Société Par-delà les voiles, des femmes engagées
Elles sont féministes et musulmanes et revendiquent le droit à vivre pleinement leur spiritualité et leur citoyenneté. Rencontre avec Al Houda, association de femmes musulmanes de Rennes.
Qui sont les femmes d’Al Houda ?
Il n’y a pas de profil type. Elles ont entre 18 et 65 ans et sont plutôt étudiantes ou actives, toutes catégories socioprofessionnelles confondues. L’association a été créée en 1995 par des femmes qui voulaient réfléchir sur leur engagement spirituel ainsi que sur leur place dans la société. Aujourd’hui les membres d’Al Houda forment une mosaïque de toutes les cultures ; elles sont originaires de tous les pays, issues de familles musulmanes ou pour certaines converties récemment. Elles se sentent avant tout françaises et leur démarche est de vivre pleinement leur spiritualité en lien avec leur citoyenneté. Al Houda défend des valeurs universelles qui transcendent les religions et les clivages ethniques. En aucun cas, on a le monopole de représenter l’ensemble des femmes musulmanes de Rennes ; on représente une certaine catégorie, celles qui adhérent à l’association.
Quelles sont les actions d’Al Houda ?
Des actions d’information, de soutien des femmes dans leur citoyenneté, dans leur pratique religieuse et dans leur spiritualité par des rencontres en petits groupes mais aussi des conférences ouvertes à tous, des prises de position selon l’actualité. À partir du moment où il y a quelque chose qui est discriminant pour les femmes, on le dénonce. Al Houda essaie d’être présente dans certains collectifs, notamment Une école pour toutes ou France-Palestine mais travaille aussi sur les questions du commerce équitable. Hélas, on se retrouve assez souvent confrontées à des préjugés ; en tant que femmes musulmanes on pense qu’on n’est pas capables de travailler sur des sujets féministes et l’association se trouve parfois rejetée.
Vous dites qu’on peut être musulmanes et féministes ?
Bien sûr ; ce n’est pas antinomique. Le fait de se retrouver entre femmes ce n’est pas exclure les hommes, c’est juste que dans certaines situations on préfère rester entre nous. Être féministe, c’est penser par soi-même. Ensuite, on peut travailler avec les autres. Mais il n’y a aucune opposition au sexe masculin ; la démarche n’est pas du tout sexiste. Être musulmane c’est avoir une spiritualité, croire en un dogme. Être féministe, c’est avoir une démarche de justice. La domination masculine est présente dans toutes les sociétés à différents degrés selon les traditions et selon les cultures. Il peut y avoir une justification de la domination masculine par le religieux. Mais il faut aussi rappeler que chaque mois quinze femmes meurent sous les coups de leurs conjoints, qu’à l’Assemblée nationale la parité n’est toujours pas respectée, que les femmes sont toujours discriminées vis-à-vis des retraites… Il y a des positions, des discours publics sur les femmes qui sont machistes. À partir du moment où on considère que la domination masculine existe, il faut lutter contre par différents moyens, c’est-à-dire soit par le discours soit par des actions et notre action est de dénoncer tout ce qui peut être opprimant pour les femmes. Par exemple, nous luttons contre certaines traditions qui peuvent être archaïques ou machistes comme les mariages forcés, les violences faites aux femmes…
Quelle position avez-vous prise dans le débat sur la loi contre le port de la burqa ?
Nous pensons que ce débat était stérile et n’a fait que renforcer des clichés, des stéréotypes dont souffrent déjà les femmes musulmanes. C’est tout un inconscient, un racisme latent qui a pu s’exprimer. Aujourd’hui la société française est cosmopolite, elle est multiculturelle et multiconfessionnelle. Le but de toute société c’est de vivre ensemble ; si nous n’avons plus de valeurs communes comme la justice, l’égalité, la liberté, ça commence à devenir inquiétant pour la démocratie. Le projet de loi contre le port de la burqa a libéré des peurs et avec elles des insultes et toute une « lepenisation » de la société française. Même les filles bretonnes de souche, avec toutes les traditions bretonnes familiales, qui sont converties à l’islam s’entendent dire aujourd’hui dans la rue « Retourne dans ton pays ! »
Al Houda a eu une double démarche. Nous avons pris position contre la loi et participé à des débats, car il nous semble que tout est déjà écrit dans la Déclaration des droits de l’homme. Mais parallèlement, nous avons essayé d’expliquer aux femmes et aux jeunes filles qu’il s’agissait de traditions et non pas de religion, d’ailleurs le port de la burqa est interdit à La Mecque. Nous veillons à apporter une formation, des connaissances aux femmes pour qu’elles puissent s’épanouir au niveau spirituel sans tomber dans tout ce qui relève des extrémismes. Nous voulons donner les moyens à toutes les femmes à travers la connaissance de pouvoir répondre en distinguant ce qui est de l’ordre du religieux et ce qui est de l’ordre de la tradition. Ce que nous avons regretté dans ces débats, c’est qu’une fois encore les femmes étaient instrumentalisées. On en a fait des objets parlés et non des sujets parlants. Elles étaient les premières concernées et on ne leur a jamais donné la possibilité de parler.
Propos recueillis par Geneviève ROY ÉGALITÉ