Chroniques Le blog de Patric Jean : « Dominer, domination, dominant »

Je me promenais ce dimanche, cela n’est pas coutume, lorsque j’ai observé au coin d’une rue une situation qui m’a parue étrange. Deux sans abris se parlaient sur un ton particulier. Ou plutôt l’un criait sur l’autre qui pleurait. Ils avaient une petite trentaine d’années. Le genre de personnes sur qui la vie s’est essuyé les pieds. Je ne sais pourquoi, après avoir traversé la rue, je me suis arrêté et les ai observés un moment.

L’un des deux, celui qui parlait était plus fort, plus robuste, il tenait bien sur ses deux pieds et semblait maître du jeu. L’autre, plus maigre, était courbé, les bras repliés contre lui, pleurant en permanence. Parfois, quand l’autre, qui lui parlait fort, s’approchait un peu trop, il levait les avant-bras comme pour se protéger d’une gifle dont il semblait avoir l’habitude. Le costaud lui disait de se taire alors qu’il n’ouvrait pas la bouche.

Tout à coup, il a décidé qu’ils iraient occuper un autre coin de rue. Il ne lui a pas fallu beaucoup de mots pour convaincre l’autre d’obéir, de ramasser son sac et de traverser la rue, toujours en pleurant.

J’ai regardé cette scène un long moment. L’homme le plus fragile s’est accroupi le dos à un mur, incapable d’arrêter ses sanglots, la tête dans les mains. Si l’enfer existe, une de ses portes ne devait pas se trouver loin de lui. L’autre a commencé à faire la manche en lui prodiguant des mots qui n’étaient pas doux.

Je me suis dit alors que même l’homme le plus bas du monde, celui qui a touché le fond, peut-être depuis sa naissance, qui a souffert de la faim, de la solitude et de la méchanceté des hommes, même celui-là en cherche encore un autre à dominer. Comme s’il voulait se faire croire à lui-même qu’il allait s’élever en lui montant sur le dos.

Je me suis dit que moi aussi peut-être je réagirais ainsi. Et qu’il est facile d’être du bon côté de la morale quand la vie vous apporte chaque jour votre lot de consolation. Lorsque l’on vous donne du « Monsieur » à vous qui ne l’avez peut-être pas mérité. Et que des femmes, dans ce grand carnaval de la courte échelle, jouent bien souvent le rôle de ce garçon sur qui l’autre s’acharnait.

J’ai passé mon chemin. Et j’étais honteux.

Pour le reste, deux présumées victimes seront bientôt des coupables.
Un présumé coupable sera bientôt innocent.
Le mot d’ordre sera donné: silence !

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