Culture « Les hommes ont beaucoup à gagner avec l’égalité »
Pierre-Yves Ginet est photojournaliste. Depuis vingt ans, il photographie les femmes et accompagne les expositions de ses photos pour faire comprendre leurs combats.
Parlez-nous de votre engagement aux côtés de femmes…
Plus jeune, je n’étais pas militant de l’égalité entre les femmes et les hommes, je ne me sentais pas concerné. Je viens d’un milieu qui pensait que la solution aux problèmes du chômage était le retour des femmes au foyer. J’étais comme 90 % des mecs, je me disais que les femmes avaient déjà obtenu beaucoup.
Au départ, j’étais analyste financier. Je me suis peu à peu intéressé à la photo et j’ai été le premier mec de Hewlet Packard France à passer à temps partiel annualisé car je voulais partir faire de la photo dans le monde entier.
Depuis quand photographiez-vous les femmes ?
Mon premier sujet sur les femmes traite du Tibet. Avant 1991, je faisais des photos en touriste. Mon regard a changé après ce reportage.
De 1991 à 2001, je me suis spécialisé sur le Tibet. Je travaillais notamment sur les prisonniers politiques et en analysant ce sujet, je me suis rendu compte que les femmes représentaient 30 % des prisonniers. Des nonnes, pour la plupart. Entre 1992 et 1997, elles ont organisé la moitié des manifestations alors qu’elles sont beaucoup moins nombreuses que les moines. Elles ne font pas partie de la hiérarchie, sont déconsidérées et pourtant elles prennent de nombreux risques. J’ai donc travaillé sur les nonnes pendant quatre ans.
Le début d’un engagement ?
Je me sentais bien dans ce travail avec les nonnes mais je pensais à d’autres sujets, aux femmes en noir ou à la Birmanie et à Aung San Suu Ky. Et j’ai ouvert un peu plus les yeux.
A partir de 1998, j’ai travaillé sur les femmes en résistance et je n’ai plus jamais touché à un autre sujet.
J’ai travaillé dans une vingtaine de pays. En Argentine avec les Mères de la place de mai, en Israël auprès des femmes qui vont sur les check points pour vérifier que l’on respecte les droits des Palestiniens…
Je refuse de ne parler que des femmes victimes, je veux aussi parler des femmes qui se battent.
J’aborde des sujets dont on ne parle jamais, comme les 300 000 femmes stérilisées de force au Pérou entre 1995 et 2000. Ou des sujets que j’appréhende sous un angle différent de ce qui est décrit habituellement. Par exemple les femmes du Darfour, qui sont systématiquement dépeintes comme victimes alors qu’elles seules sortent des camps, elles seules gagnent de l’argent. Il n’y pas jamais un mot, jamais un article sur le courage de ces femmes.
Quel reportage vous a le plus marqué ?
C’est au Rwanda. C’est un pays magnifique, doux. Au lendemain du génocide, 70 % des adultes étaient des femmes.
La rencontre qui m’a le plus marqué c’est celle avec Dafrose, il ne lui reste qu’une fille, et c’est une enfant d’un viol. Elle est marquée physiquement mais elle sourit. On n’a pas assez dit que ce pays était reconstruit par des femmes.
Vous travaillez aussi à l’égalité entre les femmes et les hommes ici, en France ?
Je vais dans les lycées et les collèges, je parle de mes rencontres. J’accompagne les jeunes dans les expositions que je fais, je raconte les histoires qui vont avec les photos.
Un jour un gamin de cinquième est venu me dire : « Monsieur, il faut être con pour battre sa femme. »
Ce sont eux, les jeunes, qui arrivent aux questions d’égalité entre les femmes et les hommes, plus vite que les adultes.
Quel est le public de vos expositions ?
Au début d’une exposition, on a 80 % de femmes, pas toutes jeunes. Puis le public se rajeunit et se masculinise. Les mère amènent leur filles puis leur mari, puis leur fils et les fils, leurs copains.
J’ai bien conscience que le fait que je sois un homme rajoute à l’intérêt du public. La première question que l’on me pose est toujours : « Pourquoi avez-vous fait ce travail, vous, un homme ? »
A la fin de mon exposé tout le monde est d’accord pour dire qu’on serait tous gagnants avec l’égalité entre les femmes et les hommes. Ça va nous demander des adaptations, des changements mais les hommes aussi ont beaucoup à y gagner.
Propos recueillis par Caroline Flepp – EGALITE
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[nggallery id=6]Bibliographie :
Femmes en résistance, recueil de photographies et textes 280 pages, 191 photos
Préface de Taslima Nasreen,
Femmes kurdes de Turquie, Clara Magazine – 2004
Tibet en exil, mythes et réalités, Golias – 2000
Ladakh, lumières tibétaines, Points de Suspension – 1999
L’exposition Femmes en résistance sera à Roanne du 5 février au 7 mai 2011