Révolutions arabes : quels enjeux pour les femmes ? « L’adoption d’un scrutin uninominal aurait été une catastrophe pour les Tunisiennes »

Françoise Gaspard © Claude Servan Schreiber

Françoise Gaspard, ancienne parlementaire et experte du comité des Nations unies pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes (Cedaw) a répondu à nos questions à son retour de Tunisie. Elle s’y est rendue fin mars dans le cadre d’une mission de l’Union interparlementaire.
Créée en 1889, forte de ses 155 membres, l’UIP œuvre pour la paix et la coopération entre les peuples et l’affermissement de la démocratie représentative. Elle est particulièrement active en ce qui concerne la représentation des femmes.

Vous êtes récemment partie en Tunisie dans le cadre de l’UIP ? Que fait cet organisme en direction des femmes ?

L’UIP sensibilise les parlements – et notamment les femmes parlementaires – à leur rôle en ce qui concerne la mise en œuvre de la Cedaw. Elle intervient également dans les situations de transition, lorsqu’un pays rédige une nouvelle constitution et adopte de nouvelles lois électorales, à la dimension du genre. J’ai ainsi, entre 2001 et 2003, participé à une mission qui a contribué à l’introduction dans la constitution rwandaise du concept de parité, de l’application dans le droit national des conventions internationales et de la Cedaw. Aujourd’hui le Rwanda est le premier pays au monde, avant la Finlande et la Suède, pour le nombre de femmes élues dans son parlement, avec 56% en 2010.

Que souhaitent les Tunisien-ne-s aujourd’hui ?

Le moment est étonnant, il y a un fort sentiment de liberté, de libération. Mais les militants-e-s sont épuisé-e-s, et préoccupé-e-s. Tout le monde s’inquiète de la situation économique du pays, et entre autres d’un fort ralentissement du tourisme. Il est donc essentiel que le pays sorte de cette phase de transition et se dote d’institutions démocratiques.

Quel était l’objectif de votre mission en Tunisie ?

Une assemblée constituante doit être élue le 24 juillet.
Nous étions quatre : une Suédoise, spécialiste des scrutins électoraux et des quotas, une ancienne parlementaire égyptienne, présidente du Comité de coordination des femmes parlementaires de l’UIP et une chargée de mission de l’UIP, et moi-même. Nous étions invitées par le gouvernement de transition pour sensibiliser les acteurs de la révolution aux effets des différents modes de scrutin sur la représentation de la diversité de la société et en premier lieu des femmes.

Nous avons rencontré des femmes politiques tunisiennes, des membres d’associations de la société civile, des représentant-e-s de mouvements de la jeunesse et d’organismes nationaux et internationaux. Nous avons eu une séance de travail avec la sous-commission chargée d’élaborer le projet de décret-loi électoral. Les discussions ont donc porté sur les modes de scrutin les plus favorables à une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans la future Assemblée.

Quelles étaient vos préconisations pour le type de scrutin que devait adopter la Tunisie?

Nous avions rappelé que la représentation proportionnelle est à ce jour considérée comme le scrutin électoral le plus favorable aux femmes à la condition qu’elle se déroule dans le cadre de grandes circonscriptions, que la parité des listes soit une obligation ainsi que l’alternance. C’est le mode de scrutin qui a finalement été choisi.

Les Tunisiennes ont raison de s’en réjouir, car ce n’était pas acquis d’avance. Le scrutin uninominal qui semblait être soutenu par de nombreux membres de la Haute Instance qui devait se prononcer sur la loi électorale aurait été une catastrophe pour les femmes. Il suffit, pour le comprendre, de se référer à la dernière élection cantonale en France. C’est un scrutin qui favorise les notables. Il a l’avantage de créer un lien de proximité entre les électeurs et l’élu, mais il élimine les femmes.

Vous prônez un autre type de scrutin, inexistant aujourd’hui, qui serait plus égalitaire, expliquez-nous de quoi il s’agit.

Il semble en effet possible de concilier scrutin d’arrondissement et parité. Mais dans ce cas il faut que ce scrutin soit non pas uninominal mais bi-nominal.

Au lieu d’un candidat, chaque parti devrait présenter dans la circonscription deux candidats – un homme et une femme, ou une femme et un homme. Les « tickets » arrivant en tête au premier tour restent en compétition pour le second tour. Celui qui l’emportera aura donc deux élus, une femme et un homme. L’assemblée sera ainsi absolument paritaire.

Par rapport à un scrutin uninominal, ce mode de scrutin suppose des circonscriptions plus grandes (en fait un regroupement de deux circonscriptions correspondant au scrutin uninominal) afin de ne pas multiplier par deux le nombre des élus. Celui-ci peut avoir pour effet d’assurer une représentation plus diverse que le scrutin uninominal, les partis pouvant avoir pour souci de présenter non seulement deux candidats de sexe différents mais aussi d’âge etc., afin de représenter la réalité de la société.

Dans le cadre des discussions de l’été dernier sur la réforme territoriale, un sous-amendement proposant ce type de scrutin avait été déposé par Michèle André (*).

Propos recueillis par Caroline Flepp – EGALITE

(*) Michèle André (PS) est présidente de la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

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