qui ont commencé à travailler tôt.

Il faut parallèlement mieux prendre en compte la pénibilité. Les métiers qui aujourd’hui « usent » le plus ne sont plus ceux qui permettent de partir le plus tôt et de profiter de sa retraite le plus longtemps. Et dans ces métiers, on trouve de plus en plus de femmes. Par exemple, il y a 850 000 employées de commerce en France, des caissières, des vendeuses dont le métier est pénible physiquement. 120 000 d’entre elles ont entre 50 et 59 ans. On ne peut pas séparer les inégalités de genre et les inégalités sociales.

L’Observatoire des inégalités www.inegalites.fr

Claire Alet  EGALITE

print