Publications jeunesse : une égalité à bâtir « L’inflation de beaux livres masque la reproduction des clichés sexistes »
Entretien avec Laurence Faron, co-fondatrice des Éditions Talents hauts. Créée en 2005 par Laurence Faron et Mélanie Decourt, cette maison d’édition défend deux lignes éditoriales : la lecture bilingue français/anglais sans traduction et la lutte pour l’égalité des sexes.
Pourquoi avoir choisi la lutte pour l’égalité des sexes comme ligne éditoriale des Éditions Talents hauts ?
Le sexisme n’a pas disparu de notre société, il n’a pas non plus disparu des livres de jeunesse. On peut même dire que les choses se dégradent. L’inflation de beaux livres, luxueusement illustrés masquent d’autant mieux l’indigence des textes et la reproduction irréfléchie des clichés sexistes.
Plus de héros que d’héroïnes, des filles dociles et passives, des symboles féminins liés à la coquetterie et au travail domestique, des modèles d’adultes d’un autre temps, des super-héros irréalistes. Des poncifs que l’on trouve encore dans beaucoup des albums destinés aux plus jeunes.
Nous avons choisi de nous placer sur le même terrain que nos concurrents en publiant des livres aussi beaux et des histoires aussi prenantes que les leurs mais qui dénoncent – souvent avec humour – sexisme et racisme, sensibilisent au débat, mettent en scène des contre-modèles.
L’éducation anti-sexiste commence donc dès le plus jeune âge ?
Les livres pour enfants véhiculent des stéréotypes sexistes et on n’insistera jamais assez sur le poids que prennent les histoires lues par un adulte de confiance (parent, éducateur…) à l’âge d’avant la lecture autonome.
Dans notre collection d’albums « Pour les filles ET pour les garçons », qui s’adresse au 3-7 ans, les héros peuvent être des héroïnes, les mamans sont des femmes d’aujourd’hui qui travaillent et les hommes des papas modernes qui s’occupent de leurs enfants, les filles ne sont pas au bois dormant et les garçons ne sont pas les seuls à chasser le dragon…
Et pour les plus grands ?…
Les mêmes écueils guettent les jeunes lecteurs et lectrices d’âge scolaire : aux filles, les histoires de jeunes filles parfaites et dociles ou de futures femmes-objets, aux garçons les super-héros hors d’atteinte, les rôles de « grands » frères et les métiers valorisants ; il y a peu de place dans la littérature de jeunesse pour des modèles féminins positifs, actifs, des hommes sensibles ou des garçons différents.
Notre collection « Livres et égaux » s’adresse au 6-12 ans. Dans ces romans les mères peuvent être maires et les pères des pères au foyer, les garçons peuvent jouer à la cuisine et ont le droit de pleurer, les grenouilles battent les crapauds à plate couture, et les squaws sont cheffes de tribu…
Vous avez lancé récemment une collection destinée aux adolescents…
Effectivement. Depuis fin 2010 nous publions une série de huit romans de Florence Hinckel dans la collection « Ligne 15 » dont le fil conducteur est l’égalité des filles et des garçons.
On a coutume de penser qu’à l’adolescence, le mal est fait et que la lutte contre le sexisme à l’œuvre dans les collèges est une cause perdue. En admettant qu’il soit trop tard, cela ne justifie pas la publication d’ouvrages qui renforcent l’image dégradée des filles, le diktat d’invincibilité des garçons et, de façon générale, le renforcement par le livre des stéréotypes de genre.
Propos recueillis par Catherine Capdeville – ÉGALITÉ